Ce livre est une histoire de la sculpture funéraire du XVII' au XIX' siècle che
Ce livre est une histoire de la sculpture funéraire du XVII' au XIX' siècle chez les Sakalava de la côte'ouest de Madagascar. À travers une analyse détaillée et magnifiquement illustrée, on découvre comment, à partir d'un modèle unique - le tombeau royal bâti en pierres - des artistes vont créer des tombeaux en bois décorés de sculptures, symboles de la procréation et de la vie: hommes, femmes, oiseaux, blasons familiaux et couples d'amoureux. Le tombeau symbolise tout à la fois les règles de l'astrologie qui situe tous les êtres vivants dans un mouvement immense et sans fin, fixant le destin de chacun, sa place dans le cosmos, sa proximitéavec le divin et donc le statut social du défunt. Les statues érotiques appartiennent à la dernière période de l'histoire de cet art funéraire qui s'étend sur trois siècles. Ces statues en constituent d'une certaine manière le point d'aboutissement logique. On va donc découvrir comment, à partir du modèle primitif du tombeau du roi dont la forme particulière consacrait son statut incomparable, on aboutit, par des adaptations successives et par une transformation plastique de l'architecture funéraire, à des créations de ce type. L'œuvre proposée devait plaire, marquer son époque, de telle manière que l'innovation la plus osée apparaisse en définitive comme la confirmation de ce qui s'est toujours fait. Ainsi, le sculpteur, à travers ses inventions plastiques représentatives de chacune des périodes de l'évolution de cet art funéraire, est comme le législateur de sa société, donnant forme et sens au nouveau cours des choses tout en se situant dans la continuité d'une tradition religieuse. Ouvrage publié avec l'aide de la société Mauvilac, La Réunion Conception graphique Stéphane Cohen Maquette Jacques Lombard, Françoise Leuiller Mise enpagePhilippe Fiasse Tirages photographiques Annick Aing Suivi éditorialThomas Mourier, Catherine Plasse Relecture et corrections Yolande Cavallazzi, Florence Banville Collection « Musées » dirigée par Adam Biro © 2007 Biro éditeur www.biroediteur.com ISBN: 978-2-35119-021-0 N" d'éditeur: 22 © 2007 IRD www.ird.fr ISBN: 978-2-7099-1520-5 Dépôt légal : février 2007 Tous droits réservés Imprimé à Singapour SOPHIE GOEDEFROIT JACQUES LOMBARD ANDOLO L'ART FUNÉRAIRE SAKALAVA À MADAGASCAR ~I· Il • -0 : . B.-IJ ct' -I i: " 1 : :: \: PF"• .r ~1 " :. bLL DL BOYRBoN 1. D'après Étien ne de Flacou rt 1656. P R É L U D E 7 Ce livre est un récit sur le temps, sur l’éclosiond’une époque, sur cette rencontre unique entre ceux qui appartiennent à un même monde et ce qui en est dit dans un tombeau qui fixe l’absolu du présent, l’offrant à la tentation de l’éternité dans une fiction de la condition humaine. Nous ne sommes pas là dans la fuite mécanique du temps, dans un mouve- ment où l’on peut se pencher vers l’avant ou vers l’arrière mais dans ces moments sublimes, ces « temps purs » chers à Marcel Proust où le passé est perméable au futur quand chacun se dissout avec délices dans l’écho du tout, de l’universel. Quand la mort est le vrai miroir de la vie. C’est le temps contre l’horloge impavide du travail, contre le temps qui gagne du temps, contre le temps qui s’essouffle à compter le temps. C’est seulement le temps du désir, du sexe, de l’amour, le temps sans attente, sans fin et sans espace. L’éternité du désir comme révélation de Dieu. L’exaltation de la vie, le désordre du sexe sur les lèvres de la mort. L’art funéraire des Sakalava1 apporte à sa manière les ferments d’une réflexion générale qu’il distille ici dans une formulation particulière. En quoi l’architecture funéraire est-elle à la fois « la transfiguration d’un mythe dans l’image », selon la formule de Vernant (Georgoudy et Vernant, 1996), et l’ex- pression la plus tangible, mais aussi la plus originale, d’un certain rapport au monde, d’une certaine conception de l’univers et de la destinée ? Comment le tom- beau traduit-il dans sa structure et son registre ornemental les réalités de l’époque, de chaque époque, de telle sorte que l’on puisse dire que l’art funéraire est, à sa manière, une « histoire » de la société sakalava, une énonciation originale qui permet de la penser dans sa globalité et dans son évolution ? Pourquoi dit-on que le tombeau du roi est une œuvre parfaite et absolue, l’image du souverain, représentant de Dieu sur terre et un modèle pour son peuple ? Qu’entendons-nous lorsque nous affirmons que les ancêtres sont les vrais modernes et que les sculpteurs sont à leur manière les artisans et les accoucheurs de cette modernité ? Pourquoi et par quels détours de l’histoire des statues aux caractères sexuels affirmés ou encore des personnages figurés dans des positions amoureuses les plus diverses sont-ils apparus dans les nécropoles sakalava, réveillant ainsi notre réflexion sur la proxi- mité du sexe, de l’amour et de la mort dans de nombreuses sociétés humaines ? Et enfin que doit-on penser de la disparition de la sculpture funéraire en pays saka- lava, au moment même où la plupart de ces œuvres rejoignaient nos musées ? C’est l’objet, la sculpture, le talisman qui forment ici l’énoncé, qui explicitent et dessinent la trajectoire de toute une société. Comme tous les mécanismes qui assurent 1. Société de la côte ouest de Madagascar qui compte quelque deux cent mille individus. P R É L U D E ANDOLO L’ART FUNÉRAIRE SAKALAVA DU MENABE 8 l’expression du pouvoir et du social dans le monde sakalava, l’érection d’un tom- beau apparaît comme une tradition qui n’en est pas une. On ne parle jamais, sur ces monuments funéraires, que de ce qui est parfaitement contemporain de la même manière que le possédé, pourtant habité par l’esprit d’un roi des périodes les plus anciennes, n’interviendra que sur les questions les plus actuelles. En ce sens, les ancêtres sont les vrais modernes et ces deux pratiques sociales sont comparables. D’un côté, un possédé, innocent de son discours2, apporte un certain nombre de réponses, tout à la fois originales et nécessaires, aux problèmes du moment. L’art politique du possédé se joue dans cette dialectique subtile où il doit savoir légiti- mer, au nom du passé le plus reculé, de nouvelles manières de faire et de voir empruntées à l’air du temps, pour dénouer des situations difficiles mais sans jamais aller trop loin. Le sculpteur de son côté, en application de principes immémoriaux, invente des formes plastiques qui formalisent, cas par cas et d’une manière spéci- fique, des innovations sociales, politiques ou religieuses et ainsi les qualifient. De cette manière, le sculpteur n’est pas prisonnier d’une forme d’expression canonique. Au contraire, on attend de lui qu’il formule une bonne proposition comme le conteur qui choisit les motifs de son récit en fonction de la nature de son public. Chaque conte pourtant énoncé différemment veillée après veillée apparaîtra néanmoins toujours le même. Cet aller-retour entre l’artiste et son « public » voit s’effectuer la rencontre complexe d’éléments aussi divers que la sen- sibilité et le plaisir esthétique qui portent une époque, les savoir-faire et les techniques, les règles de la hiérarchie sociale, les principes de l’astrologie… De là doit naître une œuvre qui porte un sens parce qu’elle s’inscrit dans chaque moder- nité, dans la coagulation de chaque époque. Une œuvre bien reçue qui plaît est alors considérée comme portant une vérité qui ne peut s’exprimer que de cette manière, et c’est bien là la signification profonde de l’art funéraire. Le premier chapitre, « Saga sakalava », est une présentation de la période histo- rique qui rassemble plus de trois siècles et sert de cadre à notre propos. Période homogène dans son développement interne comme dans ses relations avec l’exté- rieur qui correspond à l’émergence, l’expansion et à l’effondrement d’un système politique. La royauté sakalava du Menabe s’est mise en place au début du XVIIe siè- cle, un siècle après l’arrivée des Européens dans la Grande Île3, et disparaît à la fin du XIXe siècle avec la conquête coloniale française4. Les rois sakalava se sont alors appuyés sur la traite des esclaves et le commerce avec les Occidentaux pour développer leur 2. La personne habitée par un esprit est censée tout ignorer de ce qui sera dit au cours de la séance de possession. 3. Au tout début du XVIe siècle, avec l’amiral portugais Tristan Da Cuhna. 4. Au moment du débarquement du corps expéditionnaire français en 1895. hégémonie sur l’ensemble de la côte ouest. Dans le même temps, l’influence gran- dissante de l’Europe et l’évolution du contexte international ne leur ont pas laissé « le temps historique » d’une consolidation politique alors que l’essentiel des insti- tutions d’un pouvoir fort et centralisé était déjà en place. Nous verrons comment les différents tombeaux royaux qui marquent dans l’espace l’histoire du royaume sakalava apparaissent comme une véritable mise en scène d’une idéologie poli- tique et religieuse qui place le souverain au centre de l’univers. Ce chapitre doit nous permettre de comprendre de quelle manière ces édifices serviront progressi- vement de modèles pour la construction des tombeaux des nobles, des roturiers et, plus tard, des esclaves. Les uploads/s3/ andolo-pdf.pdf
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- Publié le Jan 01, 2022
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