1 La formation à la conduite d’ateliers d’écriture comme facteur de réflexivité
1 La formation à la conduite d’ateliers d’écriture comme facteur de réflexivité critique sur les processus de création AMarie Petitjean Résumé. — La manière dont peut se concevoir une formation à la conduite d’ateliers d’écriture permet d’en relever les enjeux dans une formation diplômante en écriture créative. Le cours dont il est question demande à l’étudiant de se forger une culture des ateliers d’écriture, de se familiariser avec la méthode pragmatique de l’expérience continue, de concevoir ses propres protocoles, de s’exercer aux retours oraux sur les textes des autres. Cette position du passeur est analysée comme facteur de réflexivité critique sur les processus de création et les paramètres favorisant la créativité. Mots clés. — atelier d’écriture – formation universitaire – écriture créative – réflexivité critique Titre en anglais : Learning how to lead writing workshops to develop critic competences about writing process Abstract – The most obvious interest of writing workshops training in the academy appears when conceiving the program. The students have to read more about creative writing culture, to experience the pragmatic method of conceptual inquiry, to conceive their own teaching steps and to raise talking points in each other’s creative writings. For a writer, taking the place of the “knowledge-broker” is a factor of critical reflexivity about the writing process and about what can develop creativity. Keywords. — writing workshop – academic program – creative writing – critical reflexivity 2 L’attractivité des ateliers d’écriture va de pair avec un foisonnement protéiforme qui déborde les premières typologies1 et qui a tendance à s’accroître via des structures de plus en plus variées et via les offres sur le net. La question de la formation des intervenants se pose avec d’autant plus d’acuité et interfère avec les questions, pourtant distinctes, de leur statut et encore de leur légitimité. A cette perspective, que l’on peut dire d’expertise professionnelle, qui justifie un premier intérêt pour bâtir un programme de formation qui soit adapté aux animateurs d’ateliers, s’adjoint une perspective qui justifie qu’un tel programme prenne place dans une offre de formations universitaires dédiées au champ plus général de l’écriture créative. Prendre la posture de l’animateur/rice d’atelier demande, de fait, un pas de côté par rapport à l’engagement dans un processus de création littéraire. Ce pas de côté m’apparaît aujourd’hui comme le plus propice à une réflexion distanciée sur les procédés littéraires et les leviers génératifs, sans risque d’imposer une conscientisation artificielle de l’œuvre en cours. Suivre un programme de formation à l’animation d’ateliers d’écriture serait ainsi le complément utile, voire indispensable, à un parcours de recherche en création littéraire, quel que soit le débouché professionnel effectif. Mais quel savoir ou savoir-faire s’agit-il au juste de développer ? Quels sont les éléments à réfléchir dans une formation à l’encadrement d’ateliers ? S’agit-il d’adjoindre à une expertise d’écrivain quelques éléments de pédagogie ou d’animation de groupe ? S’agit-il de revisiter la posture enseignante, fût-elle celle du « maître ignorant » (Rancière, 1987) ? S’agit-il encore de scénariser pour les autres ce que l’on a vécu intimement au cours d’un processus créatif ? Pour l’envisager je vais m’appuyer sur ma connaissance des ateliers, élaborée au fil de lectures du fonds abondant produit par les animateurs2, d’observations de terrain dans des contextes différents3 et sur une expérience d’une dizaine d’années de conduite d’ateliers 1 L’effort de typologisation caractérise la description du dispositif dès les premiers travaux universitaires (Rossignol, 1996 ; Pimet & Boniface, 1999 ; Oriol-Boyer & Bilous, 2013). 2 On en trouvera les références dans la bibliographie de : Houdart-Mérot V. & Mongenot C. (dir.), Pratiques d’écriture littéraire à l’université, Honoré Champion, 2013, p. 402 à 413 ; et des analyses dans les articles suivants : Petitjean AM., « Les ateliers d’écriture créative à l’université », in Ressources de la créativité, Dallet S., Laouani F., Bendana K. (dir.), Institut Charles Cros, L’Harmattan, 2015, p. 67-77 ; Petitjean AM., « Les écritures créatives sont-elles des écritures de la réception ? », in Les formes plurielles des écritures de la réception, vol. 1 : Genres, espaces et formes, Le Goff F. & Fourtanier M.-J. (dir.), coll. Diptyque, CEDOCEF, Presses Universitaires de Namur, 2017, p. 201-219. 3 Cf. par exemple : « Une année d’ateliers d’écriture en Microlycée », Lecture jeune n°159, 2016, p. 29-31 [http://www.lecturejeunesse.org/] ; « Les littéraires : plus créatifs que les autres ? Bilan d’une expérience d’atelier créatif en partenariat d’entreprise », L’École des lettres n°3, 106e année, 2015, p. 69-76. 3 auprès des étudiants de l’université de Rouen et de Cergy-Pontoise où je mène également des modules de formation à l’animation d’ateliers. Les principes d’une formation à la conduite d’ateliers seront envisagés à partir de quelques verbes inducteurs qui peuvent d’ailleurs être pris comme une liste à poursuivre, selon un inducteur habituel aux ateliers d’écriture. Connaître Le constat s’impose : nombre d’animateurs d’ateliers s’aventurent sur un terrain qu’ils connaissent mal, avec une idée imprécise du dispositif et en se fiant à leur seule intuition. Ils élaborent en autodidactes une formule dont ils éprouvent peu à peu la résistance auprès des participants, en retombant sur des écueils que les écrits des autres leur auraient assurément permis d’anticiper. Certes, les réactions des participants, à la suite d’un atelier, sont habituellement laudatifs et au moins encourageants, mais il faut savoir entendre l’expression d’un sentiment d’inabouti, le souhait d’un retour plus précis sur un texte, voire l’aveu d’un sentiment d’humiliation à la suite d’un commentaire et le malaise né d’une concurrence implicite entre les scripteurs. En témoigne par exemple Francine Kurzawski, sous ce titre explicite « Mes errances à travers les ateliers d’écriture » (2003 : 134) : Ils grattent, sans le moindre état d’âme, ils grattent et grattent. J’extrais péniblement un souvenir et j’écris quatre lignes. […] Deuxième round : chacun lit sa production. Et j’entends ronfler un texte après l’autre – car ils ronflent leurs textes – et j’entends du Colette et je vois défiler toutes mes dictées de la troisième République. Je ne peux pas lire mon texte : comment, quand on se sent « rien », pourrait-on lire le texte de « rien » ? D’autres témoignages de cet ordre permettent de saisir, avec plus ou moins de légèreté et d’humour, la difficulté d’écrire et ses causes, ou au contraire les sources d’un enthousiasme et d’une adhésion sans faille au dispositif. Ils légitiment d’autant mieux l’idée d’un pacte initial assurant bienveillance et solidarité du groupe, conditions de circulation de la parole, présentation des phases et de leur durée, en veillant à la clarté des objectifs - préalables souvent exposés, et de manières différentes, dans les ouvrages consacrés aux ateliers d’écriture. Cette acculturation est donc la première mission d’une formation de ce type. Elle 4 invite chacun à enrichir sa bibliothèque intérieure des essais critiques sur les ateliers et à placer chaque référence dans une histoire à arpenter. Ce travail permet de surcroît d’envisager quels peuvent être les critères universitaires qui garantissent la recevabilité de récits d’expérience ou d’essais critiques, et de situer tel texte dans tel cadre épistémique explicite. On trouve ainsi dans l’étude de Frédéric Chateigner, Une société littéraire. Sociologie d’un atelier d’écriture, un portrait saisissant de l’animatrice. Il y revient dans une étude secondaire en 2009 : Michèle, une enseignante de lettres retraitée, ancienne militante d’un mouvement pédagogique. […] Dans son souci de faire respecter un programme chargé, l’animatrice se montre directive, parfois cassante, d’autant plus que son autorité paraît incertaine pour plusieurs participants : elle n’est pas publiée, son capital culturel n’est pas écrasant aux yeux de plusieurs des membres de l’atelier (outre l’enquêteur : une docteure en lettres agrégée, une reporter grande héritière culturelle – le niveau d’étude minimal étant une licence en droit interrompue) et les textes qu’elle écrit elle-même pendant l’atelier ne sont pas plus appréciés que ceux des autres. Tous les participants trouvent donc la discipline de l’atelier directive, voire infantilisante pour des adultes qui, dans leur profession, sont plutôt affranchis de ce type d’autorité. S’y lit finalement la mise à l’épreuve - par « la fameuse « tentation du littéraire » (Penloup, 2000) - de l’écriture du sociologue, cherchant à se démarquer de l’appréciation spontanée des autres participants à l’atelier et trouvant dans un cadre scientifique éprouvé la distance idoine à son objet d’études. Cette vertu inattendue des écritures en tension est particulièrement intéressante à remarquer pour de futurs animateurs d’ateliers et permet de dépasser le premier élan critique envers l’animatrice observée. Les tâtonnements d’une pensée qui cherche ses assises dans des procédés satiriques ou des postures empruntées se désignent à travers les états successifs du texte rapportés en 2009. L’écriture en miroir y est l’occasion de considérations sur les choix rédactionnels qui intéressent le lecteur-animateur d’atelier bien au delà de la simple évocation des travers d’un « atelier de loisir ». L’enjeu consiste donc bien à ne pas se contenter de motiver une connaissance de surface, mais à générer une appétence qui pourrait se rapporter à celle d’un lettré des ateliers d’écriture. Un animateur qui se lance dans l’application ou l’invention ad hoc de uploads/s3/ la-formation-a-la-conduite-d-x27-ateliers-d-x27-ecriture-cahiers-d-x27-agora-am-petitjean.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2021
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