Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Guy Bellavance, Myrtille Valex et Michel Ratté Sociologie et sociétés, vol. 36, n° 1, 2004, p. 27-57. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/009581ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 20 septembre 2012 05:42 « Le goût des autres : une analyse des répertoires culturels de nouvelles élites omnivores » L es études sur les publics d’art, dans la mesure où la sociologie est concernée, oscillent principalement entre une statistique des pratiques culturelles et une socio- logie du goût, de nature plus qualitative (Heinich, 2001, p. 49). D’un côté, les sociologues cherchent à associer des pratiques culturelles, ou des répertoires de pratiques — disci- plines ou genres artistiques — à des ensembles d’individus agrégés en groupes sociaux. De l’autre, ils s’intéressent plutôt à l’usage social de ces pratiques par des individus issus de milieux ou de groupes sociaux plus ou moins différenciés. Une bonne partie de l’in- térêt du travail de Pierre Bourdieu dans La distinction (1979), comme sa difficulté, tient précisément à la tentative de lier les deux approches. En effet, on y trouve, d’une part, des analyses quantitatives du comportement culturel de la population française des années 1960 (et non pas 1970 comme on le laisse souvent entendre,y compris chez Bourdieu),qui démontrent une forte corrélation entre pratiques culturelles et structure sociale (le fameux tableau de correspondance entre espace culturel et espace social); d’autre part, on y trouve une sociologie critique de la hiérarchie de la légitimité culturelle, déduite du guy bellavance Institut national de la recherche scientifique INRS Urbanisation, Culture et Société 3465, rue Durocher, Montréal (Québec) Canada H2X 2C6 Courriel : guy.bellavance@inrs-ucs.uquebec.ca michel ratté Université du Québec à Trois-Rivières 3351, boulevard des Forges, C.P. 500 Trois-Rivières (Québec) Canada G9A 5H7 Courriel : rattemi@globetrotter.net myrtille valex Institut national de la recherche scientifique INRS Urbanisation, Culture et Société 3465, rue Durocher, Montréal (Québec) Canada H2X 2C6 Courriel : myrtille.valex@inrs-ucs.uquebec.ca 27 Le goût des autres Une analyse des répertoires culturels de nouvelles élites omnivores1 1. Cet article résulte d’un programme de recherche triennal subventionné par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. Guy Bellavance en était le chercheur principal, en collaboration avec Marcel Fournier (cochercheur). Les entretiens d’une durée moyenne de deux heures ont été réalisés entre mars 1999 et octobre 2000. premier modèle, et qui prend pour cible le «goût pur» situé au sommet de cette même hiérarchie.Ce dernier point explique tant le post-scriptum de l’ouvrage,dirigé contre l’es- thétique kantienne, que son sous-titre général : «critique sociale du jugement esthé- tique». Le goût pur est à la fois le produit des classes dominantes et le mode dominant de légitimation du goût au sein de ces classes et au-delà. Bourdieu reste néanmoins fort conscient de la difficulté de lier les deux angles d’approche, quantitatif et qualitatif. Entre les deux, il fait ainsi intervenir divers concepts, notamment ceux de capital culturel et d’habitus, qu’il a développés dans une perspective néomarxiste. Le recours à deux autres traditions infléchit par ailleurs considérablement la perspective marxiste ordinaire. Empruntant à Weber la notion de styles de vie, il déplace l’attention de la production à la consommation et souligne la dimension de prestige (et de standing) attachée à certains statuts sociaux dominants. Il donne aussi une tournure paradoxale à la notion de classe — à la fois classe sociale (concrète) et classe de goût (abstraite ou logique) — se situant cette fois entre Marx et Durkheim pour passer de la sorte du plan économique strict à celui de l’économie symbolique : le goût classe (au sens durkheimien) et classe celui qui classe (au sens marxiste). L’exégèse de ce tour de force, ou de passe-passe, reste à faire, d’autant plus que ces chevauchements théoriques compliquent la lecture : a-t-on affaire à un auteur (encore) marxiste, à un durkheimien de gauche ou à un wébérien dissident? Le modèle de Bourdieu n’en suppose pas moins une adéquation très forte entre identité culturelle et statut social : le goût est un marqueur de classe et de distinction, et il l’est d’autant plus qu’il est pur. À la fois classe de goût et habitus de classe, le goût pur se prête ainsi à devenir générateur de distinctions/différences (sur un double plan symbolique et social) et d’exclusions. Le goût pur (désintéressé) pour l’art pur (ou autonome) définirait de la sorte non seulement le goût légitime ou le bon goût, mais plus profondément encore «l’usage correct du goût», le «bon habitus» pourrait-on dire. Ceci conduit Bourdieu à dégager une hiérarchie des styles de vie et des habitus échelonnée de la distinction bourgeoise à la soumission populaire, en passant par la pré- tention petite-bourgeoise. Dans La distinction, deux cibles bien différentes sont cepen- dant visées : sur un premier plan, l’inégale distribution des biens culturels (incluant les arts, mais aussi plusieurs autres choses); et, sur un second, une manière d’être, pur ou puriste, rattachée à un style de vie, et dont une certaine conception moderne/bour- geoise de l’art, capital incorporé à un habitus, représente l’épiphanie. On peut toutefois se demander si, passant de la sorte d’un angle quantitatif à un angle qualitatif, Bourdieu n’aurait pas cédé à une surinterprétation de ses propres don- nées. La montée apparente de l’«omnivorisme» et de l’éclectisme branché, pointée dans les travaux respectifs de Richard A. Peterson et de ses collaborateurs (1992 et 1996), aux États-Unis, et d’Olivier Donnat (1994), en France, convie aujourd’hui à un retour critique sur les propositions du Bourdieu de La distinction. En effet, le rapprochement entre les figures de l’omnivore et du branché éclectique suggère qu’une nouvelle classe de goût, ou un nouvel habitus de classe, celui de branchés omnivores, a remplacé l’an- cienne classe élitiste puriste, autrefois épinglée par Bourdieu. À notre avis, la vraie ques- tion n’est toutefois pas tant à savoir si ces branchés omnivores occupent désormais le 28 sociologie et sociétés • vol. xxxvi.1 sommet de la hiérarchie de la légitimité culturelle. Elle consiste plutôt à savoir si, de la stratification sociale des pratiques culturelles observée statistiquement, et qui semble incontestable, on peut déduire l’existence d’une stratification sociale des goûts, de nature plus subjective ou intersubjective, aussi bien stabilisée et hiérarchisée que celle que propose Bourdieu. Or, la statistique des pratiques culturelles, sur laquelle s’ap- puient abondamment les chercheurs, n’est peut-être pas la meilleure façon de cerner ce genre de problème. Ce que recueillent les sondages ce ne sont pas des goûts mais des pratiques ou, à la rigueur, des «choix de pratiques» lorsqu’il s’agit d’exprimer des pré- férences. On ne sait rien pour autant des usages (pratiques, idéologiques, existentiels) qui sont faits de ces pratiques. Il n’est donc pas certain qu’à la pratique cultivée (ou légi- time) déclarée corresponde un usage cultivé (ou pur) de cette même pratique : on peut aller à l’opéra comme on va à une comédie musicale; en sens inverse, on peut écouter des chansons sentimentales à la manière d’un esthète puriste. Par ailleurs, ce goût, et au premier chef le goût populaire, peut s’exercer sur de tout autres objets que ceux que pro- posent les listes de sondages. Ceci a son importance dans le cas où ces pratiques popu- laires ne sont pas (ou plus) strictement celles des classes populaires. Dans cet article, notre intention est d’examiner, à partir cette fois d’un matériau qualitatif et en portant une attention particulière aux usages des répertoires culturels, les diverses significations que peuvent prendre ces notions d’«omnivorisme» et d’éclec- tisme, qui demeurent somme toute peu théorisées. Cet examen se basera sur la pré- sentation de trois cas d’amateur d’arts, qui sont aussi de grands consommateurs de produits culturels. Ces cas sont tirés d’une enquête par entretiens semi-directifs ayant pour objet l’univers culturel et la consommation de ce qu’il est convenu de nommer les nouvelles classes moyennes supérieures. Avant de voir plus avant de quelles façons ces cas informent les figures de l’«omnivorisme», de l’éclectisme et, par le fait même, leur contrepartie puriste, nous discuterons comment la montée apparente des deux pre- mières met aujourd’hui à l’épreuve la théorie de la légitimité. goût omnivore et pratiques éclectiques : une nouvelle légitimité? Qu’il existe une stratification sociale des pratiques culturelles,et qu’elle soit incontestable, ne signifie pas qu’il y ait une stratification sociale des goûts,du moins si on définit le goût comme autre chose qu’un simple comportement de consommation et d’information. Si on le définit au contraire comme une forme d’appréciation et d’expérience de soi, du monde et d’autrui s’exerçant à travers des objets et mettant en jeu uploads/Societe et culture/ bellavance-g-valex-m-ratte-m-le-gout-des-autres-une-analyse-des-repertoires-culturels-de-nouvelles-elites-omnivores.pdf

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