Chapitre 2 L'art et la science de la santé publique Pierre Fournier La référenc
Chapitre 2 L'art et la science de la santé publique Pierre Fournier La référence bibliographique de ce document se lit comme suit: Fournier P (2003) L'art et la science de la santé publique In : Environnement et santé publique - Fondements et pratiques, pp. 39-57. Gérin M, Gosselin P, Cordier S, Viau C, Quénel P, Dewailly É, rédacteurs. Edisem / Tec & Doc, Acton Vale / Paris Note : Ce manuel a été publié en 2003. Les connaissances ont pu évoluer de façon importante depuis sa publication. Chapitre 2 L'art et la science de la santé publique Pierre Fournier 1. Définir la santé publique 2. Les courants historiques qui ont façonné la santé publique 2.1 Hygiène publique, contrôle des maladies transmissibles et environ- nement 2.2 Hygiène individuelle et éducation pour la santé 2.3 Médecine sociale et protection des groupes vulnérables 2.4 Croissance des systèmes de soins et rôle accru de l'État 2.5 Rôle de l'État, intégration de ces courants et transition épidémiologique 3. La santé: définitions, déterminants et mesure 3.1 Définitions de la santé 3.2 Déterminants de la santé 3.3 Indicateurs de santé et sources de données 4. Fonctions et pratiques de santé publique 4.1 Intervenir en santé publique 4.2 Fonctions centrales de la santé publique 5. Défis de la santé publique 5.1 Maladies infectieuses, affections chroniques et habitudes de vie 5.2 Quelques groupes particulièrement vulnérables 5.3 Services de santé 5.4 Défis de la nouvelle santé publique 6. Conclusion 40 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ PUBLIQUE 1. DÉFINIR LA SANTÉ PUBLIQUE* Il n'existe pas de définition simple et univoque de la santé publique. Les énoncés qui suivent reflètent la diversité des perceptions de profes- sionnels œuvrant dans ce champ ( I O M , 1988): • «Quand je pense à la santé publique, je pense intervention précoce, prévention...» • «La santé publique, c'est la vaccination, la santé dans les écoles, le contrôle des maladies contagieuses...» • «C'est tout ce qui affecte la santé de la com- munauté sur une base collective...» • «La santé publique, c'est tout ce qui est en dehors de la pratique médicale indivi- duelle...» • «La fonction centrale de la santé publique, c'est la capacité de reconnaître les problèmes, de les mesurer et d'essayer d'intervenir...» Le terme de santé publique est communé- ment utilisé avec deux sens: celui d'établir une distinction entre des services publics et privés et celui de distinguer le particulier (ou individuel) du général (ou collectif) (Turshen, 1988). Pour Frenk (1993). le terme de santé publique évoque également, dans le langage courant, les notions d'action gouvernementale, de services collectifs (par exemple, l'assainisse- ment), de services personnels destinés à des groupes vulnérables, et la notion de problème de santé publique réfère à des maladies fréquentes ou dangereuses. En fait, le terme public ne désigne pas un groupe spécifique de services, une forme de propriété, un type de problème, mais plutôt un niveau spécifique de référence et d'analyse: celui de la population. Les difficultés rencontrées pour définir la santé publique tiennent à plusieurs raisons: - la santé est généralement perçue comme un attribut individuel dont les représentations sont bien établies (maladie, souffrance, bien- être, réalisation, etc.); - la «santé collective» est plus difficile à définir et à mesurer**; - dans sa dimension collective, la santé est également une construction sociale - à la fois un enjeu social majeur et un axe autour duquel se structurent les sociétés; - du point de vue des connaissances, la santé publique n'est pas une discipline, mais un champ d'action vers lequel convergent de nombreuses disciplines; - du point de vue des pratiques, on observe à la fois une variété et des divergences consi- dérables, d'où la difficulté de reconstruire empiriquement le champ. À défaut d'une définition univoque, on peut plutôt retenir un énoncé de mission qui permet d'intégrer une vision dynamique (celle de l'ac- tion), celle d'un champ de connaissances et également d'un domaine de pratiques qui sont en constante évolution et en perpétuelle redéfi- nition: «La mission de la santé publique consiste à garantir les intérêts de la société en assurant des conditions dans laquelle les populations sont en santé ( I O M , 1988).» Plus d'un demi-siècle auparavant, Vinslow (1920) avait proposé une définition plus exhaustive et qui demeure d'actualité: «La santé publique est la science et l'art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et de promouvoir la santé physique et l'effi- cacité, par le biais d'efforts collectifs organisés, et visant la salubrité de l'envi- ronnement, le contrôle des infections com- munautaires, l'éducation des individus à l'hygiène personnelle, l'organisation des services médicaux et infirmiers pour le diagnostic précoce et la prévention de la maladie et le développement de l'infra- structure sociale qui assurera à chaque individu de la communauté un standard de vie adéquat pour se maintenir en santé.» * Cette section s'inspire largement d'une partie de l'article de Fournier, P.: «La santé publique: concepts et pratiques». Ruptures, 5, 2, 1998, p. 132-139. ** La santé, la maladie, le bien-être et leurs déterminants constituent des notions complexes qui sont à la base de la santé publique; elles seront brièvement présentées à la section 3 de ce chapitre. L'ART ET LA SCIENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE 41 La difficulté de définir simplement la santé publique n'est pas sans conséquences: les profes- sionnels sont affectés par le fait que leur rôle n'est pas perçu clairement par le public et la société, et le développement académique du champ est freiné par l'absence d'identification disciplinaire*. Sans qu'il s'agisse d'une définition à propre- ment parler, Beauchamp et Steinbock carac- térisent de façon synthétique ce en quoi consiste la santé publique: «Tout en santé publique commence avec la perspective populationnelle et avec l'ef- fort de mesurer et d'améliorer l'état de santé des populations**.» Nous verrons plus avant dans ce chapitre (section 4) comment cette mission s'organise en grandes fonctions qui, à leur tour, déterminent des pratiques. 2. LES COURANTS HISTORIQUES QUI ONT FAÇONNÉ LA SANTÉ PUBLIQUE*** On situe généralement au X V I I I e siècle et à la période préindustrielle les origines de la santé publique telle que nous la connaissons aujour- d'hui. Bien qu'il y ait indéniablement à partir de cette époque des événements marquants qui ont façonné la santé publique, l'origine de ces mou- vements est bien antérieure à cette période****. L'esquisse historique qui sera brossée ici est également limitée, dans la mesure où ses sources se cantonnent à la civilisation occidentale et à ses précurseurs (égyptienne, grecque et latine). D'autres civilisations (asiatiques, africaines et amérindiennes) ont établi des pratiques de santé publique. En fait, la vie en société a toujours imposé l'adoption de certaines règles dont bon nombre ont trait à la santé, certaines pouvant aisément être identifiées à la santé publique. Dans les paragraphes suivants, les origines, les logiques et les contenus des quatre grands courants qui ont façonné la santé publique «occidentale» actuelle seront présentés: celui de l'hygiène publique, plus connu sous le nom de «sanitary movement», celui de l'hygiène per- sonnelle, celui de la médecine sociale et finale- ment celui qui se rapporte à l'organisation des services de santé. Tout le monde ne s'accordera pas à considérer que ce sont les seuls courants significatifs, voire même que le dernier d'entre eux relève de la santé publique. Dans certains cas, les limites entre ces courants paraîtront arti- ficielles. Elles ont néanmoins l'avantage de cla- rifier cette brève présentation historique. 2.1 Hygiène publique, contrôle des maladies transmissibles et environnement Ce courant est à la fois le plus ancien et égale- ment celui auquel la santé publique est la plus fréquemment identifiée; le développement et l'organisation des sociétés ont toujours inclus des dispositions collectives qui rendaient la vie en groupe possible, voire meilleure. • Dès le Moyen Age, le contrôle des maladies contagieuses (peste, lèpre) a suscité les pre- mières mesures publiques dans le domaine de la santé: quarantaines, protections indivi- duelles, etc. Il faut également noter que le contrôle des épidémies a constitué la pre- * L'importance et la localisation très variables de la santé publique dans les universités illustre cette situa- tion: tantôt départements de facultés de médecine (tendant vers une vision réduite à la dimension bio- médicale), parfois inclus dans des facultés ou écoles de santé (élargissant la perspective précédente mais s'orientant vers les professions de santé), et dans d'autres cas écoles de santé publique autonomes avec des liens plus ou moins forts avec les écoles professionnelles de santé et les sciences sociales. ** Beauchamp, D. E. et B. Steinbock. New Ethics for the Public's Health, Oxford University Press. 1999, p. 25. * * * Cette section s'inspire également d'une partie de l'article de Fournier. P.. «La santé publique: concepts et pratiques», Ruptures 5, 2, 1998, p. 132-139. ****On référera en particulier à Hippocrate dont un des traités publié à peu près 500 ans avant J.C. exa- minait les relations entre l'environnement et la santé. Il livrait également des observations au sujet des maladies endémiques et épidémiques (Hippocrate. Traité d'Hippocrate des Airs, des Eaux et des Lieux, Beaudelot, Paris, 1800). 42 ENVIRONNEMENT ET SANTÉ uploads/Sante/ l-x27-art-et-la-science-de-la-sante-publique.pdf
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- Publié le Aoû 10, 2021
- Catégorie Health / Santé
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