ANTHROPOLOGIE ▸POURQUOI UNE ANTHROPOLOGIE ? ▸QUELLES SONT LES FRONTIÈRES DE L’H

ANTHROPOLOGIE ▸POURQUOI UNE ANTHROPOLOGIE ? ▸QUELLES SONT LES FRONTIÈRES DE L’HUMAIN ? ▸QU’EST-CE QUE L’ETHNOCENTRISME ? ▸QUELLES SONT LES FINS DE L’ANTHROPOLOGIE SCIENTIFIQUE ? ▸UNITÉ OU DIVERSITÉ DU GENRE HUMAIN ? 13 ANTHROPOLOGIE Lorsque Pic de la Mirandole (1463-1494) élabore son Discours sur la dignité de l'homme (1486), sait-il qu'il ouvre l'ère d'une nouvelle confi guration du savoir concernant les humains ? En détournant la notion biblique de  créature  par l'affi rmation selon laquelle la spécifi cité de l'être humain est d'être  créateur de lui-même  (plastique), ouvert sur une infi nité de possibles, il encourage les philosophes à mieux le comprendre et donc aussi à se comprendre eux-mêmes. Depuis lors, ce n'est plus à partir d'une croyance que les philosophes jugent l'humain. Ils veulent savoir ce que ce dernier peut entreprendre, comme individu et comme espèce ou collectivité, alors que la théologie de la créature s'était perdue dans des apories telles que : pourquoi différencier des créatures toutes égales aux yeux de Dieu ? Vouer les monstres au diable ? Qui sont les Noirs rencontrés durant les Découvertes ? Et les Incas ? La Controverse de Valladolid (1550), qui permit de sauver quelques humains du massacre perpétré par les européens, ne répondit pas non plus à ces questions. POURQUOI UNE ANTHROPOLOGIE ? À quelle condition, alors, répondre à l'épreuve de la diversité humaine ? Par un discours tenu sous l'égide de la raison. Il faut élaborer une science, une anthropo-logie – termes repris du grec : anthropos, l'humain ; Logos, le discours sur […]. Détournant un vieux terme qui désignait jusque-là, à propos des Écritures, la description des choses divines avec des mots humains, cette  science , déployée par les philosophes, dès le XVIIe siècle, et surtout sous les Lumières européennes, aussi diverses soient-elles (Lumières, Aufklärung, Enlightenment, Illuminismo,…), prend la forme d'un discours général sur l'humain, ancré dans le concept de nature humaine. Cette anthropologie philosophique se déploie selon deux axes : 1. Elle vise à interroger la  nature  de l'homme, tant du point de vue anatomique, moral, que psychologique. Elle construit un couple central et antinomique : animal vs humain, ou nature vs culture, l'animal relevant de la nature et l'humain de la culture. Et entre les deux extrêmes, elle loge les  sauvages  (nommés d'après le latin sylvestris, donc ceux qui vivent dans la forêt), qu'elle ne reconnaît pas pleinement dans leur humanité, sinon, au mieux, à en faire des  enfants de l'humanité  à soumettre à une  élévation  à la rationalité. On lui doit tout de même de nombreux travaux positifs d'anatomie et de physiologie, ainsi que de nombreux récits de voyage. 2. Elle s'interroge non moins sur les peuples, mais en n'envisageant pas une pluralité de cultures, puisque seule celle de l'homme européen, réputée universelle, sert de référence, nommée  la  culture. Néanmoins, selon les cas, certains invoquent l'anthropologie, à la suite de John Locke, afi n de célébrer la diversité de l'humanité et de réfuter l'idée d'un consentement universel à certaines vérités immuables parce que  divines  ; et d'autres l'invoquent, à la suite de René Descartes, afi n d'instaurer les droits d'une nature humaine une et universelle. QUELLES SONT LES FRONTIÈRES DE L’HUMAIN ? Par quelque biais que ce soit, dans ce champ laïcisé, une question est à résoudre : où commence et où fi nit l'humain ? Le débat porte non seulement sur les frontières physiques envisageables avec les autres règnes, mais aussi sur les manières de les fi xer, et sur les points de diffraction (cerveau, outil, main ?), d'autant qu'elles doivent 14 permettre de maintenir une supériorité des humains sur les animaux, mais aussi, selon un racisme latent, entre les humains. La partition grecque entre dieux, humains et animaux pouvait être reprise, mais elle se contentait du critère de la parole (silence/ logos/cri). On devait surtout concevoir le concept d’ homme  que le Moyen Âge n'isolait pas sauf pour désigner celui qui rend hommage (l'homme-lige). Cela ne facilitait pas la réponse à la question :  qu'est-ce que l'homme ?  (reprise et formalisée par l’Aufklärer Immanuel Kant sous la forme : Was ist der Mensch ?). C'est surtout la tâche que les Lumières s'assignent qui amplifi e les travaux sur ces questions. Elles déploient une théorie de l'humain et des sociétés humaines dans une philosophie (moderne) de l'homme moderne, si limitée ou bornée qu'elle soit, désormais, à nos yeux. Les animaux y tombent sous une péjoration : l'homme (excluant souvent la femme !) est esprit, l'animal est instinct : l'homme est sensible, l'animal machine, etc. Pour autant, le débat est vif. Locke et Jean-Jacques Rousseau, hors des Lumières, Denis Diderot en elles, n'acceptent pas cette discrimination, car elle empêche de concevoir des devoirs des humains à l'égard des animaux. Englobant les thèses de Charles Darwin, la biologie et l'éthologie modernes imposent aussi d'autres vues. QU’EST-CE QUE L’ETHNOCENTRISME ? Les philosophes ne cernent pas immédiatement ces bornes. Beaucoup ne comprennent pas qu'ils sont enfermés dans un ethnocentrisme ravageur – dont on comprend plus tard qu'il est partagé par toutes les cultures, la plupart des peuples considérant que l'humanité cesse à leurs frontières ethniques ou linguistiques – en ce qui concerne les rapports entre les humains. Par ethnocentrisme, il convient d'entendre un mode selon lequel une culture se rapporte à soi en refusant d'accorder aux autres cultures un statut humain. Ce terme technique est élaboré par le sociologue américain William G. Summer (1906)  pour cette vue des choses selon laquelle notre propre groupe est le centre de toutes choses, tous les autres groupes étant mesurés et évalués par rapport à lui… Chaque groupe pense que ses propres coutumes sont les seules bonnes… . À ce propos, en 1987, Claude Lévi-Strauss ajoute :  L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles, morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifi ons.  Habitudes de sauvages ,  cela n'est pas de chez nous ,… autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères  (Race et histoire). L'anthropologie philosophique, travaillée par les Lumières européennes, malgré son rôle émancipateur, militant et révolutionnaire (par rapport à la théologie), déploie une revendication parfois ambigüe : la supériorité blanche, européenne et logocentrée, en même temps que l'abolitionnisme. Elle reste fort dramatiquement impactée par le rejet des autres :  barbares ,  sauvages ,  primitifs , quand elle n'a pas légitimé certains racismes et quelques ethnocides, selon le terme forgé par l'ethnologue Georges Condo- minas, en 1958, pour désigner  toute entreprise ou action conduisant à la destruction de la culture d'un groupe, à l'éradication de son ethnicité ou identité ethnique . Les colonisations en font foi. 15 ANTHROPOLOGIE QUELLES SONT LES FINS DE L’ANTHROPOLOGIE SCIENTIFIQUE ? Néanmoins paradoxalement, les colonisations ont aussi transporté hors d'Europe de nombreux chercheurs, parfois choqués par les aventures coloniales, au point de songer à rectifi er fermement l'anthropologie philosophique. Aussi, à la charnière des XIXe et XXe siècles, par refonte de l'anthropologie philo- sophique, est née une anthropologie culturelle ou ethnologie (du grec ethnos, culture), science humaine qui tente de rompre avec les présupposés colonialistes et/ou humanistes européens – combat interne incessant – et confère à la culture, conçue cette fois comme ordre symbolique, une autre teneur. À partir d'enquêtes (voyages, monographies des ethnographes), l'ethnologue (Edward Tylor [1832-1917], Franz Boas [1858-1942], Marcel Mauss [1872-1950], etc.) déduit les propriétés de cet ordre : organiser les humains, ainsi que leur rapport à la nature, en les rassemblant et les dissociant simultanément (rapports de parenté, hommes/femmes, maris/femmes, liens d'alliance et de mésal- liance, prohibition de l'inceste, langues et cultures différentes, manières de table,…), imposant entre eux l'échange permanent. La culture est l'ordre de la loi qui dissocie et relie et fait l'objet d'histoires multiples et différentielles. Suite à ces travaux, la diversité humaine commence à être reconnue, l'ethnocentrisme est combattu. Les vieilles catégories, confi nant au racisme, sont rejetées du champ scientifi que. Mais est-ce seulement en vue d'acquérir un savoir supplémentaire au profi t de l'encyclopédie du savoir, ou pour se donner les moyens d'affronter ces épreuves ? Assez rapidement, dans ce contexte, des ethnologies inversées (africaines, asiatiques, les ex-colonisés explorant la vie du colonisateur) se constituent, puis, plus récemment, des Cultural Studies (Études culturelles), selon les termes de Richard Hoggarth, en 1964, à vocation transdisciplinaires et critique, portant sur les cultures devenues minoritaires, colonisées, contestataires,… UNITÉ OU DIVERSITÉ DU GENRE HUMAIN ? Les débats ne sont pas taris, ils reviennent sur des questions philosophiques. Entre le concept d'une humanité une par la nature humaine et le concept d'une humanité plurielle, que choisir ? Une trop grande célébration du divers (à partir uploads/Societe et culture/extrait-pdf 1 .pdf

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