SUR L’ANTHROPOLOGIE PHILOSOPHIQUE DE LA RAISON SCIENTIFIQUE Cérisey le 16 juill
SUR L’ANTHROPOLOGIE PHILOSOPHIQUE DE LA RAISON SCIENTIFIQUE Cérisey le 16 juillet 2006 Ian Hacking. Résumé original : MM Descola et Latour me demandent d’expliquer, dans le contexte de mes études sur les styles de pensée scientifique, « ce qui me paraît le plus décisif pour passer d’un régime ‘analogique’ à un régime ‘naturaliste’ où prédominent ces styles (mathématiques, du laboratoire, statistiques, etc.) qui paraissent plus directement associés au développement des sciences. » À mon avis, chaque style a son histoire propre. Les démonstrations mathématiques ont émergé (vraisemblablement) dans la culture ionienne il y a 26 siècles, mais (selon moi) la probabilité n’émerge que dans l’Europe moderne du XVIIe siècle. L’apparition d’un nouveau style est toujours liée à la découverte d’une capacité cognitive « innée » appartenant à l’enveloppe génétique humaine, et qui trouve à un moment donné un milieu social favorable qui lui donne matière à se nourrir et à se développer. Si l’on pense que ces différents styles de pensée scientifique sont tous des manifestations d’un seul régime naturaliste, on en revient au premier style de pensée scientifique dans la tradition européenne : on se livre à une spéculation sur les conditions nécessaires à l’évolution des preuves déductives et des postulats nécessaires pour leur démonstration. Je propose pour le colloque un enchaînement des conjectures et un modèle du raisonnement qui dérive notamment du livre de Reviel Netz, The Shaping of Deduction in Greek Mathematics : A Study in Cognitive History (1999). Cet ouvrage met l’accent, à juste titre, sur la déduction et non sur les axiomes, qui focalisent traditionnellement la réflexion philosophique sur les mathématiques grecques. Ces recherches contribuent à une anthropologie philosophique, presque dans le sens d’Emmanuel Kant, parce qu’elles sont situées à l’intersection de deux domaines, le domaine cognitif (universel) et le domaine culturel (local). 1 Les mots exacts de mon résumé 2 Que faut-il entendre par « anthropologie historique » de la raison scientifique ? 3 L’anthropologie historique comparative chez Crombie et Lloyd 4 Styles de pensée scientifique dans la tradition européenne 5 Que faut-il entendre par anthropologie historique de « la raison scientifique » ? 6 Les deux régimes, analogique et naturaliste 7 Une anthropologie philosophique de la raison scientifique 1 Les mots exacts de mon résumé Le résumé qui figure sur le site Internet qui présente ce colloque commence par ces mots « Mon propose (sic) vise à expliquer … ». En réalité, le résumé que j'avais envoyé était un peu différent. Je disais : MM Descola et Latour me demandent d'expliquer « ce qui me paraît le plus décisif pour passer d'un régime « analogique » à un régime « naturaliste » où prédominent ces styles (mathématiques, du laboratoire, statistiques, etc.) qui paraissent plus directement associés au développement des sciences. Leur référence aux « styles » renvoyait évidemment aux idées philosophiques sur les styles de pensée que j’ai développées depuis maintenant assez longtemps à partir des thèses de l’historien des sciences A. C. Crombie. Je ne propose pas d'offrir une telle explication du passage d’un régime analogique à un régime naturaliste, et cela pour deux raisons. Premièrement, je n'ai aucune explication à cela, et deuxièmement, je doute qu'il y ait un passage net d'un régime analogique à un régime naturaliste. Or le début de mon résumé, dans la version modifiée qui apparaît sur le site de Cerisy, donne l'impression que je tiens pour acquis le fait qu'il y a un tel passage dans l'histoire connue de l'occident. Par conséquent, mon texte semble omettre le problème de fond. Comme on dit en anglais, cette petite modification me présente comme si I am begging the question. Comme si je tenais pour un fait acquis le fait qu’il y ait un tel passage, alors que c’est ce qui est en question. Mon résumé pose la question sous une forme assez brute. À mon avis, ce que j’appelle le style mathématique a vu le jour dans le monde ancien. Ce que j’appelle le « style du laboratoire » est une découverte de l’Europe moderne au 17e siècle. Si l’on considère que ces deux pratiques relèvent d’un régime « naturaliste », a fortiori il n’y a pas eu un seul passage à ces deux styles à partir d’un seul régime analogique. Je suis très conservateur dans mon interprétation de l’histoire des sciences. Les idées traditionnelles me conviennent : il y a eu des transformations profondes dans les raisonnements dits scientifiques. Ni l’étiquette de « la révolution scientifique » ni (à mon avis) l’étiquette de « l’émergence de la probabilité » n’est fausse. Dans un esprit moins traditionnel, je soutiens que l’invention du laboratoire au temps de Robert Boyle, était un événement très profond dans l’histoire des sciences et dans l’histoire de notre espèce. Même chose pour la découverte de la possibilité de la démonstration a priori et « apodictique », à l’époque où a vécu l’homme que nous appelons Thalès. Je parle des démonstrations qui montrent, avec lesquelles on a les sens qu’on voit pourquoi quelque chose doit être vrai. Je crois (non sans hésitation) que des tels événements, y compris la découverte de la possibilité de la démonstration mathématique, se sont produits dans des sociétés ou trouve déjà les éléments naturalistes au sens de Philippe Descola. À fortiori, mon approche des styles de pensée n’offre pas d’explication d’un passage de l’analogisme au naturalisme. 2 Que faut-il entendre par « anthropologie historique » de la raison scientifique ? À cause de ma formation de philosophe analytique version Cambridge ancien, je m’occupe trop des mots. Ainsi des deux mots du titre de notre colloque, voir « anthropologie historique » et « la raison scientifique ». Au premier abord, je dois l’avouer à ma grande honte, j’étais complètement ignare au sujet de « l’anthropologie historique ». Je ne connaissais ni la signification, ni l’histoire de l’expression. J’ai demandé à Philippe Descola ce que cela voulait dire. Il m’a dit que c’était une expression très connue en France, qui avait vu le jour avec les ouvrages de Jean-Pierre Vernant. J’ai trouvé un peu de réconfort en constatant que je n’étais pas seul dans mon ignorance. L’article de l’Encyclopédia Universalis commence par les mots suivants : LE SUCCÈS de la nouvelle étiquette « anthropologie historique » chez les historiens n’a d’égal aujourd’hui que l’imprécision de sa définition. S’il s’agit de franchir une nouvelle étape dans le cheminement interdisciplinaire que les fondateurs des Annales proposaient à la recherche historique : à savoir la rencontre de l’histoire et de l’ethnologie, pourquoi choisir le terme d’anthropologie et non d’ethnologie historique ? On peut expliquer cette préférence par la conjoncture dans laquelle s’inscrivait la rencontre des deux disciplines : les historiens se sont brusquement mis à l’écoute de l’ethnologie au moment où celle-ci, fortement renouvelée et revivifiée sur le plan théorique par les travaux de Claude Lévi-Strauss et de son école, adoptait le terme anglo-saxon d’anthropologie sociale. Pour Universalis, le paradigme, de l’anthropologie historique est Emmanuel Le Roy Ladurie. Bon choix, mais dans l’article en question, on ne trouve aucune mention de Jean-Pierre Vernant ni de l’école qu’il a fondée, avec Marcel Detienne et Pierre Vidal-Naquet. On ne trouve pas trace non plus de Louis Gernet, de l’école Durkheimienne, le mentor et le modèle de Vernant. Vernant s’est même chargé d’éditer une collection des articles de Gernet sous le titre L’Anthropologie de la Grèce antique,1 et il est le fondateur du Centre Louis Gernet à Paris. Nous ne sommes pas dans l’obligation de rester fidèles aux connotations originelles de l’anthropologie historique, mais j’ai trouvé utile cette annonce officielle de l’ADPF (association pour la diffusion de la pensée française) sous la rubrique « Histoire et historiens en France depuis 1945 » : Parti en quête de la notion de travail, Vernant trouve surtout l’omniprésence du phénomène religieux. Helléniste, il devient l’élève et le disciple de Louis Gernet, qui avait écrit une anthropologie du monde grec et dont l’aspect globalisant de la démarche, dans la lignée de Marcel Mauss et de son « fait social total », représente l’ambition théorique toujours présente dans les travaux de Vernant. Je vous encourage à penser l’anthropologie historique de cette façon. Nous ne trouverons jamais « l’omniprésence » du phénomène de la pensée scientifique, mais notre ambition théorique doit être la compréhension de ce phénomène dans le contexte du « fait social total ». Une question se pose : c’est bien là l’ambition des « science studies », n’est ce pas ? Etant donné cette impression d’une « imprécision de la définition » de l’anthropologie historique, quelle est la différence entre ces deux pratiques ? C’est peut-être que les ressources de la plupart des chercheurs de la tradition des science studies sont trop localisés, il ne ferons pas les études sur le « fait social total ». Mais je dois parler simplement pour moi-même. Si « l’ambition théorique » de l’anthropologie historique doit toujours respecter « l’aspect globalisant de la démarche, dans la lignée de Marcel Mauss et de son « fait social total », » j’ai une difficulté. Il me manque uploads/Societe et culture/ ian-hacking-anthropologie-philosophique-cerisy-hommage-a-philippe-descola-le-16-juiller-2006.pdf
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- Publié le Mar 19, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
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