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Tous droits réservés © Anthropologie et Sociétés, Université Laval, 2018 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 10 avr. 2021 15:45 Anthropologie et Sociétés Sport, politique, constructions identitaires en Guyane Le djokan, un « art martial guyanais » ? Sports, Politics, Identity Constructs in French Guyana The Djokan, a « Guyanese Martial Art » ? Deporte, política, construcciones identitarias en Guyana El djokan ¿ « un arte marcial guyanés » ? Gérard Collomb Deviner, prévoir et faire advenir Divining, Foreseeing and Occasioning Adivinar, predecir y lograr Volume 42, numéro 2-3, 2018 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1052652ar DOI : https://doi.org/10.7202/1052652ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département d’anthropologie de l’Université Laval ISSN 0702-8997 (imprimé) 1703-7921 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Collomb, G. (2018). Sport, politique, constructions identitaires en Guyane : le djokan, un « art martial guyanais » ? Anthropologie et Sociétés, 42(2-3), 385–402. https://doi.org/10.7202/1052652ar Résumé de l'article En quelques années, le djokan (un art martial que son inventeur présente comme « une fusion des arts guerriers et des pratiques traditionnelles amérindiennes, businenge et créoles ») a acquis en Guyane une grande lisibilité dans les médias mais aussi dans le champ politique, alors même qu’il peine à recruter des pratiquants et que son développement comme sport demeure encore très incertain. Cette situation interroge la manière avec laquelle le champ des pratiques martiales se développe, est mis en forme et structuré dans les pays occidentaux, mais elle est aussi l’occasion de porter un éclairage indirect sur les logiques traversant la société guyanaise. Il faut pour cela prendre en compte la manière avec laquelle le discours dont le djokan est porteur est en quelque sorte entré en résonnance avec les attentes, parfois les inquiétudes, d’une société qui tente de repenser un « vivre-ensemble » dans une Guyane en mutation. Anthropologie et Sociétés, vol. 42, nos 2-3, 2018 : 385-402 SPORT, POLITIQUE, CONSTRUCTIONS IDENTITAIRES EN GUYANE Le djokan, un « art martial guyanais » ? Gérard Collomb C’est avec fierté que le Président de la Région Guyane, Rodolphe Alexandre, a accueilli [à l’Hôtel de la Région] la cérémonie de consécration internationale du djokan1, son fondateur et Gran Dòkò, Yannick Théolade, s’étant vu attribuer le diplôme international de l’art martial djokan des mains même du Hanshi Schneider, membre fondateur de la Fédération internationale des Arts martiaux traditionnels, ce lundi 31 octobre 2011. […] Le Président de Région s’est réjoui de l’avènement de cet art martial purement guyanais, qu’il considère comme faisant définitivement partie intégrante du patrimoine culturel de la Guyane.2 Ce 31 octobre 2011, la reconnaissance du djokan par une fédération sportive internationale3, qui consacrait son entrée dans le paysage des arts martiaux, se doublait de son institution solennelle comme « patrimoine immatériel guyanais » au cours d’une cérémonie à l’Hôtel de Région, en présence du Directeur régional des affaires culturelles de Guyane. Témoignant de l’intérêt que les acteurs politiques guyanais portaient à cet art martial, la démarche, toutefois, avait de quoi étonner car tout n’avait véritablement commencé que l’année précédente. En septembre 2010, Yannick Théolade avait déposé à l’Institut national de la propriété intellectuelle la marque « Djokan Art Martial Amazonien », et le djokan, dont il avait élaboré durant quelques années les règles et les techniques, était 1. Le site Internet du djokan explique : « Le mot DJOKAN se décompose en deux parties : le mot “Djok” et la préposition “an” qui sont deux particules de la langue créole guyanaise. “Djok” est un mot créole d’origine africaine qui signifie “éveillé”, “robuste”, “en bonne santé”, “An” est une préposition positionnant les choses dans le temps, dans l’espace et signifie “en”. DJOKAN pourrait se traduire littéralement par “en éveil” ou “celui qui est éveillé” » (http:// www.djokan.org/, consulté en 2015 ; le site, qui a été remanié, est aujourd’hui accessible à http://www.djokan.net/ en date du 5 juillet 2018). 2. Site Internet du Conseil régional (https://www.cr-guyane.fr/consecration-internationale-pour- le-Djokan/), non disponible le 7 octobre 2017. 3. La Fédération internationale d’arts martiaux traditionnels (http://www.fiamt.fr, disponible le 5 juillet 2018) regroupe, pour l’essentiel en France, outre le djokan, nouvellement reconnu, une trentaine de clubs pratiquant des variantes de sports tels que le karaté, dont la majorité des pratiquants se réclament généralement de grandes fédérations disciplinaires. 386 GÉRARD COLLOMB apparu pour la première fois au public guyanais à l’occasion d’une démonstration effectuée dans le cadre d’un Salon du sport et des loisirs à Cayenne. Au cours des mois suivants, la presse locale et les médias audiovisuels4 s’étaient largement fait l’écho des démonstrations que Y. Théolade et un petit groupe de pratiquants multipliaient devant le public guyanais. Ainsi, depuis le début de l’année 2011, il n’y eut guère de manifestation touchant aux cultures traditionnelles ou à l’histoire de la Guyane qui n’ait fait appel aux pratiquants du djokan : commémoration de l’abolition de l’esclavage, présentation de l’Hymne à la communauté de destin organisée par les mouvements indépendantistes, fêtes patronales de plusieurs communes, Journées des peuples autochtones ou Festival des rythmes sacrés5. Six ans plus tard, le djokan occupe toujours une place notable dans le paysage guyanais, mais l’expansion rapide des pratiquants et des clubs qu’espérait Y. Théolade en 20116 ne s’est pas réalisée : l’ouverture de huit clubs était annoncée en 2011 en Guyane, et plusieurs autres devaient être créés hors de la Guyane, mais aujourd’hui seuls deux sont en activité, à Cayenne (en Guyane) et à Asnières (en région parisienne)7. Si le club d’Asnières ne mobilise guère, celui de Cayenne continue de rassembler un noyau de pratiquants un peu plus significatif qui manifestent un fort engagement et un enthousiasme chevillé au corps. Mais de toute évidence, l’un et l’autre peinent encore à développer leurs effectifs. Pour autant, même si la couverture médiatique s’est quelque peu réduite une fois passé l’effet de nouveauté, Y. Théolade et ses élèves continuent d’être fréquemment sollicités pour des démonstrations publiques, et en octobre 2015 le djokan a bénéficié à nouveau d’une reconnaissance comme « patrimoine immatériel de la Guyane » de la part du Président du Conseil régional, d’une manière plus officielle encore qu’en 20118. Y. Théolade a créé en quelques années le djokan autour d’un dispositif technique et symbolique qui se veut du même ordre et du même niveau que celui des autres arts martiaux, dont l’histoire s’inscrit dans un temps long, parfois plus que centenaire, et sont à ce titre reconnus de longue date. Comment 4. Le quotidien France-Guyane et la station locale de RFO, ainsi que quelques sites Internet d’actualités régionales. 5. Les organisateurs du Festival des Rythmes sacrés, à Cayenne, le présentent comme un évènement qui propose des rendez-vous « alliant mystique et musique, profane et sacré, cérémonie et fête » (France-Guyane, 18 août 2011). 6. La presse se faisait l’écho de cette prévision très optimiste : « Aujourd’hui, Yannick Théolade forme huit personnes qui développeront cet art martial local dans l’Hexagone, ou encore en Allemagne. Le djokan émerge à travers l’Europe, les Antilles ou encore l’Afrique. […] Le djokan sera bientôt enseigné en Indonésie, en Hollande, en France et en Allemagne » (France- Guyane, 6 août 2011). 7. Y. Théolade donne en Guyane des cours de « handi-djokan », dans des établissements spécialisés. Il évoque aussi la possibilité d’un « djokan gran moun » pour les personnes âgées, d’un « djokan timoun » pour les enfants, et d’un cours spécifiquement féminin « djokan fanm djok ». 8. « Art martial créé par le Guyanais Yannick Théolade et largement inspiré de la nature et des cultures du département, le djokan a été officiellement reconnu patrimoine immatériel de la Guyane, ce matin par le conseil régional » (Vulpillat 2015). Sport, politique, constructions identitaires en Guyane 387 « invente-t-on » de la sorte un art martial ? Mais surtout, comment réussit-on à lui conférer en si peu de temps une telle lisibilité et une forme de légitimité dans les médias et dans le public, et également aux yeux des politiques, alors même que dans le moyen terme, son développement comme sport et le recrutement de ses pratiquants demeurent encore incertains ? Autant de questions qui renvoient à un ensemble de travaux (Gaudin 2009 ; Juhle 2009 ; Bernard 2014) sur la manière avec laquelle les pratiques martiales se sont développées dans les pays occidentaux et se sont structurées autour d’enjeux symboliques et de pouvoir souvent sans rapport direct avec ces pratiques elles-mêmes. L’aventure du djokan en Guyane ne saurait en effet être comprise seulement comme la création d’un nouvel art martial. Si on la replace dans un moment particulier de l’histoire de la société guyanaise, elle prend une autre dimension et devient, en un sens, un objet politique. Nous mettrons ici l’accent sur uploads/Societe et culture/ le-djokan-un-art-martial-guyanais.pdf
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- Publié le Apv 27, 2021
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