Systèmes d’innovation et rattrapage technologique : une nouvelle économie de la
Systèmes d’innovation et rattrapage technologique : une nouvelle économie de la connaissance pour le développement Christian LE BAS et Bernard HAUDEVILLE n° 2013-03 ESDES - Université catholique de Lyon 23, rue Carnot 69286 Lyon Cedex 02 Tél : 04.72.32.58.96 Fax : 04.72.32.51.58 www.esdes-recherche.net esdes.recherche@univ-catholyon.fr Electronic Working Paper Series ESDES-Recherche 1 Systèmes d’innovation et rattrapage technologique : une nouvelle économie de la connaissance pour le développement. Bernard HAUDEVILLE Professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille III Christian LE BAS ( Full Professor of Economics/Professeur d’économie ESDES - School of Management- Catholic University of Lyon L’économie du développement a plusieurs racines fondatrices : l’économie de la croissance, l’économie des institutions et des systèmes, l’analyse du changement structurel. Jusqu’à une date toute récente elle a peu emprunté à l’économie de la connaissance et de l’innovation. Une exception notable est fournie par le travail de Fagerberg et al. (2010) sur la pertinence des activités d’innovation pour le développement. Il a été montré qu’en dépit du potentiel offert par la globalisation des activités de production et de diffusion connaissances technologiques, celle-ci ne peut être avantageuse pour les pays en développement sans des efforts d’investissement dans les activités de connaissances et des réformes propices à la structuration d’un système interne d’innovation (voir par exemple Xu et al., 2010). S’ils veulent exploiter les avancées technologiques les pays en développement doivent posséder eux mêmes des capacités spécifiques. Cette capacité renvoie avant tout à ce qu’Abramovitz (1986) a appelé une « social capacity » nécessaire au rattrapage technologique. La « social capability » inclut évidemment la capacité d’absorption technologique des économies en développement rigoureusement décrite par Kim (1980) à travers l’expérience remarquable de la Corée du sud, c'est-à-dire la capacité à assimiler, utiliser, et adapter les connaissances technologiques. Mais Abramovitz montre que cette « social capability » va bien au-delà des compétences technologiques, elle inclut l’expérience dans l’organisation et le management, la pérennité d’institutions définissant des règles, la confiance dans les relations économiques (l’envers de la corruption). Cette analyse préfigure les approches plus institutionnalistes dites des « systèmes nationaux d’innovation » (SNI en plus court) mettant l’accent sur les nombreuses interactions en agents, technologies et cadres sociaux générant un développement technologique auto-entretenu ainsi qu’une capacité de croissance économique (pour une rapide synthèse voir Fagerberg et al, 2010). Ce cadre d’analyse (« social capability » et SNI) constitue ici notre référent. L’idée de base de ce papier est que ce cadre peut être très utilement enrichi par certaines avancées en Economie de l’innovation permettant de tirer des enseignements pour le développement et la densification des activités d’innovation des pays en développement. Six thèmes seront proposés : trois avancées sur le plan analytique (le modèle de production des connaissances par recombinaison, la nouvelle nature de l’innovation, l’analyse des activités de connaissances dans les secteurs low-tech), trois avancées sur le plan des recherches empiriques en économie de l’innovation1 (le renforcement du système scientifique et technique, la densification du SNI, la remontée dans la chaîne de valeur2). Pour chacun de ses aspects nous examinons ce qu’il implique pour l’économie du développement. 1 Voir également Haudeville (2009) 2 Sur tous ces aspects on pourra se reporter au remarquable travail de Lall (1990). 2 1. L’innovation comme production de connaissances par recombinaisons L’économie contemporaine est identifiée comme une économie fondée sur les connaissances ou les savoirs, dans ce texte les deux termes sont considérés comme identique (Foray, 2000). La production de connaissances scientifiques et technologiques nouvelles est le moteur de la croissance des firmes, des secteurs, des nations. Pour mieux marquer que ce qui compte ce n’est pas l’accumulation indifférenciée de connaissances, que des connaissances autrefois utiles peuvent disparaître alors que des connaissances nouvelles sont ajoutées au stock de connaissances issu du passé, on a parlé d’économie d’apprentissage (voir par exemple les travaux de Lundvall, 1996). Les hommes et les organisations ont appris à produire des connaissances nouvelles économiquement utiles3. Si l’importance de l’apprentissage au cœur du développement économique est ainsi soulignée, le thème de l’apprentissage est par nature extrêmement étendu. Il recouvre des entités aussi générales que le rôle des systèmes d’enseignement, la production des qualifications et des savoir-faire, les transferts de connaissances, les fondements psychologiques de la cognition, etc. Dans ces ensembles les dimensions individuelles et collectives sont à chaque fois importantes. Une nouvelle approche de la production de connaissances a été construite ces dernières années autour des travaux de Fleming (2001, 2007), de Fleming et Sorenson (2004) et de Fleming et al. (2007) : la production de connaissances est pensée comme un processus de recombinaison (voir également Nelson et Winter, 1982, page 130). La croissance du savoir par recombinaison est également modélisée par Weitzman (1998), testée empiriquement par Fleming (2001) et développée Antonelli (2008) dans son approche de la complexité. Le processus de recombinaison est également au cœur des recherches autour des processus de fusion technologique (Hargadon, 1998 ; Kodama, 1986) : les firmes doivent combiner des technologies différentes issues de plusieurs secteurs de manière à mettre au point des produits radicalement nouveaux (les applications mécatronique de Kodama). Récemment Grubet et al. (2012) ont contribué à cette approche de la recombinaison par l’étude de la largeur des recombinaisons effectuées par les inventeurs (la largeur étant appréciée par le nombre de domaines technologiques affectés par leurs inventions brevetées). Ils montrent que les inventeurs ayant une formation scientifique recombinent plus largement. Cette largeur tend à diminuer plus on s’éloigne du temps de la formation initiale académique de l’inventeur). Dans cette approche la production d’une nouvelle connaissance ne peut être schématisée de façon pertinente par analogie avec la découverte d’un nouveau champ pétrolifère selon l’exemple pris par Weitzman (1998). Au contraire une nouvelle connaissance est souvent produite par une recombinaison de « morceaux » de connaissances préexistantes. Weitzman (1998) illustre cette vue en remarquant: « The idea of an "electric light" is itself a hybrid, the first practical example of which was made in 1879, between the idea of "artificial illumination" and the idea of "electricity." The idea of an "electricity production and distribution network" was conceived by Edison in the 1880's as an explicit combination of the idea of "electricity" with the idea of a "gas distribution system," where electricity is essentially substituted for gas » (Weitzman, 1998: 209). Ainsi l’idée fondatrice est que la créativité et l’imagination humaines sont « recombinatoric in essence ». On est ainsi renvoyé aux intuitions de Schumpeter (1911) qui pensait (déjà) l’innovation par un concept identique celui de « nouvelle combinaison ». Développons ici brièvement cet important concept de recombinaison. Le travail de Fleming et Szigety (2006) prend appui sur le « modèle psychologique » de créativité élaboré naguère par 3 La production d’innovations n’est pas seulement un output des entreprises et des organisations. Il est nécessaire de regarder également le rôle des individus, car la créativité qui est au cœur du processus d’innovation est nécessairement individuelle et humaine. 3 Simonton (1999) qui s’applique dans les sciences comme dans la recherche technologique. Les inventeurs génèrent de nouvelles idées par « combinatorial thought trials subject to psychological and social selection processes » (Fleming, 2007). Les inventeurs créatifs tendent alors à juxtaposer, combiner, et à évaluer simultanément un ensemble d’inputs de connaissance encore pas (ou peu) combinés. La création est ainsi l’assemblage ou le réarrangement de composants de connaissances existants pour mettre au point de nouvelles combinaisons. On a affaire ici à un processus d’apprentissage plus complexe que celui du classique « learning from experience » fondé sur la répétition des mêmes taches. Ici les taches successives ne sont pas les mêmes. L’idée de recombinaison implique qu’aucune technologie ne peut progresser indépendamment des autres technologies. A un moment du temps un composant a une probabilité non nul d’être combiné avec d’autres composants existants. Remarquons que l’inventeur à toujours la possibilité de faire entrer dans le monde des technologies des éléments nouveaux du dehors des technologies possibles (les nouveaux champs pétrolifères de Weizman). Une limitation essentielle est qu’un inventeur ne pourra réaliser toutes les recombinaisons qu’il veut. Les combinaisons sont infinies. Un inventeur va/doit d’abord opérer des recombinaisons sur les plages de la technologie qu’il connaît le mieux, qui lui sont plus familières (propriété de « localness »). On recherche autour de ce qu’on sait déjà. Ce qui limite les directions de recherche de la firme et donc contraint quelque peu le développement technologique. Toutefois c’est par ce biais que la recherche est la plus efficace et que les dynamiques d’apprentissage portent leurs fruits. Dans cette approche la proximité prend tout son sens comme vecteur d’apprentissage. À l’opposé de cette approche dite d’exploitation, l’exploration consiste en des essais de nouveaux composants loin de ceux déjà « exploités » (March, 1991). L’exploitation des compétences de l’organisation n’exclut donc pas des opérations nécessairement couteuses d’exploration, permettant la prise d’options pour l’avenir. Les apprentissages ici sont moins immédiats car on s’écarte de la base de connaissances déjà possédée. Dans cette approche l’apprentissage est la source indispensable et principale de génération de nouvelles compétences (à coté des activités organisées de recherche-développement). Toutefois les savoirs externes complémentaires sont uploads/Science et Technologie/ lebas-wp-2013-03.pdf
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- Publié le Oct 15, 2021
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