144 BBF juin 2014 BIBLIOTHÈQUES ET RADIOS PUBLIQUES Une vision commune de la mé

144 BBF juin 2014 BIBLIOTHÈQUES ET RADIOS PUBLIQUES Une vision commune de la médiation des savoirs à l’ère du numérique ? Cécile Queffélec Conservateur des bibliothèques «U ne bibliothèque d’Alexandrie sonore ». C’est ainsi qu’Olivier Poivre d’Arvor décrit France Culture 1. En apparence, radios et bibliothèques paraissent bien différentes, tant dans leur support (le son et, traditionnelle- ment, l’écrit) que dans leur structure. À l’origine médias de flux, les radios se rapprochent des médias de stock, avec une collection d’émis- sions dotée de profondeur documentaire. À l’in- verse, les bibliothèques questionnent leur place dans le flux virtuel d’information qui caractérise le monde contemporain. Ces évolutions conver- gentes mettent en lumière les missions que les bibliothèques partagent avec France Inter et France Culture 2. Les missions de Radio France sont en effet d’apporter aux citoyens informations, enrichis- sement culturel et divertissement3, en alliant « exigence intellectuelle et respect du grand public 4 ». Elles ont également une dimension patrimoniale, par la création, la conservation et la diffusion de fictions radiophoniques. Si les missions des bibliothèques de lecture publique ont pu être l’objet de débats, il n’en demeure pas moins que le manifeste de l’Unesco pour les bibliothèques publiques ainsi que la Charte des bibliothèques insistent sur leur rôle dans la « fabrique du citoyen », par le développement de la lecture, mais aussi l’initiation au numé- rique, le contact avec l’art, la valorisation du patrimoine… Bibliothèques et radios publiques trouvent donc leur légitimité dans leur capa- cité à offrir de l’information aux citoyens, dans l’expression de différentes sensibilités et dans le respect du pluralisme des opinions. Dans cette perspective, bibliothèques et radios ont des visions comparables de la médiation du savoir ainsi que des compétences complémentaires. 1 « À 50 ans, France Culture se rêve en “bibliothèque d’Alexandrie sonore” », France Info, La semaine des médias, 7 septembre 2013. 2 L’idée de cette comparaison vient de Martine Poulain, que je remercie pour avoir proposé ce sujet dans la liste des mémoires d’études de la promotion DCB 22. 3 Décret portant approbation du cahier des missions et des charges de Radio France, 13 novembre 1987. Annexe : Cahier des missions et des charges de Radio France, chapitre 1er, article 3. 4 « Les missions de Radio France », site internet de Radio France : http://www.radiofrance. fr/l-entreprise/les- missions-de-radio-france Bibliothèques et radios publiques trouvent leur légitimité dans leur capacité à offrir de l’information aux citoyens, dans l’expression de différentes sensibilités et dans le respect du pluralisme des opinions. 145 BBF juin 2014 « ÇA PEUT PAS FAIRE DE MAL 5 » : LE RAPPORT À LA CULTURE ET AUX SAVOIRS LÉGITIMES/ILLÉGITIMES Bibliothèques comme radios aspirent à diffuser une culture de qualité au plus grand nombre, tout en étant ouvertes sur le monde. Par consé- quent, elles sont prises au paradoxe « aristo- démocratique 6 ». En tant que services publics, leurs missions et leurs justifications se trouvent dans leur capacité à faire de leurs usagers des citoyens éclairés en affûtant leur esprit critique et en permettant à chacun l’accès au savoir. Par leur opposition à des médias ou des acteurs culturels privés, elles sont réticentes, notam- ment pour les bibliothèques, à faire de l’usager un consommateur. Mais leur statut de service public et d’agent de l’État et des collectivités leur donne souvent une position de surplomb vis-à-vis de leurs publics. Elles sont de plus héri- tières d’une conception élitiste de la culture tout en ayant vocation à s’adresser à tous, ce qui les place parfois dans une position ambiguë. D’après les sociologues Hervé Glevarec et Michel Pinet, France Culture n’était pas à l’ori- gine dans une perspective de démocratisation culturelle 7. Cependant, le discours porté ces dernières années par la chaîne marque une volonté d’ouverture et de modernité, affirmant l’importance de l’identité de la chaîne (exi- gence, importance de la fiction radiophonique) mais aussi l’actualité des thématiques 8 et l’ex- pansion que connaît la chaîne grâce au numé- rique (sur laquelle nous reviendrons plus loin). Comme l’a rappelé en septembre 2013 Jean-Luc Hees, président de Radio France, l’un des axes stra­ tégiques pour France Culture est d’élargir le cercle des auditeurs, car « France Culture appartient à tous », et de viser notamment un public plus jeune. Une vidéo diffusée à l’occa- sion du cinquantième anniversaire présente par exemple des témoignages d’auditeurs sous le titre « France Culture, c’est pour vous 9 » et est présentée par les termes « France Culture s’adresse à toutes et à tous… France Culture, c’est pour vous ! ». Ce discours s’accompagne d’ailleurs d’une augmentation de l’audience cumulée de France Culture, qui a franchi le cap symbolique des 2 % courant 2012 et l’a conso- lidé depuis 10. 5 Émission hebdomadaire durant laquelle le comédien Guillaume Gallienne propose sur France Inter des lectures de textes de la littérature classique. http://www. franceinter.fr/emission-ca- peut-pas-faire-de-mal 6 Martine Poulain, « Bibliothèque et démocratisation culturelle », dans Les 25 ans de la BPI : encyclopédisme, actualité, libre-accès, [actes du colloque des 23 et 24 octobre 2002], BPI/ Centre Pompidou, 2003, p. 165-169. 7 « L’idéologie de France Culture n’a jamais été de démocratisation ; bien au contraire, elle est journalistique, artistique et expressiviste. » Hervé Glevarec et Michel Pinet, « France Culture : une seconde radio pour les professions intellectuelles et culturelles », Le Mouvement social, t. 219-220, no 2-3, 2007,p. 115-129. 8 Comme le rappelle Olivier Poivre d’Arvor, directeur de la chaîne, dans sa préface à l’ouvrage de son cinquantième anniversaire : « Cette radio est donc bien de son temps, même si, visant sans complexe à une forme d’universalité des savoirs tout en célébrant leur diversité, elle aime relier l’actualité à son socle historique, placer les événements dans une perspective, décrypter, tamiser, écumer, confronter. » Olivier Poivre d’Arvor, « Préface », dans : Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin, 50 ans de France Culture, Flammarion/France Culture, 2013, p. 10. 9 http://radiofrance. djehouti.com/ franceculture/50ans/ Pour-Vous-1.html 10 Voir par exemple les relevés commentés sur le blog de la chaîne, « Au fil des ondes » : http://www. franceculture.fr/blog-au- fil-des-ondes 146 BBF juin 2014 Le cas de France Inter est un peu différent. Se présentant comme une « radio généraliste par excellence 11 », elle affirme sa vocation de s’adresser à un large public. Le ton adopté, à l’antenne comme dans sa communication, se veut plus décontracté que celui de France Culture, sans exclure une aspiration à l’excel- lence. L’idée de liberté de ton est également très présente, comme le souligne le slogan adopté en 2012, « la voix est libre ». Elle va de pair avec l’affirmation d’une forme d’exigence qui n’est pas tout à fait la même que celle de France Culture mais affirme en tout premier lieu sa volonté de faire réfléchir ses auditeurs. France Inter se réclame également d’un esprit de partage avec le public, d’une forme de co- construction des contenus, comme l’indique cette introduction à l’une des émissions de célébration de son cinquantenaire : « En fait, à Inter, avant même l’invention du médiateur dans les années 2000, on préfère d’instinct la médiation. Les clubs, le courrier, aujourd’hui les courriels ou les échanges sur les réseaux sociaux. On ne s’inquiète pas non plus si l’auditeur écoute en silence. On sait qu’il n’en pense pas moins : la radio n’est plus un instrument de propagande, c’est la plus extraordinaire machine à détecter le mensonge dont dispose le citoyen 12. » Ce dis- cours semble placer la station sur un dispositif qui n’est pas celui de la transmission verticale, mais de l’échange avec l’auditeur. Quant aux bibliothèques, elles ont un rapport complexe à la démocratisation culturelle 13. La polysémie même de cette expression, ainsi que la question de son « échec » a été l’occasion de nombreux débats. La nécessité d’être tour- né vers le public constitue une préoccupation constante, mais la culture dont la bibliothèque se fait le relais, ainsi que le type de médiation dont elle fait l’objet, restent des questions com- plexes. Ces visions proches ont des conséquences sur les contenus proposés au public. Il s’agit pour les radios avant tout des émissions. Pour les bi- 11 Site internet de France Inter, page « À propos », http://www.franceinter.fr/ page-statique-a-propos 12 « L’auditeur actif », La marche de l’histoire, émission produite par Jean Lebrun, 4 décembre 2013. http://www. franceinter.fr/emission- la-marche-de-l-histoire- lauditeur-actif 13 Voir : Gwénaëlle Cousin-Rossignol, Les bibliothèques face à l’« échec de la démocratisation culturelle », mémoire de DCB sous la direction d’Anne-Marie Bertrand, Enssib, janvier 2014. Disponible en ligne : http://www.enssib.fr/ bibliotheque-numerique/ 147 BBF juin 2014 bliothèques, on compte bien sûr les collections, mais aussi l’action culturelle, qui constitue un contenu à part entière 14. Radios et bibliothèques sont dans une perspective qui se veut différente de celle adoptée par l’école ou l’université, y compris lorsqu’elles invitent des universitaires. La notion de plaisir est vue comme essentielle dans l’acquisition du savoir. Une divergence peut cependant se trouver dans le traitement des genres littéraires 15. Certains d’entre eux, comme la science-fiction 16 ou le manga 17, ont pu uploads/Societe et culture/ bibliotheques-et-radios-publiques.pdf

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