8 Revue des sciences de l’éducation On retrouve des idées semblables en sociolo

8 Revue des sciences de l’éducation On retrouve des idées semblables en sociologie, où des travaux récents (par exemple, Dubet, 1994; Touraine, 1997) soulignent avec force l’idée que, dans les sociétés modernes avancées ou postmodernes, l’éclatement culturel paraît consti- tutif du vécu des êtres humains cultivés, dans la mesure où ceux-ci ne parviennent plus à vivre leur propre existence à partir de normes et de principes culturels clairs et stables qui leur permettraient d’unifier leurs conduites et de donner sens à leur vie au sein d’une totalité culturelle : ils doivent dans la mesure du possible essayer de construire une unité vécue à partir des éléments disparates de la vie culturelle et de la multiplicité des orientations qu’ils portent en eux. Les questions culturelles, cessant de renvoyer à des cultures stables, deviennent ainsi de plus en plus intra et intersubjectives, se présentant comme des dilemmes de l’expérience pour chaque être cultivé dans ses relations à autrui et au monde. Finalement, en philosophie, les nombreux débats des dernières années à propos de la postmodernité (entre autres, Lyotard, 1979; Martuccelli, 1992; Rorty, 1990; Habermas, 1988; Taylor, 1992) mettent aussi en lumière des thèmes similaires: éclatement culturel, diversité des cultures, refus de penser l’expérience culturelle à partir des modèles totalisants ou cohé- rents, émergence de la subjectivité comme source de culture, caractère socialement construit, contingent et improvisé des cultures, etc. Enseignement et cultures Il n’est pas besoin d’une longue analyse pour montrer que cette expérience de fragmentation culturelle, telle que la désigne des théoriciens en anthropologie, sociologie ou philosophie, est au cœur des institutions, des savoirs et des pratiques scolaires actuels. En effet, que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, l’évolu- tion de l’école suit la même tendance et subit les mêmes dilemmes: partout, elle est confrontée au maintien des traditions et des cultures locales, mais aussi à l’exigence de former des acteurs sociaux rompus aux logiques de la performance avec leur bagage nécessaire de «compétences», tout en devant éduquer des enfants et des jeunes, les former aux exigences d’une vie autonome et personnelle, mais sans jamais pouvoir s’appuyer sur des valeurs et des conduites consensuelles, unifiées et cohérentes. Comme «la barque à la proue altérée» de René Char, l’enseignement s’avance maintenant dans le tourbillon des attentes culturelles disparates, dans la cacopho- nie discordante des exigences les plus contradictoires, dans la tempête infiniment répétée des projets politiques et des réformes trop souvent embrouillés. Qu’il prenne l’eau de toutes parts ne doit surtout pas nous étonner. Dans Changing teachers, changing times. Teachers’ work and culture in the Post- modern Age (1994, p.84-85), Hargreaves reprend ces idées et les applique à la condition enseignante. Il montre de quelle manière l’incertitude culturelle entraîne pour les enseignants la nécessité de développer des «certitudes ancrées» (situated cer- uploads/Societe et culture/ on-retrouve.pdf

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