LE LIEU ET LE LIEN Jacques-Alain Miller Treizième séance du Cours (mercredi 14
LE LIEU ET LE LIEN Jacques-Alain Miller Treizième séance du Cours (mercredi 14 mars 2001) XIII Ce cours se poursuit comme je le souhaitais, sous la forme d'un séminaire cette fois-ci, puisque nous allons entendre François Leguil. François Leguil m'avait fait part d'une conférence qu'il avait donnée où il était notamment question de l'angoisse et plus précisément de ce qu'elle devenait dans une clinique psychothérapique. Et à l'entendre me conter brièvement son thème, j'ai pensé que cela s'inscrivait très bien dans le mouvement de réflexion que j'ai commencé cette année et je lui ai demandé de le reprendre devant nous en donnant à ce thème le développement qui lui paraîtrait opportun. Le concept de l'angoisse reste marqué pour nous du dit de Lacan: " L'angoisse est ce qui ne trompe pas. " C'est-à-dire qu'il reste marqué par la valeur de vérité attribuée à ce phénomène, à cet affect. C'est précisément, je crois, ce qui est mis en question dans la clinique psychothérapique de l'angoisse. Attribuer à l'angoisse une valeur de vérité éminente n'est pas le propre de Lacan mais relève d'une tradition, est conforme à l'orientation existentialiste, depuis Kierkegaard jusqu'à Heidegger, et cela a été illustré littérairement par Jean-Paul Sartre dans sa Nausée, titre de roman qui est dû à son éditeur, Gaston Gallimard -lui voulait l'appeler Melancolia -, et La Nausée c'est le roman de l'angoisse. La place éminente de l'angoisse, chez Kierkegaard comme chez Heidegger, lui est conférée par sa connexion au néant. Elle est située comme révélation, l'angoisse, et expérience du néant. Et elle est promue à cette place éminente en tant qu'elle dépasse toute animalité et qu'elle excède toute psychologie. Elle est conçue comme propre de l'homme, que ce soit en tant qu'être religieux pour Kierkegaard ou que ce soit comme Dasein pour le premier Heidegger. Et l'un comme l'autre font très bien la différence entre la peur et l'angoisse qui, elle, est pour eux un affect qui n'est lié à aucun objet précis, à la différence de la peur mais aussi bien à la différence du désir. Ce qui la met à part c'est qu'on s'angoisse de rien, et par là, si on la définit ainsi, elle est ce qui dénonce que l'homme a rapport au rien, un rapport primordial au rien. C'est donc l'angoisse conçue comme l'expérience d'une négativité originaire, comme la preuve, la marque que l'homme n'a pas simplement rapport avec les choses de son milieu -ces choses qu'il peut craindre ou pour lesquelles il peut avoir de l'appétit -, qu'il n'est donc pas simplement un être empirique retenu dans le cercle de son milieu comme l'animal, et donc l'angoisse présente ce paradoxe d'être l'expérience d'un au-delà de l'expérience. Elle met l'homme en rapport avec un au-delà de ce qu'il peut rencontrer dans son expérience vitale. Et qu'on la situe comme l'expérience d'un- au-delà de l'expérience, c'est ce qui permet de fonder l'homme comme métempirique, au-delà de l'empirique. Pour Kierkegaard, c'est une expérience qu'il situe dans son ouvrage Le Concept de l'angoisse comme précédant celle du péché, précédant et fondant la possibilité même de la culpabilité. Et c'est par là qu'il identifie l'angoisse à l'expérience même de la liberté, c'est-à-dire l'expérience du sujet en tant qu'il n'est pas de part en part conditionné par des déterminations empiriques. Donc, disons que dans !'angoisse, à partir de lui, l'homme fait l'expérience paradoxale de son existence, mais qu'on peut très bien écrire à la mode de Lacan, qu'il fait l'expérience de son ek 1 J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN -Cours n°13 14/03/2001 -2 sistence, qu'il est l'expérience de par où il est hors de son expérience animale, de son expérience vitale. C'est ainsi que, dans ce qu'on peut trouver de phénoménologie de l'angoisse chez Kierkegaard, il la compare au vertige: " Quand l'œil vient à plonger dans un abîme on a le vertige, ce qui vient, note-t-il, autant de l'œil que de l'abîme car on aurait pu ne pas y regarder, de même l'angoisse est le vertige de la liberté ". A partir de là, l'angoisse est évidemment distinguée comme l'affect propre au manque-à-être du sujet. C'est ' par là que le sujet éprouve sa différence d'avec tous les objets de son expérience et d'avec tout ce qui est. C'est ce que Sartre a voulu illustrer en faisant surgir cet affect, mystérieusement, au début de La Nausée, du maniement d'un galet, d'une chose qui est, elle, sans manque-à-être, qui est simplement ce qu'elle est. Et alors ce qui reflue sur lui, à partir de cette expérience d'une chose, des choses, et puis ça s'étend au cours du roman, c'est son manque-à-être et, disons, c'est l'expérience du désaccord, de la dysharmonie du sujet d'avec son monde. On peut même dire que c'est ce qui fonde sa présence comme être-dans-le-monde. C'est le témoignage qu'on n'est pas dans le monde comme un poisson dans l'eau. Au contraire, par l'angoisse il se rappelle à l'homme qu'il est quelque part hors du monde. D'où l'expérience tantôt que les choses sont de trop, et y compris son corps, et aussi tantôt l'expérience que moi aussi je suis de trop, dans cet univers de choses qui sont simplement ce qu'elles sont. Cela suppose un changement de statut de l'immémorial non-être. Le néant dont il s'agit n'est pas, dit Kierkegaard, un néant avec lequel l'individu n'a rien à faire, c'est un néant en communication directe avec -je mettrai des guillemets -" l'ignorance de son innocence ". Il dit innocence parce que pour lui c'est sur ce fondement-là d'une angoisse qui révèle la liberté que s'introduit la culpabilité, et précisément la culpabilité du péché originel que Lacan évoque dans sa première leçon du Sinthome, qu'Éric Laurent avait repris la dernière fois. Pour Heidegger, Heidegger qui réfute évidemment la rubrique de l'existentialisme, mais c'est tout de même de là que, pour Heidegger, l'angoisse est au principe de la métaphysique. Ce qui a marqué dans le siècle dernier la réflexion sur l'angoisse, et j'inscris Lacan à la suite, c'est la conférence qu'a donnée Heidegger en 1929 sous le titre" Qu'est-ce que la métaphysique? ". C'est un texte qui a eu son incidence en France, qui a été traduit avant la guerre, et qui était sa leçon inaugurale de sa chaire de l'Université de Fribourg, et, alors, il introduisait la métaphysique par l'angoisse. On peut dire que ça a eu, au cours des années, le plus grand retentissement, et comme nous savons la place distinguée que Freud donne à l'angoisse dans Inhibition, symptôme et angoisse qui est de 1925, on peut dire que ces années ont marqué au XXe siècle la place, l'incidence, la prévalence de l'expérience de l'angoisse. Je ne vais pas là entrer dans ce que Heidegger apporte dans cette conférence mais je l'énonce comme préambule à ce que va nous apporter François Leguil, c'est-à- dire une situation de l'angoisse au XXle siècle, qui paraît marquer une discontinuité certaine avec le siècle passé, et nous aurons à évaluer ce que nous avons à en faire et si nous avons à réviser, là, nos catégories. Je donne la parole à François Leguil qui n'utilisera pas le pupitre étant donné l'importance des documents et des notes qu'il a apportés. François Leguil : Oui. Au fond pour faire lien avec une partie de ce qu'a développé Jacques-Alain Miller au premier trimestre, je suis parti de l'hypothèse suivante qui réclame que l'on rassemble deux citations de son Cours, une prise dans le cours J.-A. MILLER, LE LIEU ET LE LIEN- Cours n°13 14/03/2001 -3 inaugural qu'il 'avait fait avec Éric Laurent en 96-97, c'est-à-dire exactement le 20 novembre 96 de l'Autre qui n'existe pas et ses comités d'Éthique, où au fond Jacques Alain Miller montrait que l'immersion croissante du sujet dans les semblants, l'équivoque de ses semblants consacrée par le relativisme établissait l'inexistence de l'Autre et en même temps l'avancée de la science et des effets de la technique produisaient une dématérialisation vertigineuse, je le cite "qui nimbe d'angoisse la question du réel et fait que Ie sens même de ce réel est ce qui fait l'objet croissant de ce qui est en crise ". Cette crise du réel que Jacques-Alain Miller annonçait, diagnostiquait en novembre 96, l'amenait aussi à poser que entre semblant et réel quelque chose se créait comme un lieu de tension et d'émotion, et lui faisait se poser la question de comment s'orienter vers le réel en dégageant le réel propre à la psychanalyse, tout en supposant que la clinique était le site propre de ce réel. Eh bien quand on lit la littérature comme j'en ai apporté quelques extraits, de la clinique des psychothérapies, littérature extrêmement abondante, on peut dire de façon absolument certaine et simple que la clinique pour tous les cliniciens psychothérapeutes, la clinique n'est plus pour eux le site propre du réel. Au fond cette révolution due aux effets de la science et de la technique et à la pullulation des semblants, on peut dire qu'elle est presque scandée par deux dates chez Lacan, le 12 janvier 55 et le uploads/Sante/ le-lieu-et-le-lien-jacques-alain-miller.pdf
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- Publié le Mar 21, 2022
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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