Pages spirituelles d’Ibn Taymiyya VIII. Amour et santé du cœur Amour de Dieu, a
Pages spirituelles d’Ibn Taymiyya VIII. Amour et santé du cœur Amour de Dieu, amour profane, érotisme… En Islam, le débat s’est souvent cristallisé en fonction des deux mots ‘ishq et mahabba, entaché d’imprécisions et de confusions. Qu’il s’agisse d’aimer Dieu ou de s’aimer entre fils et filles d’Adam, il y a pourtant des voies à suivre, un équilibre na- turel (fitra) à préserver et des interdits à n’enfreindre en au- cun cas, sous peine d’avoir l’âme malade, de pécher ou, même, de verser dans l’associationnisme, le seul péché que Dieu ne pardonne point. consiste en l’amour3 de l’âme pour quelque chose qui est nuisible pour elle et à cette [maladie] est relié le fait, pour elle, de détester ce qui lui serait utile. L’amour (‘ishq) est une maladie psychique et, quand il est fort, il influe sur le corps et devient une maladie dans le corps 4 : soit une des maladies [130] du cerveau comme la mélancolie 5 – voilà pourquoi il a été dit à son sujet qu’il est une maladie affaire de suggestion (waswâsî) pareille à la mélancolie 6 –, soit une des maladies du corps comme la faiblesse, l’amaigrissement, etc. En notre époque de foires du sexe et de gay-parades, de harcèlement sexuel au travail et de pédophiles prédateurs, les Musulmans ont tout simplement à dire non et encore non, que cela plaise ou pas, et sans crainte du blâme des blâ- meurs. Toutes les unions ne sont pas libres, toutes les amours ne sont pas licites, tous les comportements ne sont pas admissibles. Point d’éthique sexuelle, par exemple, qui ne commence par une éducation des yeux ou des mains. Et il est des situations dans lesquelles la chasteté est une obli- gation, dûment récompensée par le Très-Haut. [L’amour - ‘ishq] qui est visé ici, c’est la maladie du cœur. C’est en effet le fondement de l’amour de l’âme pour ce qui est nuisible pour elle, comme il en va du malade du corps qui a de l’appétit pour quelque chose qui est nuisible pour lui : s’il ne se nourrit pas de cela, il souffre ; et s’il s’en nourrit, la maladie se renforce par là et croît. De même l’amoureux (‘âshiq) : être en contact avec [son] bien-aimé (ma‘shûq) est nuisible pour lui, qu’il s’agisse de le contem- pler, de le toucher, de l’entendre. Sont également nuisibles pour lui, même, le fait de penser à lui et le fait de se l’ima- giner, alors qu’il le désire passionnément. S’il se voit inter- dire l’objet de sa passion, il souffre et est tourmenté ; et s’il lui est donné l’objet de sa passion, sa maladie se renforce, causant un accroissement de sa souffrance. Jamais pourtant il n’y a interdiction pour le plaisir d’in- terdire. C’est plutôt de santé qu’il s’agit ; de santé des âmes et, partant, des corps, dans un monde où passion amoureuse excessive et affliction vont de pair. Dieu nous a prédisposés à L’aimer et c’est en fonction seulement de cette program- mation première des cœurs que tout autre amour doit être évalué et peut être harmonieusement vécu. Rappel idéal de ces vérités de bon sens, le Coran s’avère alors guérison pour des âmes invitées au « festin de Dieu ». in Islamic Philosophy and Science », Albany, State Univ. of New York Press, 1979. – Ch. 3 : The Reaction to Ash‘arism : Ibn Taymiyya ; Ch. 4 : Divine Will and Love in the Theology of Ibn Taymiyya ; Ch. 5 : Ibn Taymiyya on Love between God and Man, p. 46-91. Voir aussi mes Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. XV & XVI : La réalité de l’amour (mahabba) de Dieu et de l’homme, in Le Musulman, Paris, n° 28, nov. 1996, p. 24- 27; n° 29, mai 1998, p. 20-25. Une traduction simplifiée de Les maladies des cœurs et leur guérison existe en anglais : The Diseases of the Hearts and their Cures (Amrâd al-qulûb wa shifâ’u-hâ), by Ibn Taymiyyah. Compiled by I. b. ‘A. AL- HAAZIMEE. Transl. by ABU RUMAYSAH, Birmingham, Al- Hidaayah Publishing and Distribution, 1418/1998. Ibn Taymiyya, qui resta toujours célibataire, apparaît plus enclin à parler des dangers et désordres de l’amour que de mariages réussis et de sexualité sereinement vécue. C’est néanmoins avec pertinence qu’il met alors les points sur les i, en pleine fidélité au tawhîd et non sans intérêt pour notre temps. TRADUCTION 1 L’amour (‘ishq) : une maladie psychique 3. Quand les mots « amour », « aimer », « amoureux », etc. ne sont suivis d’aucune transcription, ils traduisent des termes déri- vés de la racine HBB (mahabba, hubb, ahabba, muhibb, etc.). L’avarice et l’envie sont des maladies qui entraînent nécessairement que l’âme déteste ce qui lui serait utile et, même, aime ce qui est nuisible pour elle. Voilà pourquoi l’envie est liée à la haine et à la colère. Quant à la maladie de l’appétit-passion (shahwa) et de l’amour (‘ishq) 2, elle 4. Voir al-Jâhiz : « Le ‘ishq […] est un mal qui atteint l’âme et se propage dans le corps par contagion de voisinage » (Risâlat al-Qiyân, trad. Ch. PELLAT, Les esclaves-chanteuses de Gâhiz, in Arabica, t. X, Leyde, 1963, p. 121-147 ; p. 138). 5. Sur la mélancolie, voir R. KLIBANSKY, E. PANOFSKY et F. SAXL, Saturne et la Mélancolie. Études historiques et philoso- phiques : nature, religion, médecine et art, « Bibliothèque illustrée des Histoires », Paris, NRF - Gallimard, 1989. Selon ces auteurs (p. 155-156), la possibilité que la mélancolie attaque le cerveau ne semble pas avoir été couramment admise avant Averroès. 1. Première partie d’un extrait de la fin de Les maladies des cœurs et leur guérison (Majmû‘ al-Fatâwâ, éd. IBN QÂSIM : t. X, p. 129, l. 13 - p. 132, l. 11). La suite (t. X, p. 132, l. 12 - 136, l. 14) fera l’objet des Pages spirituelles IX. 2. Sur l’évolution des théories de l’amour, notamment au sens de ‘ishq, dans l’Islam arabe d’al-Jâhiz (m. 255/868-9) à Muhyî l-Dîn al-Salatî l-Dimashqî (XIe/XVIIe s.), voir L. A. GIFFEN, Theory of profane Love among the Arabs : the Develop- ment of the Genre, « Studies in Near Eastern Civilization, 3 », New York - Londres, New York Univ. Press, 1971. Ibn Tay- miyya ne figure malheureusement pas parmi la vingtaine d’au- teurs pris en considération. Autre référence importante, concer- nant la réalité sociale plutôt que les aspects doctrinaux : A. L. AL-SAYYID-MARSOT (éd.), Society and the Sexes in Medieval Islam, « Sixth Giorgio Levi Della Vida Biennial Conference, May 13-15, 1977 », Malibu, Undena Publications, 1979. À propos d’Ibn Taymiyya et sur les auteurs hanbalites en général, voir J. N. BELL, Love Theory in Later Hanbalite Islam, « Studies 6. Voir IBN AL-JAWZÎ, Dhamm al-Hawâ, éd. M. ‘ABD AL- WÂHID et M. AL-GHAZÂLÎ, Le Caire, Dâr al-Kutub al-Hadîtha, 1381/1962, p. 290 ; IBN QAYYIM AL-JAWZIYYA (m. 751/1350), Rawdat al-Muhibbîn - Le Jardin des Amants, éd. ‘I. F. AL- HIRISTÂNÎ - M. Y. SHU‘AYB, Beyrouth, Dâr al-Jîl, 1413/1993, p. 152 ; AVICENNE, al-Qânûn fî l-tibb, éd. E. ELQASHSH et ‘A. ZAY‘ÛR, 4 t., Beyrouth, Mu’assasat ‘Izz al-Dîn, 1413/1993, t. II, p. 898. L’amour (‘ishq) est également traité comme une espèce de la mélancolie chez le médecin traducteur tunisois de l’école de Salerne Constantin l’Africain (m. 1087, Mont- Cassin) et l’iranien ‘Alî b. al-‘Abbâs al-Majûsî (m. entre 372/982 et 386/995) dont il s’inspire ; voir R. KLIBANSKY, E. PANOFSKY et F. SAXL, Saturne, p. 149. Dans le Hadîth, il y a que « Dieu préserve Son serviteur croyant de ce bas-monde comme l’un de vous préserve son malade de la nourriture et de la boisson 7. » Dans [Sa] conversation confidentielle avec Moïse, transmise d’après Wahb 8, que l’imâm Ahmad a rapportée dans le Livre de l’as- cèse 9, le Dieu Très-Haut dit par ailleurs : « Moi, J’écarte mes Amis de la félicité de ce bas-monde et de son confort comme le pasteur attentionné écarte ses chameaux des pâturages de la perdition. Je les détourne du repos 10 et de la vie ici-bas comme le pasteur attentionné détourne ses chameaux des étapes de l’illusion. Cela n’est pas dû à leur insignifiance pour Moi mais a pour but qu’ils aient parfaitement leur part de Ma générosité, [une part] intacte, pleine 11, non blessée par ce bas-monde, ni éteinte par les caprices. » ne cesse pas de se rapprocher de Moi : il M’aime (ya‘shaqu- nî) et Je l’aime (a‘shaqu-hu) 16. » Tels sont les dires de certains des soufis 17. La masse [des théologiens] ne profèrent [cependant] pas ce terme [‘ishq] à propos de Dieu. Le ‘ishq est en effet l’amour (mahabba) excessif, qui déborde la limite qui con- vient 18 ; or l’amour du Dieu Très-Haut n’a pas de fin ; il n’aboutit donc pas à une limite qu’il ne conviendrait pas de dépasser. Le ‘ishq, ont dit ceux-ci, est absolument blâmable et ne sera pas célébré ; ni pour ce qui est de l’amour du Créa- teur, ni [pour ce qui est de uploads/Sante/ ibn-taymiya-amour.pdf
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- Publié le Fev 04, 2021
- Catégorie Health / Santé
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