PREMIÈRE PARTIE ► La Fatigue intellectuelle/AP < La Fatigue intellectuelle Alfr

PREMIÈRE PARTIE ► La Fatigue intellectuelle/AP < La Fatigue intellectuelle Alfred Binet, Victor Henri La Fatigue intellectuelle Schleicher frères, 1898 (p. 1-32). AVANT-PROPOS La Bibliothèque de pédagogie et de psychologie que nous inaugurons aujourd’hui en publiant ce premier volume sur la Fatigue intellectuelle, est destinée à faire profiter la pédagogie des progrès récents de la psychologie expérimentale. Ce n’est pas, à proprement parler, une réforme de la pédagogie ancienne qu’il faut tenter, mais la création d’une pédagogie nouvelle. L’ancienne pédagogie, malgré de bonnes parties de détail, doit être complètement supprimée, car elle est affectée d’un vice radical : elle a été faite de chic, elle est le résultat d’idées préconçues, elle procède par affirmations gratuites, elle confond les démonstrations rigoureuses avec des citations littéraires, elle tranche les plus graves problèmes en invoquant la pensée d’autorités comme Quintilien et Bossuet, elle remplace les faits par des exhortations et des sermons ; le terme qui la caractérise le mieux est celui de verbiage. La pédagogie nouvelle doit être fondée sur l’observation et sur l’expérience, elle doit être, avant tout, expérimentale. Nous n’entendons pas ici par expérience ce vague impressionnisme des personnes qui ont beaucoup vu ; une étude expérimentale, dans l’acception scientifique du mot, est celle qui contient des documents recueillis méthodiquement, et rapportés avec assez de détails et de précision pour qu’on puisse, avec ces documents, recommencer le travail de l’auteur, le vérifier, ou en tirer des conclusions qu’il n’a pas remarquées. Les expériences de pédagogie psychologique peuvent être divisées en deux groupes : 1° celles qui sont faites dans les laboratoires de psychologie, et 2° celles qui sont faites dans les écoles. En pédagogie ce sont surtout les expériences du deuxième groupe qui sont appréciées, mais il ne faut pas négliger pour cette raison les expériences de laboratoires. En effet, dans les laboratoires de psychologie on fait des recherches sur un petit nombre de personnes qui en général viennent au laboratoire pour apprendre la psychologie, et se prêtent par conséquent avec beaucoup de bonne volonté aux expériences. Avec ces personnes comme sujets, on peut faire des examens très minutieux, on peut étudier l’influence des différentes causes d’erreur, chercher si telle méthode peut donner quelque résultat ou non, essayer de nouvelles méthodes et les perfectionner de façon à les rendre pratiques et simples. Ce sont en somme des recherches de méthodes ; elles sont en général très longues et très minutieuses, car d’une part on étudie des personnes patientes qui peuvent consacrer à la science plusieurs mois ; et d’autre part, ces sujets d’élite étant très peu nombreux, — six à dix en moyenne dans les laboratoires les plus fréquentés — on est obligé de répéter sur eux un très grand nombre de fois les mêmes expériences, pour être bien certain de ne pas commettre d’erreur. Il sort de ce long travail de préparation un plan de recherche pour les écoles, plan pratique où toutes les questions de méthode sont déjà élucidées, où les principaux points à traiter, ceux qui ont paru les plus importants, sont mis en pleine lumière. La recherche commencée au laboratoire se poursuit donc dans les écoles ; elle prend, en changeant de milieu, un caractère tout différent. Remarquons d’abord qu’on transporte rarement dans les écoles les appareils compliqués qui servent au laboratoire ; l’instrumentation est réduite au maximum de simplicité, pour des raisons faciles à comprendre. Mais ce qui domine avant tout les recherches scolaires, c’est la rapidité d’exécution. Admis à faire des recherches sur des enfants qui sont envoyés à l’école uniquement pour s’instruire, et auxquels on ne doit pas faire perdre un temps précieux, le psychologue ne peut les traiter comme ces adultes bénévoles qu’on examine à loisir pendant plusieurs mois. Il faut apporter dans les écoles le moins possible de dérangement, ne pas y faire de bruit, ne pas gêner les cours spéciaux, ni indisposer le personnel enseignant qui ne comprend pas toujours la raison de ces recherches ; c’est avant tout affaire d’expérience et de tact. Du reste, une autre raison encore doit engager l’expérimentateur à se presser. Les élèves intéressés par une recherche qui débute donnent leur maximum d’attention ; mais bientôt ils deviennent distraits, et si l’expérience se prolonge, elle paraît monotone, ennuyeuse, et les élèves cherchent à s’y soustraire. On fait les expériences scolaires de deux manières principales, collectivement ou individuellement : 1° collectivement ; on arrive dans la classe avec le directeur, on explique en quelques mots l’expérience à laquelle on va procéder, — épreuve de mémoire, par exemple, ou d’imagination — et on fait l’expérience sur-le-champ ; elle dure en moyenne un quart d’heure ; puis on fait ramasser les copies, et on se rend dans une autre classe pour recommencer. La leçon des élèves n’a été interrompue que pendant un quart d’heure ; nous pensons qu’une interruption aussi courte, surtout si elle ne se renouvelle pas plus de deux fois dans le cours d’un mois, n’apporte aucune espèce de trouble dans les études ; parfois même l’expérience est pour les élèves un exercice de style ou d’écriture. Pendant cette interruption d’un quart d’heure, l’expérimentateur a pu rassembler une quarantaine de copies, qu’il examine à loisir après avoir quitté l’école, et dont il peut toujours tirer des conclusions instructives si l’expérience a été bien conçue ; 2° individuellement ; certaines recherches ne peuvent pas être faites collectivement, parce qu’elles exigent un examen individuel du sujet. Pour la mesure de la force musculaire, par exemple, et pour certaines expériences psychologiques de mémoire et de comparaison où il faut interroger le sujet et analyser ses réponses, on est obligé d’examiner chaque élève isolément. Un cabinet isolé, le plus souvent le cabinet du directeur, est mis à la disposition de l’expérimentateur ; les élèves y sont appelés un par un, ou deux par deux, ou par groupes plus importants, suivant les convenances ; quand l’examen d’un élève est terminé, il rentre en classe, et il est remplacé par un camarade, d’après un roulement convenu d’avance avec le professeur. Comme l’examen de chaque élève ne se prolonge jamais au delà de cinq à dix minutes, c’est pour lui une perte de temps insignifiante, d’autant plus insignifiante que cet examen ne se renouvelle guère souvent ; et quant au cours de la leçon, il ne peut être troublé par la sortie de deux ou trois élèves. En somme, les expériences de pédagogie que l’on fait dans les écoles prennent peu de temps aux élèves, elles n’apportent aucun trouble dans l’ordre des études ; et si l’on songe qu’il suffirait de faire chaque mois une expérience d’un quart d’heure sur chaque élève, en comprenant dans cette recherche une dizaine d’écoles et de lycées, pour résoudre pratiquement un grand nombre de questions pédagogiques de la plus haute importance qui sont encore discutées, il semble que l’Administration devrait encourager de tout son pouvoir des recherches de ce genre, en les confiant surtout à des savants exercés. En France, nous avons le regret de le constater, l’Administration se montre généralement peu disposée à accorder des autorisations de ce genre, bien qu’elle se rende bien compte qu’il s’agît de recherches inoffensives, et véritablement pédagogiques, n’ayant rien de commun avec les pratiques de la suggestion et de l’hypnotisme ; mais dans les autres pays, notamment en Allemagne, en Amérique, en Suède, en Danemark, ces autorisations de faire de la pédagogie expérimentale sont très librement accordées aux personnes compétentes, et la plupart des travaux que nous possédons actuellement ont été faits dans ces pays étrangers. Il y a plus. À plusieurs occasions, c’est l’Administration qui dans les pays étrangers a pris l’initiative des recherches expérimentales dans les écoles ; quand une question de pédagogie pratique se présentait, l’Administration s’est adressée aux psychologues en les invitant à faire des recherches sur cette question ; et en même temps, les portes des écoles leur étaient ouvertes et les élèves des écoles étaient soumis à leur examen. C’est ainsi qu’il y a un an à peine, les magistrats de la ville de Breslau, anxieux de savoir si les programmes d’enseignement dans les écoles et lycées de la ville n’étaient pas exagérés et ne produisaient pas un surmenage intellectuel parmi les élèves, chargèrent officiellement un psychologue de rechercher quel est le degré de fatigue intellectuelle éprouvé par les élèves des différentes classes a la fin de leur journée de travail. En fondant notre Bibliothèque de pédagogie et de psychologie nous espérons démontrer la nécessité de l’expérimentation pour la pédagogie. Notre premier volume est consacré à la Fatigue intellectuelle ; dans ce volume nous avons réuni tout ce qui a été fait sur la question de l’influence produite par le travail intellectuel sur l’organisme et sur différentes fonctions psychiques ; nous montrons que la question du surmenage scolaire, tant débattue et par les pédagogues et par les médecins, est loin d’être résolue. On se trouve en réalité bien plus loin du but qu’on ne croyait l’être il y a une dizaine d’années ; c’est que l’on a fait depuis cette époque des recherches qui uploads/Science et Technologie/ la-fatigue-intellectuelle-avant-propos-alfred-binet-victor-henri.pdf

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