Document généré le 28 jan. 2018 13:55 Anthropologie et Sociétés Anthropologie e
Document généré le 28 jan. 2018 13:55 Anthropologie et Sociétés Anthropologie existentiale et phénoménographie : Observer l’homme en tant qu’il existe Albert Piette Phénoménologies en anthropologie Volume 40, numéro 3, 2016 URI : id.erudit.org/iderudit/1038635ar DOI : 10.7202/1038635ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département d’anthropologie de l’Université Laval ISSN 0702-8997 (imprimé) 1703-7921 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Piette, A. (2016). Anthropologie existentiale et phénoménographie : Observer l’homme en tant qu’il existe. Anthropologie et Sociétés, 40(3), 85–102. doi:10.7202/1038635ar Résumé de l'article Comment garder tout au long d’un processus de recherche l’être humain qui est le plus souvent absorbé dans des ensembles, fragmenté ou mis entre parenthèses au profit d’autres entités, comme l’action, la relation ou aussi l’expérience ? L’auteur propose alors de considérer l’homme en tant qu’il existe, comme thème d’une anthropologie existentiale. C’est dans cette perspective que ce qu’il nomme phénoménographie insiste sur l’importance du suivi d’un seul individu à la fois pour observer comment il existe, c’est-à-dire comment il continue d’instant en instant. Cela suppose, d’une part, de travailler sur la singularité plutôt que sur les ensembles, sur l’unité empirique plutôt que sur les interactions, sur la passivité plutôt que sur la seule action, et, d’autre part, de réfléchir sur la place des relations dont l’auteur critique l’omniprésence théorique en anthropologie et sur les modes complexes et toujours mitigés de présence des humains. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Anthropologie et Sociétés, Université Laval, 2016 Anthropologie et Sociétés, vol. 40, no 3, 2016 : 85-102 ANTHROPOLOGIE EXISTENTIALE ET PHÉNOMÉNOGRAPHIE Observer l’homme en tant qu’il existe Albert Piette Toutes les disciplines des sciences humaines pourraient être des anthropologies de l’homme : en tant que social, spatial, historique, etc. Seule une discipline, assise institutionnellement, est appelée anthropologie (avec ses propres qualificatifs). L’anthropologie, sociale et culturelle, vise ainsi l’exploration de la diversité culturelle et des rapports sociaux. Par analogie avec les autres disciplines, elle devrait être dénommée sociologie ou culturologie (ou ethnologie). Que pourrait-être une anthropo-logie ? Une étude de l’homme en tant qu’il est humain. Pour la circonscrire en tant que discipline, il serait important de valoriser l’entité humaine et de la dégager, d’une part, des cultures, et d’autre part, des actions ou des expériences s’imposant trop vite aux yeux et à l’analyse de l’observateur. Ce qui ne veut pas dire que nous ne retrouverions pas dans l’exploration du volume humain, au moins partiellement, des cultures, des actions et des expériences, que l’anthropologue ne notera pas ledit volume en train de parler, d’agir, de faire des gestes, de ressentir, d’éprouver. Mais cette anthropologie serait différente d’une anthropologie sociale ou culturelle. Une telle focalisation sur l’unité humaine se heurte à l’histoire des sciences de l’homme. Rappelons-nous le projet de Lévi-Strauss de « faire abstraction du sujet – insupportable enfant gâté qui a trop longtemps occupé la scène philosophique » (Lévi-Strauss 1971 : 614). Mais sur ce point, ce serait une erreur d’opposer les sciences de la structure et celles de l’expérience. Structuralisme et phénoménologie s’entendent pour ne pas affronter l’unité empirique que chaque humain constitue. Est bien connu le mépris de Heidegger pour l’homme concret et pour l’anthropologie, « une sorte de dépotoir », à laquelle il préfère l’abstraction du Dasein et de l’analytique existentiale (Heidegger 1981 : 269). Quant à la phénoménologie husserlienne, Hans Blumenberg consacre de très nombreuses pages à la critique de son « interdit anthropologique », à partir duquel « l’homme tombe pour ainsi dire au-dehors du cadre systématique, ou si l’on veut : passe à travers » (Blumenberg 2011 : 44). Où est alors l’homme capable d’exister ? Blumenberg précise : « La décision de Husserl contre les anthropologies n’est pas un acte misanthrope arbitraire ou léger contre l’humanité des attentes envers la philosophie » (ibid.) : Husserl considérait l’anthropologie comme une « sous- estimation philosophique » et ajoutait : 86 ALBERT PIETTE La philosophie comme phénoménologie peut réaliser davantage. Elle doit être à même de donner une théorie de tout type possible de conscience et de raison, d’objet et de monde, et aussi d’intersubjectivité. Blumenberg 2011 : 46 Ainsi, une bonne part de la phénoménologie ne va-t-elle pas viser trop directement des « essences » à partir d’exemples coupés des détails contingents et des situations concrètes ? Husserl a d’ailleurs tendance à purifier ses exemples, selon une procédure qui n’est pas empirique mais « eidétique », privilégiant les données intuitives, admettant aussi les cas imaginés, avec le but de défaire les exemples de vécus de leur flou, vague, impureté ou contingences factuelles (Vermersch 1999). « L’homme est absent des sciences humaines. Cela ne veut pas dire qu’il soit éludé ou supprimé. C’est au contraire la seule manière d’y être présent », conclut Maurice Blanchot (1969 : 373). Mais à force de…, l’absence risque d’être de plus en plus marquée ! À ceux qui objecteraient, en deçà de ces débats, que les sciences humaines, et en particulier l’anthropologie sociale, regardent directement les humains, je réponds qu’elles pratiquent ce regard certes, mais imprégné de trois restrictions décisives : d’une part, les opérations homogénéisantes, souvent très précoces dans le processus de recherche en sciences sociales, par lesquelles les humains sont décrits et analysés comme partageant un ensemble de traits socioculturels. Il s’agit d’une modalité de travailler sur les humains, sans eux, sans chacun d’eux, au profit d’une entité sociale et culturelle dont l’existence est pour le moins douteuse. D’autre part, la réduction des humains à quelques compétences (interactionnelles, cognitives, psychologiques), elles-mêmes homogénéisables à l’ensemble des membres de l’entité destinée à être décrite et explicitée, une activité, une action, un événement. Chacun, absorbé avec d’autres, est associé à un « en tant que » : non seulement en tant qu’il est membre d’un groupe, mais aussi qu’il accomplit une action, qu’il vit une expérience, ou qu’il est régi par une structure sociale ou cognitive, ou encore qu’il mobilise tel ou tel schème mental. Enfin, l’humain lui-même peut, selon les approches, être jusqu’à suspendu et contourné au profit de l’action, de l’expérience ou de la relation devenus les objets d’intelligibilité. Avec les sciences sociales, l’anthropologie sociale et culturelle pratique une sorte de « détournement socio-culturalo-cognitivo-expérientio- relationnel » des humains – j’ajouterais « nonhumaniste » pour désigner le poids pris ces dernières années par les non humains et signaler qu’il serait dommage qu’après les ensembles socioculturels, les « non-humains » s’imposent comme objets privilégiés de l’anthropologie une nouvelle fois aux dépens de l’individu humain1. Mise dans des ensembles, mise entre parenthèses au profit d’autres entités, fragmentation ou réduction : les modes de désanthropocentration de l’anthropologie sont nombreux, mêlant les arguments méthodologiques (à partir des diverses difficultés de maintenir une focalisation sur des individus du début à 1. Pour une critique de l’insistance sur les non humains, voir Piette (2015). Anthropologie existentiale et phénoménographie 87 la fin de l’opération de recherche), politiques (l’individu comme « vilain canard » cause de beaucoup de maux sociopolitiques et environnementaux) ou théorico- ontologiques (posant que c’est l’acte, la relation, l’inconscient, la société ou la nature qui sont premiers et pas l’individu lui-même). Aujourd’hui, une science de l’homme est-elle possible ? Dans cet article qui se veut théorique, je répondrai positivement en indiquant qu’une anthropo- logie peut se focaliser sur l’humain en tant qu’il existe, avec une méthodologie spécifique, la phénoménographie. En tant qu’il existe Étudier les êtres « en tant que » : c’est le principe du filtrage, que Francis Wolff a rappelé récemment avec beaucoup de force, et de son corollaire inéluctable selon lequel chaque discipline fait comme si son « en tant que » était tout l’homme, devenant ainsi une sorte d’abstraction (Wolff 2010). Parions sur une solution qui ne laisse pas l’existence mystérieusement hors d’atteinte. On ne peut trouver cette solution dans l’étude de l’« homme total » qui cumulerait diverses dimensions (psychologiques, linguistiques, géographiques, sociologiques) et en même temps dans le profil de l’anthropologue maîtrisant les informations et compétences de chaque discipline concernée. L’anthropologie ne peut pas être non plus l’étude des hommes en tant qu’ils ont des pratiques sociales et culturelles variées, en particulier différentes des nôtres. Non seulement cela manque l’existence proprement dite, crée une ambiguïté avec la sociologie, mais cela interroge aussi sur l’idée de différence qui ne peut être fondée sur la distance géographique ou le rapport à l’occidentalisation. Il me semble important d’insister sur la différence entre l’être humain et chaque « en tant que ». C’est bien le « plus » par rapport à un « en tant que » qui fait réfléchir et permet de circonscrire une thématique, voire une discipline avec l’objet qui la caractérise. On sait qu’une science se uploads/Societe et culture/anthropologie-existentiale-et-phenomenographie.pdf
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- Publié le Fev 24, 2022
- Catégorie Society and Cultur...
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