Contenus culturels des manuels de lecture à l'école de base: enjeux d'un choix
Contenus culturels des manuels de lecture à l'école de base: enjeux d'un choix Poser la question de l'impact des contenus culturels dans les manuels de lecture en français sur la compréhension de ces textes et sur le degré de maîtrise de cette langue, c'est s'interroger sur: - les orientations générales des choix en rapport avec cette question; - le profil visé et le profil réel de l'apprenant en termes de compétences culturelles; - le degré de prise en considération des contraintes pédagogique et didactique dans le choix des textes à charge culturelle. C'est ce que nous proposons d'analyser au niveau des orientations et au niveau des contenus textuels. 1- Les enjeux liés aux orientations du système D'un point de vue anthropologique, la culture est définie comme « l’ensemble des traits distinctifs caractérisant le mode de vie d’un peuple, d’une société ». Théoriquement, l'apprentissage d'une langue étrangère en tant qu'outil de communication devrait permettre l'interaction entre le spécifique, le commun et le différent. Il devrait donc avoir trois types d'objectifs selon chaque volet: Pour la culture nationale: - exprimer sa propre culture à travers la langue de l'autre; - contribuer à travers cette langue à enrichir la pensée universelle de l'apport de sa propre culture. Pour l'interculturel: - détecter dans le spécifique les manifestations particulières de valeurs humaines d’ordre universel ; - admettre l’existence d’éléments culturels universels à construire ensemble ; ces éléments sont liés à la destinée commune et concernent à titre d’exemples les aspirations des peuples à la liberté, la lutte contre toutes les formes de discrimination, le respect de l’environnement, etc. Pour la culture de l'autre: - s'ouvrir sur cette culture pour enrichir sa propre culture; - apprendre à vivre avec l’autre, à accepter et à respecter la différence. Ainsi, la pluralité culturelle ne doit pas estomper la spécificité sur laquelle viennent se greffer les apports de l'interaction. Dans la réalité historique du moment, le tableau n'est pas si clair. Avec la mondialisation, s’est développée une culture de consommation de 1 masse promue par la médiatisation et la libre circulation des marchandises et des informations- souvent mises au service des intérêts et de la recherche du profit. Cette culture affecte « les façons de vivre, le savoir-être et les habitus, etc. ». Elle fait des ravages dans des sociétés qui ne sont pas disposées économiquement et socialement à en subir les conséquences. Cette tendance à la domination d'un modèle culturel, sentie parfois comme une menace et suscitant toutes sortes d'enfermements, de fanatismes et d’extrémismes, trouve son expression dans deux approches qui constituent, à notre sens, les deux revers de la même médaille: - celle qui prône l'homogénéisation culturelle sous couvert d'universalité absolue; - celle qui revendique l'atomisation de la culture en considérant " que l’individu est porteur d’une culture unique » (Haydée Maga & Manuelle Ferreira Pinto 2005). Dans les deux cas, on fait de l’individualisme la pièce angulaire de la culture de consommation qui par l’ébranlement des spécificités culturelles, livre l’individu dans sa solitude aux forces de la manipulation. Dans le contexte éducatif tunisien, le survol de trois textes références permet de comprendre le positionnement des orientations en matière des langues étrangères en général et du français en particulier. Pour les concepteurs de La nouvelle réforme du système éducatif tunisien, "intégrer l’économie mondiale suppose une large ouverture sur le monde, non pas seulement en termes de marché, mais aussi en termes de rapports culturels et d’échanges humains avec les autres pays. Ainsi, "une interaction constructive et enrichissante exige [entre autres] de l’Ecole …qu’elle dote les élèves d’une véritable culture technologique, la culture de l’époque, qui n’est pas réductible à l’acquisition de connaissances et de savoir-faire précis dans les disciplines scientifiques et techniques. Il s’agit de développer des modes de penser, un habitus, des représentations qui fondent un nouvel état d’esprit propre au citoyen du monde d’aujourd’hui". Dans ce document, si l’idée d’ouverture est au cœur de ces orientations, elle paraît cependant obéir à un déterminisme économique qui en fait un besoin de s’ajuster à une certaine conception de l’universalité (la culture de l'époque), précisément celle liée à la mondialisation de l’économie de marché. Rien ne permet d’inscrire l’idée de citoyen du monde d’aujourd’hui hors du cadre de standardisation impliqué par la globalisation. Dans le préambule des programmes officiels, on avance dans le même sens que «les langues étrangères sont enseignées … en tant qu'outils de communication et moyens d'accès direct aux productions de la pensée 2 universelle : valeurs civilisationnelles, théories scientifiques et technologies. Les jeunes sont ainsi préparés à suivre les progrès enregistrés dans ces domaines et à y contribuer d'une manière qui permette à la fois d'enrichir la culture nationale et d'assurer son interaction avec la culture universelle ». L’évocation timide de la culture nationale susceptible d’être enrichie sans être appelée à son tour à contribuer institue plutôt une interaction unidirectionnelle et en fait le parent pauvre dans ce processus d’apprentissage des langues étrangères. L’altérité tout comme l’identité n'est pas envisagée du point de vue de la diversité mais plutôt de l’homogénéité. Enfin, selon Le Cadre Commun Européen de Référence, qui a inspiré, pour cette réforme, les concepteurs d’un référentiel de compétences pour l’enseignement du français au supérieur "les différentes cultures (nationale, régionale, sociale) auxquelles quelqu’un a accédé ne coexistent pas simplement côte à côte dans sa compétence culturelle. Elles se comparent, s’opposent et interagissent activement pour produire une compétence pluriculturelle enrichie et intégrée dont la compétence plurilingue est l’une des composantes, elle-même interagissant avec d’autres composantes. Sans cette mise en contact et sans la possibilité d’exprimer sa propre culture dans la langue de l’autre, on restera loin de la « prise de conscience interculturelle », loin de former des jeunes ayant « la capacité de jouer le rôle d’intermédiaire culturel entre [leur] propre culture et la culture étrangère et de gérer efficacement des situations de malentendus et de conflits culturels ». Cette dimension est d’autant plus nécessaire dans le contexte tunisien qu’on n’est pas dans le cas des « peuples d’Europe [qui, à certains égards] semblent partager une culture commune » ce qui a permis de chapeauter le document par « Apprentissage des langues et citoyenneté européenne ». Par ailleurs, les concepteurs de ce référentiel de compétences mettent en garde qu’il « ne propose pas de contenus précis". « Les concepteurs de programmes, les auteurs de manuels, les enseignants et les examinateurs devront prendre des décisions concrètes très précises quant au contenu des textes, des exercices, des activités, des tests, etc. Cette démarche ne saurait en aucun cas se réduire à un choix sur un menu ». Dans la pratique, souvent, se coller aux contenus des manuels est devenu une tradition chez les enseignants du primaire, du secondaire et même du supérieur. 2- Les enjeux liés aux contenus culturels des manuels de lecture Pour mieux cibler notre regard critique vis-à-vis des contenus culturels dans les manuels de lecture pour les classes de français, nous 3 définirons d'abord les critères sous-tendant ce regard puis nous commenterons les contenus proposés à la lumière de ces critères avant de voir l'impact de cette dimension sur le degré de maîtrise de la langue enseignée. Loin des considérations idéologiques, nous retenons deux critères de nature pédagogique et didactique. Le premier concerne le respect des compétences cognitives du stade opératoire de l’enfance (entre 7 et 11 ans). Haydée Silva formule ainsi les facteurs à considérer dans l’acquisition d’une langue étrangère à ce stade : - « capital déjà existant de savoirs et de savoir-faire ; - besoin de chercher des thèmes proches du milieu de l’enfant ; - possibilité de travailler sur l’interculturel par la comparaison (comparer, se comparer) qui répond au besoin de s’identifier et d’intérioriser progressivement les nouveautés rencontrées » (2003 : 13). En France par exemple, les programmes de l’école primaire mentionnent qu’en « cycle 3, la pédagogie en langue vivante s’appuie sur l’expérience concrète de la classe ou de l’environnement immédiat de l’élève » (page 16). Le second concerne l'idée de connexion entre les cultures en contact allant du connu à l'inconnu (ce qui est un principe de l'entendement humain). Robert Galisson souligne dans ce sens que "certaines enquêtes de terrain conduites auprès d’enseignants de langues-cultures …suggèrent de passer par une analyse de la culture-source en situation, avant d’aborder la culture-cible. Autrement dit, de prendre appui dans l’intaculturel avant d’aborder l’interculturel. En effet, pour participer activement à cette quête de sens, l’apprenant a besoin de mobiliser ses repères et ses références, peut-être de conscientiser ce qu’il connaît ou maîtrise déjà par expérience, avant d’entrer en contact avec ce qu’il ignore de l’étranger » (2002 : 508). L’école tunisienne procède autrement. Il suffit de consulter les livres de lecture des deux premières années de l’enseignement du français pour s’en rendre compte. L’enfant commence l’apprentissage de cette langue dans un univers qui lui est presque totalement étranger. Les activités quotidiennes, les jeux, les repas etc. n’ont rien à voir avec son quotidien : 4 Contenus des programmes de 3ème et 4ème années de l’école de base Les jeux uploads/Societe et culture/ contenus-culturels-des-manuels-de-lecture.pdf
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- Publié le Aoû 29, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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