Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2000 Ce documen
Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2000 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 août 2021 22:12 Sociologie et sociétés Le moi, le soi et Internet Francis Jauréguiberry Les promesses du cyberespace. Médiations, pratiques et pouvoirs à l'heure de la communication électronique Volume 32, numéro 2, automne 2000 URI : https://id.erudit.org/iderudit/001364ar DOI : https://doi.org/10.7202/001364ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0038-030X (imprimé) 1492-1375 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Jauréguiberry, F. (2000). Le moi, le soi et Internet. Sociologie et sociétés, 32(2), 136–152. https://doi.org/10.7202/001364ar 1. internet : une possibilité inédite d’expérimentation de soi L’un des aspects les plus novateurs d’Internet est sans doute de permettre des échanges faisant fi de toute implication physique. Pour la première fois dans l’histoire de la com- munication humaine, il est en effet possible d’«aborder» de parfaits inconnus et de discuter avec eux de façon entièrement anonyme, désincarnée et synchrone2. Certes, les échanges épistolaires impliquent une certaine forme de désincarnation, mais ils sont toujours asynchrones. De leur côté, les dialogues téléphoniques sont simul- tanés, mais les voix «trahissent» souvent les interlocuteurs : par exemple leur sexe ou leur émotion. De nombreux cadres d’échange autorisent par ailleurs l’anonymat, mais ces cadres sont toujours situés. En regard de ces types d’échanges désormais «clas- siques», Internet ouvre des «espaces» physiquement non situés, dans lesquels peuvent se déployer des échanges anonymes entre individus désincarnés. Ce relatif «décolle- ment» des internautes en regard des lieux, corps et statuts va permettre l’apparition d’un type d’action totalement inédit : celui de la manipulation identitaire à laquelle un individu va pouvoir se livrer en superposant une identité virtuelle à son identité réelle, une identité fantasmée à son identité sociale. francis jauréguiberry SET - Société Environnement Territoire - CNRS (UMR 5603) Université de Pau et des Pays de l’Adour 64 000 Pau, France Courriel : francis.jaureguiberry@univ-pau.fr 136 Le moi, le soi et Internet 1 1. Une première ébauche ce texte est parue dans Dressler, Gatti et Perez-Agote (dir.), 1999, p. 175-180. 2. Les messageries sur Minitel sont basées sur le même principe, mais ne concernent que la France. Le terme d’identité virtuelle auquel il sera fait référence tout au long de cet article ne renvoie pas à l’identité fictive des participants aux mud, jeux accessibles par Internet au cours desquels les participants évoluent dans un environnement virtuel et tiennent des rôles imaginaires en interaction avec leurs correspondants3. L’identité virtuelle dont il sera ici question est au contraire celle qui, dans des forums de discussions ou des irc (voir plus loin), est censée refléter une identité réelle. L’individu manipule sa propre identité afin d’être réellement pris par ses interlocuteurs pour celui qu’il fantasme d’être. Il peut ainsi intervenir dans un forum de discussion en se présentant comme ingénieur alors qu’il est technicien, habitant à la campagne alors qu’il réside en ville, âgé alors qu’il est adolescent, femme alors qu’il est un homme, etc. Une foule d’emprunts iden- titaires est brusquement possible. L’individu peut désormais «s’essayer» à différentes formes de soi qu’il teste dans Internet avec l’intention d’expérimenter «l’effet que ça fait». Cet «effet» n’existe que dans la mesure où le soi virtuel devient une identité re- connue par et dans des relations à autrui, quand bien même cet autrui-là serait-il lui-même la projection d’un autre fantasme. Contrairement à ce qui se passe dans les muds, où le même type «d’effet» est recherché de façon ludique, l’identité virtuelle empruntée dans une irc est d’emblée censée renvoyer aux conditions physique et sociale réelles de l’intervenant «manipula- teur de soi». La règle dans une irc ou un forum n’est en effet pas le jeu mais la réalité. Il s’ensuit que, lorsqu’un «manipulateur de soi» décline une fausse identité dans une irc, il ne joue pas un rôle (comme sur les mud) mais il ment. Il ment à la société pour être lui autrement. Car, lorsqu’un échange s’établit sous la forme de réponses, de ques- tions et de dialogues avec autrui, le soi virtuel cesse d’être pur avatar fantasmé pour se mettre à exister réellement aux yeux de ses correspondants. Les «lieux» de discussion qui permettent de dialoguer de façon anonyme (par le biais de surnoms) dans Internet se distinguent par le type de messages échangés (écrits, signes ou images) et par le caractère synchrone (irc ou icq) ou asynchrone (forums) des échanges4. À l’inverse de ce qui se passe sur les mud, où la distinction entre le réel et le virtuel est clairement établie et où seul le jeu donne existence à la fiction et la fic- tion naissance à la satisfaction, la question de la vérité identitaire dans les forums ou les 137 3. Les mud, Multi Users Dungeons, Domains, Dimensions (donjons, domaines ou dimensions à usagers multiples) dérivent directement des jeux de rôles. Mais, contrairement à ces derniers qui se déroulent dans un environnement physique réel, les mud se déploient à l’échelle de la planète en faisant fi de la condition physique de ses joueurs qui sont remplacés par des avatars. Ces avatars se croisent, se parlent, connaissent des aventures, etc. dans des lieux ou des univers visuels virtuels (images de synthèse). Pour une étude des mud et de leurs usagers, voir Turkle S. (1995). 4. L’irc, Internet Relay Chat (Bavardage par Internet), permet de participer à une discussion, à un «bavardage» en temps réel avec des inconnus, pour le simple plaisir d’échanger. Bien sûr, au fur et à mesure des connexions, les «habitués» d’un canal IRC se «reconnaissent» et peuvent aller plus avant dans leur échange. Les forums sont basés sur le même principe, mais les échanges sont asynchrones et consignés en mémoire. L’icq, I Seek You (Je vous recherche), est un système (racheté par aol en 1998) du même type que l’irc, mais avec sélection de ses partenaires (voir aussi msm Messenger Service, aol Com People & Chat ou, en France, Voilà chat). Dans cet article, il sera avant tout question des canaux de l’irc et, dans une moindre mesure, de certains forums. Pour une présentation historique du dispositif, voir Mirashi (1993); pour une approche des contraintes sociotechniques de l’irc, voir Latzko-Toth (2000). chats est toujours sous-jacente. La nécessaire mise en cohérence des identités virtuelles, dans le temps et dans la forme, est sans doute une des principales entraves à leur adop- tion. Car, pour être «efficaces», ces identités doivent pouvoir être tenues pour vraies ou, en tout cas, être perçues comme vraisemblables par les participants aux chats. Ces iden- tités virtuelles ne comblent en effet leurs manipulateurs que dans la mesure où l’on s’adresse à elles comme à des personnes et non comme à des avatars. Il faut pour cela que, au fil des échanges, aucune contradiction n’apparaisse dans les traits du person- nage adopté. Ainsi, il est nécessaire qu’une bonne adéquation soit constatable entre le niveau de langage employé et le statut scolaire décliné, qu’aucune dissonance ne soit perceptible entre les ressources culturelles mobilisées et, par exemple, l’asv (abréviation Internet d’âge, sexe et ville) revendiquée, etc. Le moindre faux-pas peut faire perdre la face du «manipulateur d’identité». Cet aspect n’est pas développé ici, mais constitue évidemment une des limites du vécu des identités virtuelles dans Internet5. 2. la construction du moi individuel par l’emprunt de soi sociaux La manipulation de soi dans Internet par l’individu «branché» fait spontanément penser aux jeux auxquels se livrent les enfants dans leur expérimentation du social. Bien que ne l’étant pas en réalité, ils jouent à être «un policier», «une maman», «un Indien», etc., en espérant bien être pris pour tel si quelqu’un passe alentour. C’est en ce sens que l’on peut dire qu’Internet offre à ses branchés une seconde jeunesse... Il est dif- ficile de ne pas faire ici référence à la théorie de George Herbert Mead sur la constitution de la personnalité sociale. Dans son ouvrage L’esprit, le soi et la société (1963) — dont le titre a bien évidemment inspiré celui de cet article — Mead entend par soi le rôle que chacun est amené à jouer en situation sociale. Par exemple, lorsqu’un client arrive à la caisse d’un magasin, il s’attend à ce que la caissière adopte une certaine attitude et réalise un certain nombre d’opérations (soi de caissière) de la même façon qu’elle s’at- tend à ce que le client adopte lui-même une certaine attitude (soi de client). Ces soi sont éminemment sociaux en ce que, au-delà des protagonistes, les personnes témoins de la scène s’attendent aussi à ce que l’une joue son rôle de caissière et à ce que l’autre tienne son rôle de client : ce que uploads/Societe et culture/ goffmanien 1 .pdf
Documents similaires










-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 16, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1826MB