Interview de Mohand-ou-Yahia à la revue Tafsut* [1] Mohand-ou-Yahia est surtout

Interview de Mohand-ou-Yahia à la revue Tafsut* [1] Mohand-ou-Yahia est surtout connu pour les adaptations qu’il nous a données d’un grand nombre de poésies et textes de chansons tirés notamment des œuvres de Brecht, Prévert, Clément, Potier, Vian, Béranger, etc. Il a aussi adapté des contes et nouvelles de Voltaire, Lou Sin, dont "La véritable histoire de Ah Q" (l983), Singer, Maupassant... Ainsi que les pièces de théâtre suivantes : "L’exception et la règle" de Brecht (1974), "Le ressuscité" de Lou Sin (1980), "La jarre" de Pirandello (1982), le "’Tartuffe" de Molière (1984), "Ubu Roi" de Jarry (1984), "Le médecin malgré lui" de Molière (1984), "En attendant Godot" de Beckett (l985). Tafsut : Commençons par une question d’ordre général : l’après-guerre n’a pas donné naissance à une génération d’écrivains qui aient la taille d’un Mammeri, d’un Yacine ou d’un Feraoun. La production en langues populaires peut-elle prendre la relève ? Mohand-ou-Yahia : C’est une chose que tout le monde constate en effet... L’après-guerre n’a pas donné naissance à une génération d’écrivains qui aient l’envergure d’un Mammeri, d’un Yacine ou d’un Feraoun. Certes des noms émergent d’ici, de là mais, outre que ce sont malheureusement des exceptions qui confirment la règle, ceux-ci, apparemment, ne parviennent pas à susciter cette espèce de complicité du public à défaut de laquelle il me paraît difficile d’utiliser à leur endroit l’expression de génération d’écrivains. Quant à savoir si la production en langues populaires peut prendre la relève, que puis-je répondre ?... Car justement, toute la question est là. Bien qu’à proprement parler la question ne soit pas tellement d’assurer la relève de qui que ce soit mais bien plutôt d’essayer de développer une tradition littéraire en langues populaires, et ce, indépendamment de ce qui pourrait se faire par ailleurs. Mais, pour revenir à cette production en langues populaires, tout d’abord celle-ci est aujourd’hui ce qu’elle est ; c’est à dire en réalité, peu abondants et puis trop marginalisée et ce, entre autres, parce qu’elle consiste surtout en poésies et chansonnettes. Pourtant, et pour ne nous tenir qu’à ce qui se fait en kabyle, puisque c’est ce que connaissons le mieux, on constate que ce qui a marqué notre histoire culturelle de ces dix dernières années, c’est bien le fait que ces poésies, dites ou chantées, soient encore ce qui reflète le mieux les réalités vécues par notre société. Et je dis ceci en tout état de cause, dans la mesure ou les faiblesses et les maladresses qu’on ne manque pas d’y relever sont elles-mêmes significatives du niveau culturel des gens de chez nous. Maintenant, pour répondre plus précisément à la question du développement d’une tradition littéraire en langues populaires, je dirai qu’au vu des expériences réalisées jusqu’ici, oui, il est tout à fait possible de développer une tradition littéraire en langues populaires. Il reste que pour vraiment concrétiser les choses et aller encore plus loin dans ce domaine, les plus grands efforts sont nécessairement demandés au plus grand nombre. Je m’empresse d’ajouter, néanmoins, qu’il serait illusoire de viser tout de suite à produire des œuvres de la classe de "l’opium et le bâton", entièrement rédigées en langue vernaculaire. En fait, le public lui-même n’est pas prêt à accueillir des ouvrages d’une telle importance. Par conséquence, ce qui serait plus réaliste, serait de multiplier les expériences et de procéder par étapes. La plus petite réalisation devenant ainsi un gage pour l’avenir. D’autre part, il conviendrait peut-être de reconsidérer la question sous l’angle plus général qui est celui de la communication. Le problème à résoudre devenant ainsi celui de faire passer le maximum d’informations, au sens large du terme, avec le minimum de moyens, aussi bien linguistiques, techniques, que matériels. C’est ce qui permettrait de recourir, selon les cas, aux moyens les plus opportuns, lesquels pourraient être ceux de l’écrit ou ceux de 1’audio-visuel ; et ceci sans le moindre complexe, il va de soi. Du point de vue pratique donc, à supposer que nous voulions réellement faire quelque chose, ce qui reste encore à prouver, un effort considérable doit être fait en premier lieu en vue de recenser le maximum des possibilités de dire les choses qu’offre la langue vernaculaire. Ces possibilités sont offertes, entre autres, par le système lexical, la syntaxe, la grammaire, les locutions, les apophtegmes, les mimiques et, j’ajouterai même, les silences dans certains cas. En un mot, si nous voulons nous exprimer dans notre langue, la condition nécessaire, sinon suffisante, est d’abord et avant tout de bien étudier cette langue, c’est à dire de l’étudier à la lumière des acquis de l’analyse linguistique. Ceci afin de toujours mieux en connaître les ressources. Je dis peut-être une banalité, mais tant pis. Je vois trop de gens jouer aux grands artistes et qui n’ont qu’une connaissance infuse de leur langue. Cela ne prêterait pas à conséquence si, de surcroît, ils ne se prétendaient les défenseurs acharnés de cette langue. Mais passons... Je veux surtout dire par là qu’il serait peut-être l’heure de mettre un terme au temps des incantations et de se mettre un peu au travail. En tous cas, ce qui transparaît à travers cette question de la relève, c’est bien le défi auquel nous devons aujourd’hui faire face. Car tout est de savoir si effectivement nous sommes d’ores et déjà en mesure de parler de notre société aussi bien, sinon mieux, que ne l’ont déjà fait des écrivains tels que Mammeri ou Feraoun, et ceci dans uns langue accessible à tous les éléments qui composent cette même société. Pour ma part, je dois dire que je ne vois pas d’autre alternative qui réponde à ce défi en dehors de celle qui consiste à écrire dans la langue vernaculaire. Car, dans le contexte de l’Algérie d’aujourd’hui on constate, premièrement, qu’en dépit de toutes les vicissitudes de l’histoire, la sensibilité à la langue maternelle est peut-être plus vive qu’elle ne l’a jamais été ; deuxièmement, que pour la majorité des algériens la langue maternelle est toujours, quoi qu’on dise, la langue la mieux maîtrisée. Par conséquent, la réponse qui serait apportée à ce défi est pour elle, pourrait-on dire, une question de vie ou de mort. Mais qu’est-ce qui peut amener quelqu’un aujourd’hui à s’exprimer dans la langue vernaculairs ? Il fut un temps où l’arabe classique aussi bien que le français conféraient à ceux qui les possédaient prestige et sécurité de l’emploi. Or tel n’est plus le cas aujourd’hui où l’arabe classique devient une langue de pédants et où nous voyons tant de bacheliers ne trouver, au mieux, qu’à s’employer comme veilleurs de nuit à Paris. Et ceci remet déjà les choses à leur juste place ; je veux dire que la langue redevient de fait, et ce aux yeux de la plupart des gens, ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, c’est-à-dire un outil de communication et rien de plus. Alors, outil de communication pour outil de communication, pourquoi pas la langue maternelle ? Ceci pour dire que s’il reste une seule chose qui puisse présider au choix d’une langue, c’est uniquement le souci de se faire entendre de telle ou telle catégorie de gens. On peut aussi bien entendu choisir de s’exprimer dans une langue pour plaire à certains ou encore pour déplaire à d’autres, mais ce qui n’en demeure pas moins vrai cependant, c’est que si l’on veut être compris de la majorité, on ne peut que s’exprimer dans nos langues vernaculaires, c’est à dire le berbère ou l’arabe populaire. En somme donc, et pour parler d’ailleurs en termes plus généraux, il n’est pas du tout impensable qu’une vie culturelle d’expression populaire - une vie culturelle digne de ce nom, je veux dire - puisse voir le jour chez nous. Cela dépend en premier lieu des efforts que fournit chacun de nous pour se réapproprier sa langue maternelle. Le reste est une question d’intendance et une question de techniques, (techniques littéraires, techniques audio-visuelles, etc.). Or, l’intendance, cela s’organise et les techniques s’acquièrent. Car en définitive, qu’est-ce qu’une oeuvre littéraire, artistique, cinématographique ? C’est une combinaison de signes linguistiques, de formes, de couleurs... reflet de la vie d’un groupe et au fil de laquelle passe, comme un écho, le souffle de la vie. Dans ton travail, le point de départ est presque toujours un auteur étranger. Ne penses-tu pas écrire un jour une oeuvre plus personnelle ? Oui, je fais surtout des adaptations d’auteurs étrangers. Je crois que pour élaborer des choses de son propre cru, il faut tout de même jouir de beaucoup de disponibilité d’esprit et peut-être aussi se détacher quelque peu des contingences matérielles. Car on peut focaliser ainsi toute son énergie sur le travail qu’on entreprend. Personnellement, je n’ai jamais pu travailler dans des conditions, disons très propices. Mais ne nous étalons pas là-dessus car des conditions trop faciles font souvent qu’on se complaît dans la facilité justement. Donc, travaillant dans des conditions relativement peu favorables, il m’a toujours paru plus aisé d’adapter des auteurs étrangers que de noircir des pages et des pages de mon cru. uploads/Societe et culture/ interview-de-mu-ya.pdf

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