Où va la chirurgie en France? Par le Pr Jean Pierre Chambon* La société évolue

Où va la chirurgie en France? Par le Pr Jean Pierre Chambon* La société évolue et la chirurgie française qui est une vieille dame très digne et fière de ses traditions l’amenant à se considérer comme une des meilleures au monde essaie de suivre le mouvement. En 20 ans la façon d’exercer le métier a changé. La chirurgie générale n’est plus le mode d’exercice privilégié de la chirurgie en France. En effet depuis 2004 des diplômes d’étude spécialisée complémentaire du groupe 2 qualifiants ont été créés à côté du diplôme de chirurgie générale. Ils ont de plus en plus la préférence des jeunes chirurgiens qui demandent leur inscription au tableau de l’ordre des médecins par exemple en chirurgie digestive, vasculaire ou en chirurgie thoracique. Sur la période 2007/2015 les effectifs en chirurgie générale ont diminués de 10,8% (1). Mais cette spécialisation évolue et on assiste actuellement à une surspécialisation comme en chirurgie orthopédique où la spécialité se divise par exemple en chirurgie de la main, du pied ou de l’épaule. Ceci associé à des contraintes budgétaires de plus en plus prégnantes, à la féminisation de la profession et au souhait des jeunes chirurgiens de ne plus sacrifier leur vie personnelle, modifie le métier de chirurgien et amène à se poser la question du devenir de la chirurgie en France. Que sera la chirurgie française à l’horizon 2025 ? L’Académie nationale de Chirurgie a publié en 2014 un rapport (2) où étaient soulignés 3 axes d’évolution. Une nécessaire optimisation de la formation des futurs chirurgiens qui d’après ces experts passe par la filiarisation de l’internat et la réduction du temps de formation de l’internat tel que préconisés par l’ancienne Commission Nationale de l’Internat et du Post-Internat et la Commission Pédagogique Nationale des Etudes de Santé mais en préservant le compagnonnage au bloc opératoire. Une amélioration du fonctionnement des structures chirurgicales avec des plateaux techniques étoffés, des équipes chirurgicales renforcées en effectifs, des blocs opératoires totalement informatisés équipés en robots opératoires en appareils d’imagerie avec reconstruction virtuelles en endoscopie opératoire et en radiologie interventionnelle ce qui implique des regroupements des structures publiques ou privées ou la création de structures mixtes avec des investissements lourds. Une anticipation des progrès à venir dans le dépistage des cancers, dans la médecine régénérative, les thérapies cellulaires et l’ingénierie tissulaire qui amènera à développer des techniques chirurgicales conservatrices ou associées aux techniques d’équipes médicales spécialisées dans ces domaines. Si nous sommes 1 comme nos collègues optimistes et impatients de voir se poursuivre les progrès de la chirurgie qui restera partie prenante de ces formidables transformations de la médecine nous voudrions souligner quelques écueils menaçant cette évolution. Le premier est la perte du caractère universel de notre métier. La sur- spécialisation des chirurgiens a comme corollaire la limitation de leurs compétences et la disparition de la notion de prise en charge globale du malade. Mettre un drain thoracique, sonder un malade en rétention aigüe d’urine, suturer un visage, réduire et plâtrer une fracture simple, faire une trachéotomie, autant de gestes actuellement faits en urgence par les internes de chirurgie quelles que soient leurs spécialités et qui risquent de quitter le domaine commun à la chirurgie d’urgence pour dépendre de la chirurgie surspécialisée. La conséquence de cet abandon va être la multiplication des gardes de spécialité et, par souci d’économie, le risque de sortie de ces gestes du domaine de la chirurgie d’urgence pour être pris en charge par les médecins urgentistes ou les réanimateurs qui ne sont pas actuellement formés à ces gestes chirurgicaux et à la prise en charge de leurs complications éventuelles. La deuxième conséquence pour les chirurgiens pourra être la réduction de la durée de leur formation. Cela permettra de faire des économies déjà évaluées à plusieurs centaines de millions d’euro. En contrepartie se profile le risque de voir les chirurgiens devenir des techniciens opératoires formés en 2 à 4 ans après les études médicales et capables de réaliser 5 à 10 interventions, toujours répétées, parfois améliorées mais réduisant considérablement leur domaine de compétence. Ceci, là encore, imposera la multiplication des chirurgiens pour opérer un patient. Le traitement pourra être remplacé par la juxtaposition de techniques faites par différents intervenants, qui ne seront pas obligatoirement des médecins, sans que le patient se sente pris en charge par des soignants qui le connaissent personnellement qui l’assistent et qui dialoguent avec lui. La solution sera de désigner un médecin coordonnateur qui sera là pour expliquer et commenter les actes techniques ainsi que pour rassurer le patient. Le chirurgien technicien restera alors cantonné au bloc opératoire. Cette évolution est déjà observable en Amérique du Nord. Par exemple des chirurgiens hyperspécialisés dans des interventions sous cœlioscopie voient leurs patients pour la première fois la veille de l’intervention et les quittent à la sortie de la salle de réveil. Le pré et le post opératoires sont assurés par d’autres médecins. Si ceci peut se concevoir dans des spécialités où l’acte technique est court et peu invasif, il est difficilement pensable, dans l’état actuel des relations médecin malade en France, que les chirurgiens ne participent pas à la discussion de l’indication opératoire et n’assurent pas les suites opératoires. Si cela se faisait il faudrait revoir la notion de responsabilité du chirurgien et la durée du cursus médical. Il serait en effet inutile de se former durant 15 ans pour exécuter un geste technique répétitif et ritualisé. 2 La troisième conséquence est la difficulté des futurs chirurgiens à s’adapter à l’évolution de plus en plus rapide de leur métier. En 20 ans la chirurgie a été bouleversée par l’apparition de la chirurgie percutanée sous contrôle vidéo ; radiologique ou échographique. La génération des internes en chirurgie formés dans les années 1970 à 2000 a pu, grâce au caractère général de cette formation, s’adapter à des techniques qui ont fait disparaître des pans entiers de leur métier (chirurgie de la lithiase biliaire, de l’hypertension porte, des pontages vasculaires, des ruptures traumatiques de l’aorte thoracique, des remplacements valvulaires aortiques…). Qu’adviendra –t-il du chirurgien surspécialisé dans la chirurgie du cancer de la prostate quand les techniques de dépistage et de traitement médical auront fait disparaître cette pathologie ? Cette évolution a déjà été observée par exemple en chirurgie thoracique où la majorité des interventions étaient faites dans les années 1950 pour traiter la tuberculose pulmonaire compliquée. Ces techniques de thoracoplasties ont pratiquement disparu de ce cadre avec la découverte d’antibiotiques spécifiques. Les chirurgiens ont été à la pointe des progrès en médecine durant deux siècles. L’évolution des techniques et des matériels, les modifications démographiques et sociétales que nous observons actuellement leurs imposent de s’adapter et d’évoluer. Cependant les modes d’exercices, les compétences requises ne doivent pas faire perdre de vue aux chirurgiens que ce sont des médecins qui opèrent. Le dialogue avec les patients qui les consultent, la qualité de leur diagnostic avec le choix des examens complémentaires, la coordination des soins doivent rester à côté de la qualité des gestes techniques des éléments qui leurs permettront de garder leur place dans la chaîne des soins proposés. Ils éviteront ainsi de devenir des prestataires de techniques, perdus au milieu d’une cohorte d’opérateurs invisibles auxquels ferait appel un médecin coordonnateur responsable du bilan préopératoire, du diagnostic et du traitement, confiant le malade à tels ou tels techniciens après concertation avec des médecins de différentes surspécialités dont la plus part n’auront pas examiné le patient avant la réunion. Ceci imposera encore en 2025 aux chirurgiens travail, rigueur et présence prolongée auprès des patients. Mais comme malade potentiel à cette date, j’espère que les chirurgiens garderont notre idéal de qualité de soins et de services qui a fait de la chirurgie française ce qu’elle est. * Professeur Jean Pierre Chambon. Service de Chirurgie Générale et Vasculaire Hôpital Huriez 3ém Ouest 59037 Lille Cedex. – E-mail : jp-chambon@chru- lille.fr 3 Références : 1- Raux JF, Lebreton-Lerouvillois G. Atlas de la démographie médicale en France. Situation au 1er Janvier 2015. Conseil National de l’Ordre des Médecins Patrick Drouet, Président. 2- Richard F, Beaulieux J, Jaeck D, Judet H. La chirurgie en 2025. Rapport de l’Académie nationale de Chirurgie 4 uploads/Sante/ tribune-chirurgie-pr-j-p-chambon.pdf

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  • Publié le Mar 28, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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