Publié : 15 janvier 2010 Langue, discours, culture : quelle articulation ? (1èr

Publié : 15 janvier 2010 Langue, discours, culture : quelle articulation ? (1ère partie) Patricia von Münchow, maître de conférences, Université Paris Descartes, Laboratoire Éducation et apprentissages (EDA), Paris, pvmuenchow@noos.fr Résumé Dans cet article, il s’agit de mettre en évidence différents positionnements concernant le rapport entre langue, discours et culture et de montrer dans quelle mesure ces positionnements permettent de rendre compte d’une série de réalités en matière de communication interculturelle et d’enseignement-apprentissage. On défend une position consistant à clairement opposer la langue au discours lorsqu’il s’agit d’établir leur rapport avec la/une culture. On s’efforce ensuite de montrer comment on conçoit l’articulation de ces trois éléments à l’intérieur de l’approche transculturelle qu’est la « linguistique de discours comparative ». On explique comment on arrive à accéder à ce qu’on appelle des « cultures discursives » à partir de l’étude des genres et on montre la nature mobile, à plusieurs titres, de la notion « culture discursive » en linguistique de discours comparative. Abstract This paper examines arguments put forth by different researchers on the relationship between language, discourse and culture and shows what these arguments imply for intercultural communication and language teaching and learning. The author defends a position consisting in clearly opposing language and discourse as far as their relationship with culture is concerned. She then shows which connection may be established between language, discourse and culture in a cross-cultural approach called « comparative discourse linguistics ». She explains how one can come to conceive « discursive cultures » by establishing an analytical network between different genres and shows the mobile nature, on different levels, of the notion of « discursive cultures » in comparative discourse linguistics. Table des matières Introduction Langue, discours, culture : différents positionnements I.A. Langues et « visions du monde » I.B. De l’intérêt de distinguer « langue » et « discours » lorsqu’on parle de « culture » I.C. Langues et « cultures discursives » I.D. Culture et discours II Langue, discours et culture en linguistique de discours comparative II.A. Le cadre méthodologique de la linguistique de discours comparative II.B. La langue en linguistique de discours comparative Texte intégral Introduction Lorsqu’on est engagé, dans le cadre des sciences du langage, et plus particulièrement dans celui de l’analyse du discours, dans un champ qui couvre ce qu’on peut appeler les approches interculturelles (au sens étroit) 1 ainsi que transculturelles ou comparatives (« cross-cultural »), la relation entre langue, discours et culture est une question centrale, sinon la question centrale. Dans cet article, il s’agira dans un premier temps de mettre en évidence différents positionnements concernant le rapport entre langue, discours et culture et de montrer dans quelle mesure ces positionnements permettent de rendre compte d’une série de réalités envisageables en matière de communication interculturelle et d’enseignement-apprentissage. Dans un deuxième temps, je m’efforcerai de montrer comment je conçois l’articulation de ces trois éléments à l’intérieur d’une approche transculturelle que j’ai appelée « linguistique de discours comparative ». Langue, discours, culture : différents positionnements Différents chercheurs perçoivent de différentes façons le rapport entre langue et culture, discours et culture et, enfin, langue et discours par rapport à la culture. On passera en revue, dans les pages qui suivent, un certain nombre de positionnements différents, avant de prendre position dans le débat. I.A. Langues et « visions du monde » Un grand nombre de chercheurs pensent, comme P. SIBLOT (1997 : 52-53), et même s’ils n’utilisent pas la même terminologie, que « [d]es praxis différentes selon les cultures conduisent à des représentations différenciées et motivent des catégorisations linguistiques de la réalité distinctes. » SIBLOT affirme : C’est à travers les « grilles » de logosphères diversement élaborées par les langues et les cultures que chaque locuteur peut, non seulement concevoir et catégoriser, mais aussi percevoir le monde. Des locuteurs d’aires linguistiques différentes « ne parlent pas immédiatement de la même chose », de manière objective ; ils ne parlent jamais que de la perception culturalisée et socialisée qu’ils en ont. (SIBLOT, 2001a : 196) Le rôle que SIBLOT accorde à la langue pour la « vision du monde » des locuteurs semble primordial, mais il faut voir que dans la perspective praxématique qui est la sienne, l’opposition langue/discours n’est pas réellement pertinente. En effet, pour SIBLOT, chaque acte de nomination fait évoluer la langue. Il s’exprime ainsi, à propos de « l’hypothèse Sapir-Whorf »: Le lexique n’est pas une nomenclature de dénominations qui désigneraient les mêmes êtres et les mêmes objets à travers le monde, le temps, les milieux sociaux... Il est la sommation d’actes de parole conjoncturels, d’actes de nominations /…/ [dans lesquels] s’expriment des points de vue, par définition relatifs, et dont la relativité linguistique constitue un des aspects. (SIBLOT, 2001b : 140) Ce point de vue sur la langue comme incluant l’emploi, la parole, le discours est largement partagé et il est en effet incontestable, en ce qui concerne notamment le lexique, que les « mots, qu’il faut bien évidemment rapporter à ceux qui les emploient, ont forcément “empilé” au cours du temps des traits ou des représentations sémantiques différents (ce que P. Siblot appelle le dialogisme de la nomination et ce que [S. MOIRAND a] nommé la mémoire des mots /…/), que les locuteurs eux- mêmes ont partiellement oubliés » (MOIRAND, 2004 : 204). En effet, « les mots et les énoncés ont une histoire, l’objet dont on parle a été pensé avant par d’autres et les noms qu’on lui donne sont toujours “habités” des sens qu’ils ont déjà rencontrés » (MOIRAND, 2007 : 102). 2 Pour C. KERBRAT-ORECCHIONI (2002 : 35-36), certaines formes de la langue – elle mentionne « le système des formes temporelles, aspectuelles ou modales » ou le « lexique, que la culture investit de toute part » – reflètent une « certaine “vision du monde” ». Elle choisit la « version faible » de l’hypothèse dite Sapir-Whorf – « la langue reflète la culture », par opposition à la « version forte », selon laquelle les catégories linguistiques conditionneraient la vision du monde de ses locuteurs (op. cit.: 36) – et l’applique à la pragmatique contrastive. Cela étant, elle entend par « langue » non pas le code, mais « l’ensemble de toutes les règles ou régularités qui sous-tendent la production et l’interprétation des énoncés attestés », ce qui inclut « les actes de langage directs et indirects, les mécanismes inférentiels, le système des tours de parole /…/, etc. » (ibid.). Elle montre un certain nombre de phénomènes langagiers qui reflètent des valeurs et normes culturelles et en conclut qu’« il est possible d’exploiter certaines observations linguistiques pour reconstituer au moins partiellement cette logique culturelle » (op. cit. : 42). Cette conception « large » de la langue et une volonté de « décrire ces processus complexes d’interférence et d’interpénétration entre la langue en tant que système, les pratiques discursives et les systèmes de perception du monde des locuteurs » (BÉAL, 2002 : 17) ont mené à la création d’une panoplie de termes, non (parfaitement) synonymes et inscrits dans des cadres théoriques divers, comme « “ethnosyntaxe”, “philosophie de la grammaire” (Wierzbicka 1988 sur le lien possible entre certaines constructions grammaticales spécifiques d’une langue et les valeurs culturelles partagées par ses locuteurs natifs), “linguaculture” (Agar 1994) ou encore “linguistique de l’interculturel” (Clyne 1994) » (BÉAL, 2002 : 17-18). Le terme « linguaculture » d’Agar est particulièrement souvent cité par les spécialistes de l’interculturel, qu’ils travaillent sur la comparaison ou non, alors que les didacticiens des langues se réfèrent généralement au terme bien plus ancien « langue-culture » de R. GALISSON, qui a également fait circuler la notion de « lexiculture ». 3 I.B. De l’intérêt de distinguer « langue » et « discours » lorsqu’on parle de « culture » La conception large de la langue comme incluant le discours reflète, comme je l’ai indiqué, une certaine réalité, mais elle pose deux problèmes majeurs. Le premier problème est celui du rapport de filiation, très souvent revendiquée, avec les travaux de W. VON HUMBOLDT, E. SAPIR et B. L. WHORF ou encore avec ce qu’on appelle souvent, alors que le terme a été créé par les détracteurs des chercheurs en question, « l’hypothèse Sapir-Whorf ». Certains, comme C. KERBRAT-ORECCHIONI (2002 : 36), par exemple, indiquent clairement qu’ils étendent le domaine de « la langue » par rapport au « paradigme “humboldtien” des recherches en sciences du langage (F. Boas, J. Trier, E. Sapir, B. L. Whorf) », d’autres non. Car en effet, aussi bien SAPIR (1967, 1968) et WHORF (1940, 1956) que HUMBOLDT (1903-1936a, 1903-1936b) – moins souvent évoqué que les premiers, mais dont les recherches et réflexions se sont construites un siècle avant SAPIR – parlent uniquement de la langue en tant que système de règles ou « code » et non pas des régularités discursives. Ainsi le fait de se référer à SAPIR et WHORF ou encore à HUMBOLDT pour justifier l’usage d’un terme comme « langue-culture » dans une optique clairement discursive constitue-t-il un contresens. L’autre problème que uploads/Societe et culture/ langue-discours-culture.pdf

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