JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ STATISTIQUE DE PARIS JEAN BOURDON La critique historique
JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ STATISTIQUE DE PARIS JEAN BOURDON La critique historique appliquée aux documents statistiques et numériques Journal de la société statistique de Paris, tome 97 (1956), p. 24-49 <http://www.numdam.org/item?id=JSFS_1956__97__24_0> © Société de statistique de Paris, 1956, tous droits réservés. L’accès aux archives de la revue « Journal de la société statistique de Paris » (http://publications-sfds.math.cnrs.fr/index.php/J-SFdS) implique l’accord avec les conditions générales d’utilisation (http://www.numdam.org/conditions). Toute uti- lisation commerciale ou impression systématique est constitutive d’une infrac- tion pénale. Toute copie ou impression de ce fichier doit contenir la pré- sente mention de copyright. Article numérisé dans le cadre du programme Numérisation de documents anciens mathématiques http://www.numdam.org/ V I LA CRITIQUE HISTORIQUE APPLIQUÉE AUX DOCUMENTS STATISTIQUES ET NUMÉRIQUES Les remarques (1) qu'on présente ici valent pour îles documents concernant les objets les plus divers, bien que les exemples donnés à leur appui aient été pris presque tous dans la démographie, dont les statistiques sont aujourd'hui en Occident les plus voisines de l'exactitude complète, et en grande majorité dans les recensements : les chiffres globaux de la population, qu'ils donnent, fournissent maintenant un point de départ h tous les raisonnements démogra- phiques, tandis que pour les époques passées ils représentent ce qu'il est le plus difficile d'atteindre et seulement par l'examen préalable de toutes les autres données. On réserve aujourd'hui et nous réserverons le nom de statistiques à des ouvrages qui, sauf les titres et de très rares notes, ne contiennent que des chiffres; ils donnent maintenant la grande majorité des chiffres et leur multi- plication caractérise ce qu'on pourrait appeler l'ère statistique. Mais pour (1) Je serai reconnaissant des compléments, observations, critiques même qu'on voudra bien m'adresser, surtout si elles sont présentées de façon à pouvoir être incorporées dans mon travail au lieu de proposer seulement de nouvelles recherches dans un domaine que les forces d'un homme ne suffiraient point à parcourir. M. P. (Joubert a donné, dans les noies que nous lui devons, le modèle de cette coopération précieuse. — 25 — l'ère préstatistique, de beaucoup la plus longue, les chiffres sont presque toujours incorporés dans un texte; c'est ce que nous appellerons les documents numériques. La distinction de ces deux catégories de documents présente l'im- portance qu'on verra par la suite, bien que certains ouvrages forment transition entre elles : les « statistiques départementales » publiées sous le Consulat et l'Empire seraient appelées aujourd'hui des descriptions ou des géographies mais contiennent des chiffres nombreux et très souvent groupes en tableaux. Aujourd'hui en Occident les recensements de la population qu'on publie sont fondés sur des dénombrements effectifs, mais aux époques passées et actuellement encore dans les pays exotiques, de simples évaluations ont été baptisées recensements : certaines langues même n'ont pas de mots distincts pour désigner les deux choses. Il convient de distinguer parmi les documents de forme statistique deux espèces, sans oublier que certains d'entre eux appar- tiennent pour partie à l'une et pour partie à l'autre : tel « recensement » afri- cain, publié dans ces dernières années, mérite ce nom pour la population des villes, qui a été dénombrée, non pour celle des campagnes, de beaucoup la plus considérable, qui a été évaluée. Pour aller du connu à l'inconnu on devra critiquer les véritables recensements, puis les évaluations, enfin les documents numériques. Cette critique n'a été que trop rarement faite, sans doute parce qu'une double compétence lui serait nécessaire et qu'à l'ordinaire les statisticiens ne sont pas historiens ni les historiens statisticiens : M. Frumkin, statisticien éprouvé, a dénoncé la candeur extraordinaire des historiens en démographie et le reproche est fondé, mais ne vaudrait-il pas aussi pour nombre de statisti- ciens ses confrères? M. Huber, Directeur honoraire de la Statistique Générale de la France, a écrit au début de son Cours de démographie et de statistique sanitaire (t. I, p. 1-2.). « Tous ceux qui utilisent les résultats de ces enquêtes (statistiques de la population) ont le plus grand intérêt à savoir comment ils ont été obtenus. Le degré de confiance que l'on peut*accorder aux chiffres dépend essentielle- ment des méthodes suivies. » Mais s'il expose les « méthodes suivies » ou plutôt les méthodes prescrites, sans beaucoup se préoccuper de savoir si elles ont été appliquées, il laisse presque toujours aux lecteurs le soin de déceler la solidité qu'elles confèrent aux chiffres, c'est-à-dire de faire un travail à peu près impossible sans des connaissances techniques qu'ils ne possèdent pas, et l'Office permanent de l'Institut international de Statistique a pousse encore plus loin cette réserve — fort naturelle aux membres des Bureaux statistiques, qui ne peuvent guère critiquer leur propre service ou ceux de leurs confrères. M. Pierre Depoid, statisticien mais qui n'appartient point à un service public, réunissait la compétence et l'indépendance nécessaires pour écrire une très importante étude sur le Degré de précision des statistiques démographiques à laquelle nous voudrions apporter quelques.additions, en introduisant dans la critique des documents statistiques les formes et les règles de la critique des documents historiques, telles qu'elles ont été définies par les historiens, mais en leur apportant sur quelques points des additions personnelles. I. — Parmi les documents écrits — les documents historiques matériels ne sont pas en cause ici — il faut croyons-nous distinguer plus que ne l'ont fait 1™ SÉRIE — 9 7 e VOLUME — N 0 8 1-2-3 4 — 26 — les historiens deux catégories. Tantôt l'auteur du document se préoccupait de donner les renseignements mêmes que cherche l'historien : celui-ci les obtient sans peine, ainsi le récit de la conquête de la Gaule dans les Commentaires de César. Tantôt l'auteur du document a fourni sans le vouloir les renseigne- ments cherchés, par exemple ceux que procurent à l'histoire économique les contrats de vente et de louage, destinés non à instruire les érudits des siècles à venir mais à fixer les droits des parties : ici un travail d'élaboration s'impose à l'historien. Cette distinction ne se confond pas avec celle qu'on établit ordinairement entre les sources narratives ou sources littéraires, au sens large du terme et les sources d'archives. Les premières comprennent des discours destinés à obtenir une décision ou un verdict et d'autres documents rédigés en vue d'une fin pratique, dont les auteurs nous instruisent involontairement : comment pourrait-il avoir détourné le torrent dans le chemin puisque, chacun le sait, il n'est pas d'autres chemins qui le lit des torrents, demandait un orateur attique, préoccupé de faire acquitter son client et non de révéler aux modernes la voirie de son pays. Dans les archives on trouve, à côté des contrats et des jugements, des récits envoyés au gouvernement par des ambassadeurs ou des généraux et qui, pour ne point s'adresser à un large public, n'en donnent pas moins de façon immédiate les exposés des négociations ou des batailles que cherche l'historien : on doit préférer ces récits aux mémoires, parce qu'ils ont été écrits plus près des événements, mais les uns et les autres sont des sources littéraires. Cette distinction devrait même être faite non seulement pour chaque document mais pour chacune des affirmations qu'il contient : la critique ne doit pas être la même selon que l'auteur nous instruit volontaire- ment ou sans le vouloir. 1° Jusqu'à un temps tout voisin du nôtre les autorités n'ont recueilli de chiffres que pour des fins pratiques, vérité qui commande toute la critique de ces chiffres, à commencer par leur interprétation. 2° Dans notre temps les administrations relèvent et publient, outre les chiffres dont elles ont besoin, ceux ou plutôt une partie de ceux que leur deman- dent les statisticiens. Les administrations établissent avec un soin particulier les chiffres qui leur sont utiles : les marchandises sujettes à une taxe sont celles que les douaniers cherchent à relever le plus complètement, mais aussi celles que beaucoup de voyageurs tâchent de dissimuler. La négligence est à craindre dans les chiffres qui n'ont pas de portée pratique ou, plus exactement, dont la portée pratique n'apparaît pas aux personnes chargées de les établir; la fraude dans les autres. IL — D'autre part la méthodologie historique indique la nécessité de cher- cher à quel public s'adressait l'auteur du document dans le cas où cet auteur a pu être tenté de déformer les faits pour plaire à son public ou du moins pour ne pas le choquer; cette recherche ne doit pas être réservée à ce problème mais guider la plupart des opérations de la critique. Il ne s'agit pas du public qui a effectivement lu le document : l'action exercée sur un certain public est une conséquence du document; nous cherchons les causes qui ont déterminé sa rédaction et l'une d'entre elles se trouve dans l'idée, juste ou fausse peu importe, que l'auteur se faisait de ses futurs lecteurs. — 27 - Pour appliquer ce principe aux statistiques, on se rappellera que la connais- sance en a été longtemps réservée aux gouvernements ou aux administra- tions (1). Aujourd'hui en Occident nul n'imagine que la publication des chiffres relatifs à la population présente le plus léger inconvénient, mais au Danemark, uploads/s1/ jsfs-1956-97-24-0.pdf
Documents similaires










-
32
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 07, 2021
- Catégorie Administration
- Langue French
- Taille du fichier 3.1344MB