1 / 39 CONNAISSANCE ET SAVOIR DES DISTINCTIONS FRONTALIÈRES? Claire Margolinas

1 / 39 CONNAISSANCE ET SAVOIR DES DISTINCTIONS FRONTALIÈRES? Claire Margolinas Laboratoire ACTé, EA 4281, Université Blaise Pascal, Clermont- Université claire.margolinas@univ-bpclermont.fr Résumé Ce texte est issu de travaux menés depuis une dizaine d’année dans le réseau RESEIDA, qui associe principalement des didacticiens et des sociologues de l’éducation. Partant de la didactique des mathématiques et des concepts de savoir et de connaissance, l’énumération y apparaît comme un exemple paradigmatique de savoir transparent Mots-clés : DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES, SAVOIR, CONNAISSANCE, ÉNUMERATION, SAVOIR TRANSPARENT 1 PARTONS DE LA DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES Ayant eu le redoutable honneur de présenter un point de vue de didacticienne dans le colloque « Sociologie et didactiques : vers une transgression des frontières ? », il me semble indispensable de situer mes ports d’attache. En effet, je n’ai pas la prétention de me poser comme expert des deux champs : sociologie et didactiques, d’autant plus qu’un des deux est pluriel. De ce fait, ma représentation à la fois des territoires, des frontières et de leur transgression possible révélera sans doute en creux mon manque de connaissance dans les domaines les plus éloignés des paradigmes qui structurent les travaux de ma communauté proche. Pour le spécialiste d’un champ, ce que croit en savoir celui qui n’est pas connaisseur semble toujours naïf, même s’il reflète d’une certaine manière l’image produite par sa propre communauté. Le titre du colloque nomme un des champs au singulier « sociologie » et l’autre au pluriel « didactiques ». Je réserverai ce pluriel pour plus tard : partant de mon port d’attache principal, je commencerai par décrire certaines singularités de la didactique des mathématiques avant de les interroger. hal-00779070, version 1 - 25 Feb 2013 Manuscrit auteur, publié dans "Sociologie et didactiques : vers une transgression des frontières ?, Suisse (2012)" 2 / 39 1.1 Naissance d’une communauté de recherche dans un contexte perturbé La communauté de recherche en didactique des mathématiques est active depuis 1950, date de la création de la Commission Internationale pour l’Étude et l’Amélioration de l’Enseignement des Mathématiques1. A l’origine de cette commission, se trouvaient trois fondateurs aux origines scientifiques différentes : Caleb Gattegno philosophe et pédagogue, Gustave Choquet, mathématicien, membre du groupe Bourbaki et Jean Piaget, psychologue. Pas de sociologue dans le groupe des fondateurs, donc… C’est à partir d’un tel mouvement de pensée qu’a été élaboré une réflexion sur le renouvellement de l’enseignement des mathématiques qui a donné lieu, dans la plupart des pays occidentaux, aux réformes curriculaires de mathématiques modernes dans les années 60- 70. Cette réforme a été un échec… social ! En effet, alors même que nous ne connaissons pas (et sans doute nous ne connaîtrons jamais, car je ne crois pas qu’il existe de documents d’archive sur les pratiques effectives de l’époque) les conséquences de ces réformes en termes d’apprentissage des mathématiques, nous connaissons le rejet qui a été celui de la société tout entière : parents d’élèves, en particulier. C’est ainsi qu’Yves Chevallard, parce qu’il s’intéresse au curriculum comme un processus de transposition didactique faisant partie du champ de la didactique des mathématiques (Chevallard, 1985), fait remarquer que les parents – ceux des classes instruites – ne pouvant plus assumer le rôle de soutien à leurs enfants dans leurs apprentissages scolaires, se sont rebellés contre une réforme qui affichait clairement une dimension de redistribution sociale du savoir mathématique : « Il s’agit à présent – et c’est nouveau – de concevoir des mêmes programmes qui, pour le premier cycle, auront au moins en principe, à être enseignés dans le même esprit, pour tous les élèves de l’enseignement moyen, origines sociales et destins scolaires confondus. » (D'enfert & Gispert, 2008, p. 3). Mais les parents ne sont pas les seuls rebelles à la réforme, les professeurs eux-mêmes qui, dans l’enseignement secondaire des niveaux 6e-3e, sont pour la plupart issus de l’école primaire et non pas 1 Cette commission existe toujours, voir http://www.cieaem.org/ hal-00779070, version 1 - 25 Feb 2013 3 / 39 des concours d’enseignement du second degré, s’y opposent aussi, et leur hiérarchie cherche à tempérer les ambitions de la réforme : « les inspecteurs généraux […] prônent une certaine modération dans la rénovation compte tenu que la grande masse des professeurs n’est pas en état de comprendre et assimiler les projets de programmes » (Ibid., p. 9). Dès les années 71-72, les protestations se multiplient et des compromis doivent être trouvés ce qui conduit, du point de vue même du contenu, à ce que Chevallard appelle une « réforme inaccomplie » (Chevallard, 1992). Car ce qui est en jeu est à la fois didactique et social : « Alors que les adversaires de la réforme réclament des mathématiques différenciées selon les destins scolaires puis professionnels des élèves, l’APMEP2 prône au contraire sa généralisation à toutes les filières de l’enseignement moyen, collège d’enseignement technique inclus. Cela, pense-t-elle, implique une adaptation des programmes (les connaissances exigibles des élèves seraient limitées à un noyau de notions et savoir-faire essentiels) et une transformation des pratiques professorales (travail en équipe, travail sur fiche, différenciation, etc.) allant dans le sens d’une prise en compte de la diversité des classes et des orientation ultérieure des élèves » (D'enfert & Gispert, 2008, p. 16). C’est dans ce contexte chargé d’affect et de luttes complexes que naissent les IREM3 : Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques, qui sont chargés de réunir des mathématiciens universitaires et des professeurs de tous les niveaux scolaires autour de la réflexion sur l’enseignement des mathématiques, ainsi que de contribuer, grâce aux membres participant à ses travaux, à la formation continue des enseignants, en participant à des stages de formation et en produisant des documents mis à la disposition de tous les enseignants de mathématiques. Alors même que les IREM ne sont pas des « laboratoires » au sens structurel des Universités4, c’est dans ce contexte que sont nés les premiers grands travaux de recherche en 2 Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public, très active dans la promotion de la réforme. 3 Création des premières IREM en 1968, dès 1970, la plupart des académies ont leur Institut. Les IREM existent toujours : http://www.univ-irem.fr/ 4 Ils sont des « services communs » des Universités. hal-00779070, version 1 - 25 Feb 2013 4 / 39 didactique des mathématiques au début des années 70 : ceux de Régine Douady à l’IREM de Paris, ceux de Georges Glaeser et François Pluvinage à l’IREM de Strasbourg, ceux de Guy Brousseau à l’IREM de Bordeaux, etc. 1.2 Des ruptures fondatrices Se posant résolument en tant que chercheurs, et non pas (ou plus) en tant que réformateurs – malheureux – les pionniers des recherches des années 70 ont fondé la didactique des mathématiques « française »5 sur plusieurs ruptures (Margolinas, 2005). Rupture avec l’applicationnisme La didactique des mathématiques s’inscrit en rupture avec l’application directe en classe de conceptions issues de cadres théoriques indépendants des phénomènes spécifiques liés à la transmission des connaissances mathématiques. Rupture avec l’innovation L’échec de la réforme a montré que d’autres déterminants étaient à l’œuvre dans l’enseignement des mathématiques que le cognitif et les mathématiques en tant qu’entités séparées. Mais il a également rendu très prudents les didacticiens des mathématiques français quant à l’application rapide dans les classes et l’intervention directe sur le système d’enseignement. La rupture avec l’innovation ne s’est pas accompagnée d’un abandon de la recherche sur le terrain, mais le rapport entre théorie et pratique s’est transformé. Nécessité d’une théorisation propre Une des originalités du paradigme français de recherche en didactique des mathématiques est de prendre au sérieux la recherche fondamentale, et non directement la réussite des élèves. Il s’agit de rechercher des conditions qui permettent en théorie de faire évoluer les connaissances des élèves et non pas seulement qui améliorent de fait l’enseignement. 5 A l’heure actuelle ce terme est inexact, car les paradigmes issus de cette communauté ont largement diffusés et ont été transformés par cette diffusion à l’échelle internationale, mais à l’époque il y avait effectivement une communauté française de didactique des mathématiques qui porte un projet singulier. hal-00779070, version 1 - 25 Feb 2013 5 / 39 « Si une didactique scientifique existe, il faudra qu’elle permette de déduire les mesures méthodologiques les plus aptes à provoquer les acquisitions, d’une connaissance scientifique des processus de formation intellectuelle. » (Brousseau, 1975, cité par Perrin-Glorian, 1994 p. 101) Brousseau considère ainsi, dès les années 70, la didactique des mathématiques comme une science expérimentale, dans laquelle les résultats techniques sont envisagés comme des conséquences des résultats fondamentaux. Même si l’ambition d’amélioration de l’enseignement des mathématiques est présente dans les intentions, l’existence et la légitimité d’une recherche fondamentale sont posées. 1.3 Un territoire, des frontières De nombreuses définitions de la didactique des mathématiques existent, en voici une : « […] la didactique des mathématiques [est] la science de l’étude et de l’aide à l’étude des (questions de) mathématiques. » (Bosch & Chevallard, 1999, p. 79). Cette définition nous montre l’ampleur du territoire proposé à ce champ de recherche, qui n’est délimité que par l’étude des mathématiques, et uploads/Science et Technologie/ savoir-et-connaissance.pdf

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