DU CONSTAT À L’ANALYSE : LE SECTEUR CULTUREL AU RISQUE DE L’ÉGALITÉ ENTRE HOMME

DU CONSTAT À L’ANALYSE : LE SECTEUR CULTUREL AU RISQUE DE L’ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES Cécile Bonthonneau Observatoire des politiques culturelles | « L'Observatoire » 2014/1 N˚ 44 | pages 40 à 43 ISSN 1165-2675 DOI 10.3917/lobs.044.0040 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2014-1-page-40.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Observatoire des politiques culturelles. © Observatoire des politiques culturelles. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) page 40 | l’Observatoire - No 44, été 2014 - dossier UN CONSTAT SANS APPEL ET… SANS CONSÉQUENCE SUR LES INÉGALITÉS En mai 2006, le ministère de la Culture publiait le rapport commandé à Reine Prat1 dans le cadre de la mission pour l’égalité et contre les exclusions. L’annonce des premiers chiffres nationaux a permis de prendre la mesure du plafond de verre dans le secteur culturel et constitue sans aucun doute le point de départ d’un mouvement de fond qui a porté progressivement cette question au devant de la scène culturelle professionnelle et politique. Cette première étude, actualisée et élargie chaque année depuis 2012 grâce à la création de l’Observatoire de l’égalité du ministère de la Culture2, a mis en visibilité la place très congrue des femmes dans une profession pourtant certaine de son ouverture et de sa posture critique. Les chiffres attestent l’existence d’un solide plafond de verre, plus ou moins élevé selon les domaines artistiques, tant pour l’accès aux responsabilités qu’aux moyens de production. Accès aux responsabilités - La musique « savante » est le sec- teur le plus sinistré : aucune femme à la direction artistique d’un orchestre national ou d’un centre national de création musicale. - Malgré leur émergence récente, les scènes de musiques actuelles sont 13 % à être dirigées par des femmes. - Les scènes généralistes du spectacle vivant affi chent des chiffres plus encourageants avec 29 % de femmes à la tête des scènes nationales mais seulement 15 % des centres drama- tiques nationaux sont dirigés par des femmes. - L’art contemporain fait en revanche exception avec 61 % de femmes à la tête des Fonds régionaux d’art contemporain. Les femmes semblent également mieux représentées dans le secteur du patrimoine. Selon un échantillon aléatoire composé à par- tir des musées ayant le label Musées de France3, elles seraient 63 % à la direction des musées. Accès aux moyens de production : - Sur l’ensemble des programma- tions de spectacle vivant (2012-2013) analysées par l’Observatoire de l’éga- lité (soit 2630 spectacles), 26 % sont chorégraphiés ou mis en scène par des femmes. - Les femmes sont entre 3 % et 5 % à la direction musicale des concerts et représentations d’opéras. - 34 % des acquisitions des Fonds régionaux d’art contemporain sont des œuvres réalisées par des femmes. Elles sont 30 % parmi les invités des 12 plus importants festivals litté- raires aidés par le Centre national du livre. - Le nombre de femmes aidées dans le cadre des aides du CNC est passé de 35 % en 2009 à 44 % en 2010. 9,2 % des fi lms diff usés à la télévi- sion en 2012 sont réalisés par des femmes. Source : Observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication – Mars 2014 Au début du XXe siècle, il était encore impossible d’aborder la question de l’égalité entre hommes et femmes dans les cercles de professionnel-le-s de la culture. Des enjeux toujours plus importants et plus urgents renvoyaient immanquablement le débat à une occasion ultérieure qui a longtemps tardé à se présenter. Ces lignes en témoignent, cette longue période où le sujet n’avait tout simplement pas droit de cité semble révolue. Cette nouvelle légitimité est loin d’être anecdotique et marque une étape indispensable à toute politique d’égalité entre femmes et hommes : le temps de l’observation et la mise en évidence des inégalités. Cécile Bonthonneau DU CONSTAT À L’ANALYSE : LE SECTEUR CULTUREL AU RISQUE DE L’ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) l’Observatoire - No 44, été 2014 - dossier | page 41 Le travail d’observation entrepris par le ministère de la Culture est précieux. Il n’en demeure pas moins partiel. Il ne peut rendre compte de la diversité des struc- tures culturelles qui œuvrent sur les terri- toires. L’étude des compagnies, structures et évènements locaux qui ne bénéfi cient pas de l’aide de l’État, des effectifs des services culturels territoriaux, des publics et des pratiques en amateur permettrait de compléter le tableau. L’analyse plus approfondie des fi lières serait également nécessaire pour affi ner la photographie. Si le CNC a engagé un travail de fond en ce sens, d’autres secteurs sont en reste. Syndicats, fédérations d’acteurs, sociétés civiles et réseaux nationaux tardent, en effet, à amorcer ce travail. Le premier effet produit par ces chiffres n’a pourtant pas été le changement auquel on pouvait s’attendre au regard de l’ampleur du déséquilibre. En 2009, l’actualisation des données et le bilan des actions menées a pointé la désarmante stagnation des chiffres. Les chiffres publiés en 2014 ne montrent pas de changement signifi catif. Pour un certain nombre de professionnel- le-s cependant, ce constat a été le déclen- cheur d’une prise de conscience collective. Un autre regard devenait envisageable sur une réalité vécue sans jamais pouvoir être pensée de manière systémique mais toujours renvoyée aux choix ou aux talents individuels. Ce passage à une action collective structurée a donné naissance au mouvement HF4, regroupement des collectifs régionaux qui se sont progressi- vement créés dans le sillage de la création d’HF Rhône-Alpes en 2009. Depuis les premiers débats publics au festival d’Avi- gnon en 2011 et la brochure publiée par la SACD en 20125 jusqu’au dernier Bis à Nantes en 2014, les rendez-vous de la profession s’emparent aujourd’hui de la question. La « recréation » du ministère des Droits des femmes en 2012 a incontestable- ment accéléré le processus. Inspiré par les politiques européennes de mainstrea- ming6, le ministère des Droits des femmes s’est attaché à la transversalité de son action. La rue de Valois a, comme les autres, sa « feuille de route » et doit dès lors se doter d’une politique spécifi que et d’une mission dédiée. Aurélie Filippetti s’est emparée de ce chantier. L’exigence politique de la nomination de femmes à la tête des institutions les plus presti- gieuses a notamment introduit, au sein du milieu culturel, le vif débat des quotas et de la discrimination positive. Toujours mal vécue par la profession, quel qu’en soit l’objet, l’injonction politique sur la parité a eu notamment pour effet de révéler les résistances et de sortir de l’illusion d’un consensus qui n’a eu jusque-là pour effet que d’aider à consentir aux inégalités. La réticence à l’action positive est d’autant plus intéressante dans un secteur qui a, depuis longtemps, inscrit les quotas dans ses fonctionnements, sans que personne ne s’en émeuve. La parité des effectifs dans les formations supérieures de danse ou de théâtre (pour les acteurs) est en effet garantie par les statuts de la plupart des écoles supérieures. Malgré leur faible nombre dans les formations initiales (ils ne sont que 8 % à pratiquer la danse dans le réseau de l’enseigne- ment spécialisé7), les hommes voient leur place garantie. Ils sont 79 % à la tête des centres chorégraphiques nationaux. Les femmes, elles, affrontent une sélectivité bien plus élevée que leurs collègues à l’entrée de ces formations. Parité ne rime pas toujours avec équité… LE SYMPTÔME ET LES CAUSES Pour autant, l’inégal partage des responsabilités et ses conséquences sur la faible participation des femmes à la décision et à la production artis- tique n’est que la partie émergée d’un système. S’arrêter aux symptômes ne permet pas de penser les causes. La recomposition d’un consensus moins aveugle n’est probablement pas suffi sant pour penser et produire le changement. Ne risque-t-on pas d’arriver, en ce qui concerne l’égalité hommes/femmes, au point d’ineffi cience auquel l’écologie est parvenue en devenant un élément incontournable du langage politique et entrepreneurial, permettant d’un même mouvement de reconnaître les enjeux tout en reportant à un avenir incer- tain les transformations trop profondes qui sont appelées ? L’enjeu aujourd’hui pour le secteur culturel serait de ne pas se contenter d’un equality washing. Le uploads/Societe et culture/ du-constat-a-l-x27-analyse-le-secteur-culturel-au-risque-de-l-x27-egalite-entre-hommes-et-femmes.pdf

  • 22
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager