APPROCHE THÉORIQUE DE LA NOTION DE POLITESSE 1. Les quatre théories de la polit
APPROCHE THÉORIQUE DE LA NOTION DE POLITESSE 1. Les quatre théories de la politesse La politesse a toujours été un phénomène qui a fortement marqué les relations interpersonnelles. Mais paradoxalement, malgré l’importance qu’on lui a accordé depuis des siècles, la politesse reste un sujet controversé parmi les chercheurs qui, jusqu’à présent, ne se sont pas mis d’accord sur une définition précise de ce concept ou sur une délimitation exacte de son champ de recherche. Dans le Dictionnaire de la langue française (Hachette, 2001) la politesse est définie comme: «l’ensemble des règles, des usages qui déterminent le comportement dans un groupe social, et qu’il convient de respecter; délicatesse, raffinement». Selon Le Petit Robert (Nouvelle édition, 2003) la politesse est «l’ensemble des usages, des règles qui régissent le comportement, le langage, considérés comme les meilleurs dans une société; le fait et la manière d’observer ces usages» ayant les synonymes suivants: affabilité, civilité, courtoisie, éducation, savoir-vivre, urbanité, bienséance, bon goût, délicatesse. Cet article est censé présenter brièvement les quatre théories principales qui ont influencé l’analyse scientifique de la politesse à travers le temps aussi bien qu’une classification des sociétés en fonction du système linguistique de la politesse élaboré par Kerbrat-Orecchioni. Avant de poursuivre cette démarche, il faut préciser qu’il est difficile d’accepter l’existence d’une théorie valide et universelle et que chacune des versions qui circulent peut être améliorée. A. La perspective socio-normative : Cette perspective repose sur l’acception que le grand public donne par tradition au concept de la politesse. Il s’agit du présupposé que chaque société a une série de normes sociales qui se manifestent dans des règles plus ou moins explicites sur ce qui constitue un comportement social adéquat. La politesse représente ainsi l’application de ces règles dans les interactions sociales, tandis que l’impolitesse équivaut à la violation de ces normes. Si les premières théories de la politesse qui ont été formulées dans les termes de la pragmatique contemporaine remontent au milieu des années 70, la réflexion sur la politesse est, selon Bruce Fraser (1990: 220-221) bien antérieure. Elle s’est manifestée en particulier dans la littérature préscientifique sur l’étiquette et sur les manières qui se met à proliférer en Europe à partir du XVI-ème siècle. Des ouvrages comme : «Le Cortegiano» de Baldassar Castiglione (1528), «Le Galateo» de Giovanni della Casa (1558) ou «La civilité puérile» d’Erasme (1530) ne cessèrent jusqu’au début du XIX-ème siècle d’être traduits, adaptés et plagiés fondant ainsi une sorte de nouveau genre littéraire. (Fraser, idem). Bien que l’approche socio-normative jouisse d’une telle popularité, la tradition de travaux linguistiques connaît peu ou pas de références à cette perspective et on peut sans doute affirmer qu'elle compte peu d’adeptes parmi les linguistes contemporains. 1 B. La perspective de l’analyse du discours: les maximes conversationnelles Le promoteur de cette théorie est le linguiste Paul Grice selon lequel «tout locuteur est un individu rationnel dont le but principal est de transmettre d’une manière efficace son message»1 (1975 : 45). Suivant ce raisonnement, toute conversation est censée respecter le Principe général de la Coopération qu’on peut paraphraser de la sorte: «il faut dire ce qu’on veut dire, quand on veut le dire et de la manière qu’on veut le dire»2 (idem). Ce principe universel est associé à une série de maximes spécifiques qui régularisent l’emploi des formes linguistiques dans la communication. La transgression de ces maximes n’équivaut pas à une utilisation fautive des règles grammaticales; par contre, il s’agit d’un choix de la part du locuteur qui, en transgressant une ou plusieurs maximes conversationnelles, signale une certaine intention de communication. Robin Lakoff (1973: 296-297) fut parmi les premiers à adopter le point de vue de Grice dans une étude sur la politesse. Elle étend la notion de règle de grammaire au domaine de la pragmatique en considérant que les phrases sont polies ou impolies en elles-mêmes. Lakoff (1973: 298-301) propose ainsi deux règles qui gouvernent la Compétence Pragmatique : - être clair (qui est d’ailleurs une maxime de Grice) - être poli Comme les deux règles entrent parfois en conflit, Lakoff (idem) élabore encore trois maximes sous-jacentes qui sont employées dans des situations spécifiques pour respecter les normes du comportement poli : - ne pas imposer (politesse formelle) - donner des options (politesse informelle) - flatter l’interlocuteur (politesse familière) Geoffrey Leech (cf. 1983) continue les recherches de Grice et élabore sa propre théorie de la politesse. Selon Leech, la politesse entre dans le domaine de la «Rhétorique Interpersonnelle» qui doit respecter au moins trois types de règles, notamment celles associées au : - principe de la coopération (emprunté à Grice) - principe de la politesse - principe de l’ironie Tout comme Lakoff, Leech (cf. 1983 : 82) considère que ces principes engendrent des tensions au niveau du locuteur qui doit choisir, pour chaque situation de communication, quel message transmettre et de quelle manière. C’est ainsi qu'il propose une distinction plus nuancée entre ses principes en faisant appel aux notions de: tact, modestie, générosité, approbation etc. qui réclament l’élaboration des maximes. En plus, chacune de ces maximes présente une échelle de gradation que le locuteur évalue pour déterminer, par exemple, le degré de tact ou de générosité requis par une certaine situation conversationnelle. Leech 2 (idem) distingue entre la «politesse relative» strictement liée à une situation spécifique et la «politesse absolue» qui détermine le degré de politesse associé à chaque acte de langage, «sa valeur inhérente de politesse». Par exemple, l’ordre est perçu comme impoli par sa nature tandis que l’offre est toujours ressentie comme un acte poli. On a ainsi besoin d’une «politesse négative» par laquelle on minimalise l’impolitesse des actes de langage impolis aussi bien que d’une «politesse positive» qui consiste à maximiser la politesse des actes de langage polis. Dans la recherche actuelle, les théories des linguistes cités ci-dessus, fondées sur les maximes conversationnelles, éveillent des soupçons à cause de leurs arguments difficiles à évaluer. La critique principale réside dans le fait qu’aucune de ces versions ne donne une définition claire et précise de la politesse. En outre, malgré la complexité des démarches entreprises par des chercheurs comme Leech, ces études manquent les outils nécessaires pour mettre en pratique leur théorie et semblent d’aboutir à des conclusions trop radicales. C. Les rites d’interaction: menacer/menager la face Les représentants de cette théorie, Penelope Brown et Stephen Levinson, ont révolutionné la recherche dans le domaine de la politesse avec leur ouvrage de référence «Universals in Language Use: Politeness Phenomena» (1978) republié en 1987 sous le titre de «Politeness : Some Universals in Language Use». Brown et Levinson ne mettent pas en question la validité de la perspective sur l’interaction verbale proposée par Grice. Mais, contrairement à l’approche de Leech, pour eux le principe de la coopération fonctionne seulement comme cadre social neutre. Dans ce cadre toute communication apparaît sous la présomption qu’il n’y a aucune déviation censée minimaliser l’efficacité rationnelle sans raison. Leur modèle renvoie à la notion clé de «face» proposée par Erving Goffman (cf. 1987), et à ce que les deux linguistes définissent comme «l’image publique» de tout individu, une image de soi vulnérable, qui peut être menacée par certains actes de langage. Comme tous les participants à la communication désirent ménager leur propre face aussi bien que celle d’autrui, chacun développe des stratégies de politesse par lesquelles il transmet le message aussi bien qu’une certaine intention de communication, notamment l’intention d’être poli. Si Leech perçoit les actes de langage comme polis ou impolis par nature, Brown et Levinson (1987: 65) considèrent que «certains actes représentent une potentielle menace à la face»3 de l’auditeur, du locuteur ou de deux participants à la communication. En même temps, ils (cf. 1987: 76-80) proposent trois variables indépendantes par lesquelles tout locuteur peut déterminer en quelle mesure un acte de langage menace la face. Il s’agit de : - le degré de gravité d’un acte menaçant pour les faces des interlocuteurs - la distance sociale entre les participants à la communication - les relations de pouvoir établies entre eux 3 Selon Brown et Levinson (idem), le locuteur évalue chacune de ces variables et aboutit à un résultat cumulatif qui lui permet de déterminer la gravité de l’acte de langage qu’il est en train d’accomplir et en fonction duquel il choisit la stratégie de politesse adéquate. Bien que le modèle de Brown et Levinson soit considéré par la plupart des chercheurs comme «la théorie de la politesse la mieux articulée» (Fraser, 1990 : 235), élaborée jusqu’à présent, il y a toujours des points qui peuvent le remettre en question. On peut se demander par exemple si la notion de face a la même acception dans toutes les cultures; ou si les trois variables proposées sont suffisantes pour calculer dans quelle mesure un acte menace la face; ou si les locuteurs appliquent effectivement les stratégies de politesse pour minimiser le risque de commettre des actes menaçants. D. Le contrat conversationnel Cette approche fut élaborée par les linguistes Bruce Fraser et William Nolen (cf. 1981), et suppose que les locuteurs entrent en communication avec le savoir uploads/Societe et culture/ cours-politesse.pdf
Documents similaires










-
52
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 13, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
- Taille du fichier 0.4035MB