Spécificité de l’évaluation neuropsychologique en gériatrie Noël Myriam1, neuro
Spécificité de l’évaluation neuropsychologique en gériatrie Noël Myriam1, neuropsychologue Myriam.noel@ch-roubaix.fr El Haj Mohamad2, enseignant-chercheur mohamad.elhaj@univ-lille3.fr Gounden, Yannick3, enseignant-chercheur yannick.gounden@u-picardie.fr Quaglino Véronique3, enseignant-chercheur veronique.quaglino@u-picardie.fr Campion Cédric1, praticien hospitalier – gériatre Cedric.campion@ch-roubaix.fr Luyat Marion2, enseignant-chercheur Marion.luyat@univ-lille3.fr 1 Hôpital Victor Provo, service de gériatrie, 35 rue de Barbieux, 59100 Roubaix 2 UFR de Psychologie, Université de Lille 3, Domaine Universitaire du Pont de Bois, 59650 Villeneuve-d'Ascq 3 UFR de Psychologie, Université d’Amiens, Chemin Du Thil , 80025 Amiens Résumé L’évolution démographique de nos sociétés a augmenté la nécessité d'évaluer les fonctions cognitives des personnes âgées de plus de 80 ans. Ces évaluations sont rendues difficiles par les spécificités de cette population. L’objectif de cet article est d’expliciter les problématiques relatives à l’évaluation neuropsychologique en gériatrie et de proposer des pistes de réflexion. Mots clés : mémoire épisodique, évaluation, vieillissement, gériatrie 1. Introduction Avec l'allongement de la durée de vie, la population française vieillit et ce vieillissement se poursuivra encore fortement jusqu’en 2035 avec l’avancée en âge de la génération issue du baby-boom. Au 1er janvier 2016, les habitants âgés de 75 ans ou plus représentaient 9,3% de la population française, cette proportion ayant subi une hausse de 2,8 points en seulement 20 ans [1]. Le nombre de personnes atteignant l’âge de 100 ans n'a fait également que croître avec 20 669 centenaires au 1er janvier 2016. Selon les prévisions, ce nombre pourrait atteindre 140 791 personnes en 2050. De façon mécanique, le vieillissement de la population s’associe à une augmentation de la prévalence de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés - regroupés sous l’appellation « troubles neurocognitifs » (TNC) depuis la parution du DSM V [2]. En France, la prévalence des troubles neurocognitifs majeurs chez les personnes âgées de plus de 80 ans, appelées « oldest old » par les démographes depuis la fin des années 1980, est estimée à 30% [3]. Cette situation a entraîné, depuis une quinzaine d’années, un recrutement important de psychologues spécialisés en neuropsychologie dans les services de gériatrie, en secteurs conventionnels (médecine et soins de suite) et ambulatoires (consultations gériatriques et hôpitaux de jour). Ces structures accueillent des personnes majoritairement âgées de plus de 80 ans, présentant des polypathologies et souvent dépendantes. Les psychologues spécialisés en neuropsychologie de ces services (appelés neuropsychologues par facilité dans la suite de l’article) ont pour mission d’évaluer les capacités cognitives des personnes accueillies, dans le but d’aider les équipes médicales et soignantes à optimiser leur suivi et l’accompagnement à la prise en charge. Cette prise en charge gériatrique peut concerner par exemple la mise en place d’une mesure de protection (tutelle, curatelle), une décision d’institutionnalisation ou la mise en place d’aide à domicile. La mise en évidence de troubles cognitifs sévères permet parfois également d’éclairer une décision médicale (p. ex. : Question éthique de la mise en place d’une chimiothérapie lourde ou d’une opération chirurgicale nécessitant une rééducation fonctionnelle chez une personne avec des fonctions cognitives très fortement altérées qui ne pourra pas comprendre les effets secondaires). Cette mission d’évaluation s’avère toutefois fort complexe car il existe un manque évident à la fois d’outils et de normes adaptés [4]. Le neuropsychologue en gériatrie se heurte donc quotidiennement à un problème a priori insoluble : d’une part, la nécessité d'adapter le matériel d’évaluation aux spécificités de la population gériatrique, et d’autre part, la nécessité d’utiliser des outils d’évaluation classiques s'il veut utiliser les normes lui permettant d’interpréter les résultats. L’objectif de cet article est dans un premier temps de décrire les différents éléments qui rendent la population gériatrique difficilement évaluable d’un point de vue cognitif (les troubles sensoriels, la fatigabilité), et dans un second temps de proposer des pistes de réflexion autour de cette problématique. 2. Spécificité de la population gériatrique L’évaluation cognitive a pour but de mesurer, de la façon la plus précise possible, les capacités de la personne évaluée en explorant les différents processus atteints ou préservés. Le neuropsychologue se doit donc de choisir des outils de mesure qui seront adaptés à la personne évaluée et qui ne présenteront pas d’obstacles propres au matériel de passation. Cette démarche est particulièrement délicate auprès des personnes âgées car le neuropsychologue va être confronté à différentes limitations. 2. 1. Fatigabilité et problèmes d'attention Une première limitation à l’évaluation neuropsychologique en gériatrie est la fatigabilité des personnes âgées. Cette fatigabilité peut être évidemment physique, mais la plupart du temps l’obstacle majeur à la passation du bilan cognitif est la fatigabilité « mentale » qui se caractérise par une baisse de la vigilance et par des troubles attentionnels. Cette fatigabilité va nécessiter la diminution de la durée de passations de tests chez les personnes très âgées [4]. La problématique est que l’évaluation des capacités cognitives à l’aide de tests standardisés est une démarche qui nécessite beaucoup de temps, car elle a pour objectif d’obtenir une vision relativement complète des capacités cognitives fonctionnelles ou altérées de la personne âgée. Le neuropsychologue doit ainsi réaliser plusieurs tests spécifiques pour évaluer chaque composante cognitive, en particulier la mémoire, les fonctions exécutives, les fonctions instrumentales et les capacités attentionnelles. La réalisation de ces différents tests, même en réduisant la passation au strict minimum, ne pourra pas être réalisée en moins d’une heure, et le plus souvent cette évaluation en nécessitera plutôt deux voire davantage. A ce temps de « testing », il faut ajouter le temps indispensable de l’entretien d’anamnèse et de l’entretien de restitution. La personne très âgée, surtout dans le cadre de l’hospitalisation, n’a généralement pas la capacité physique ni la résistance psychologique pour supporter la totalité de cette démarche d’évaluation. De plus, à cette évaluation vient se surajouter un ensemble d’autres investigations tels que les examens biologiques ou d’imagerie cérébrale. La réalisation du bilan neuropsychologique complet auprès d’un patient fatigable peut ainsi entraîner des résultats faussés, avec des performances sous-évaluées, en particulier sur les tests réalisés en fin de passation. Le risque est alors tout d’abord d’aboutir à un diagnostic de trouble neurocognitif erroné, mais aussi de perdre la coopération du patient qui ne souhaitera plus être revu en consultation de suivi. Face à cette fatigabilité, le neuropsychologue doit alors faire un choix entre différentes approches. Il peut décider de réaliser une évaluation « tronquée », en se limitant à des tests de dépistage tel que le Mini Mental State Examination (MMSE) [5] ou le test des 5 mots de Dubois [6]. Cette démarche, moins coûteuse en temps, pourra éventuellement déceler si la personne évaluée présente des troubles cognitifs mais elle ne permettra pas d’apporter des éléments quant à l’origine étiologique des difficultés observées. Le neuropsychologue peut également décider de scinder l’évaluation en plusieurs passations. Même si cette démarche semble appropriée à la fatigabilité de la personne âgée, elle n’est souvent pas réalisable en pratique. Les patients reçus en consultation n’ont pas la possibilité de se déplacer plusieurs fois car ils sont souvent dépendants d’autrui pour le transport. Par ailleurs, l’agenda de consultation du neuropsychologue ne permet pas toujours la réalisation de plusieurs évaluations de façon rapprochée. La réalisation de l’évaluation sur plusieurs séances pourrait être proposée aux patients hospitalisés. Cependant, le contexte d’hospitalisation est peu propice à l’évaluation cognitive. Les pathologies qui requièrent une hospitalisation sont généralement graves et génèrent un stress qui va perturber les capacités cognitives de la personne âgée [7]. Le neuropsychologue va également se heurter aux contraintes liées aux autres examens que va réaliser le patient pendant son hospitalisation et à sa date de sortie qui pourra difficilement être reculée pour cause de bilan cognitif en cours. 2. 2. Les troubles sensoriels Les troubles visuels Une seconde limitation du bilan neuropsychologique en gériatrie est l’existence fréquente de troubles sensoriels chez les personnes très âgées. En effet, les troubles visuels et auditifs sont des facteurs importants pouvant interférer avec les résultats obtenus lors du bilan. Concernant les troubles visuels, plusieurs aspects peuvent gêner le déroulement d’un test, tels que l’acuité visuelle, la sensibilité aux contrastes, la perception des couleurs, la discrimination des contours et le champ visuel [8]. Des épreuves se basant sur un matériel visuel, telles que la DMS 48 (Delayed Matching-to- Sample) [9] ou le Stroop dans sa version classique [10], peuvent être dans ce cas inadaptées à l’évaluation de la personne âgée. En 2007, Bertone et collaborateurs ont montré l’influence de la baisse d’acuité visuelle sur les performances cognitives chez des participants jeunes, en mimant auprès d’eux les troubles visuels liés au vieillissement [11]. Ces auteurs ont simulé une vision trouble chez des sujets jeunes âgés de 21 à 33 ans en utilisant des dioptries positives à une distance de 40 cm. Chaque participant a ensuite été évalué sur trois batteries regroupant des épreuves verbales et non verbales avec des présentations visuelles et auditives (WAIS III [12], D-KEFS [13] et MWCT [14]). Les auteurs ont observé une altération significative des performances aux épreuves non verbales avec présentation visuelle des items, même si l’altération de l’acuité visuelle était d’intensité légère ou modérée. Les troubles auditifs Les troubles auditifs peuvent également influencer l’évaluation, entraînant, par exemple, une mauvaise compréhension des consignes. uploads/Sante/ specificite-de-l-x27-evaluation-neuropsychologique-en-geriatrie-noel-myriam-neuropsychologue.pdf
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- Publié le Sep 15, 2021
- Catégorie Health / Santé
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