Maria Giulia Dondero FNRS/Université de Liège La sémiotique visuelle entre prin
Maria Giulia Dondero FNRS/Université de Liège La sémiotique visuelle entre principes généraux et spécificités. A partir du Groupe µ1 Sommaire : 0. Introduction 1. Tension entre général et spécifique 1.1 Substance de l’expression et statuts des textes 2. Autographie et allographie : le rôle du support 3. La sémiotique greimassienne face à la photo et à la peinture 4. De la texture Pour conclure 0. Introduction Ce travail porte l’attention sur certaines questions problématiques, que seule, à mon avis, la sémiotique visuelle a fait émerger de manière prépondérante dans les études des sciences du langage. A cet égard, j’essaierai plus particulièrement de pointer du doigt les avancées majeures de la sémiotique visuelle du Groupe Mu, avancées que je considère comme des préconisations d’une recherche qui occupe aujourd’hui un certain nombre de sémioticiens : il s’agit, pour le dire d’une manière très générale, de la relation entre image et perception, ou mieux entre image et corporalité. La prise en compte de la corporalité voulant dire que l’on ne peut se passer de l’analyse du plan de l’expression des textes visuels. Pour arriver à esquisser cette question je devrai re-parcourir certains nœuds théoriques débattus et controversés en sémiotique, tels que la tension entre généralité et transférabilité des concepts d’un langage à l’autre, d’une part, et la prise en compte des spécificités de chaque langage, de l’autre. Avant de rentrer dans le vif de ce travail, je précise que pour moi comme pour toute une tradition sémiotique européenne, les images sont elles aussi des textes, délimitées, attestées, informées par la discursivité2. L’image, comme tout énoncé, est un tissu, un tout de signification, qui institue des corrélations particulières entre plan de l’expression et plan du contenu via l’instance médiatrice de l’énonciation. Cela nous permet d’affirmer que l’image, comme le texte verbal, n’est pas une pure somme de signes et qu’elle possède une syntaxe signifiante qui fait partie de son organisation discursive propre. De plus, je pense que l’image doit être analysée à partir d’une sémiotique qui considère l’énonciation corporelle3 à la base de la médiation sémiotique elle-même. L’image revendique le fait que son énonciation, afférente à un langage visuel, est intimement ancrée dans une énonciation corporelle en tant qu’elle doit être perçue comme objet matériel doué d’un support d’inscription. Voilà pour ce qui concerne les précisions terminologiques. Dans les pages qui suivent je propose de prendre en considération comment la sémiotique du Groupe µ a abordé certaines questions très délicates qui sont déterminées par la tension entre la nécessité de Pagina 1 di 14 La sémiotique visuelle entre principes généraux et spécificités. A partir du Groupe µ 1 27/06/2010 http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=3286&format=print construire des théories et des méthodologies capables de rendre compte de tous les discours, d’une part, et la nécessité de caractériser tout type de textualités, précisément à partir de la spécificité du plan de l’expression des textes, de l’autre. Et cela a été fait par le Groupe µ en dépassant certaines positions formalistes de la sémiotique de Greimas des années 1980. A cet égard, je reconstruirai brièvement le positionnement théorique de la sémiotique de tradition greimassienne, et notamment certaines études de Jean-Marie Floch, concernant la tension entre transversalité du sens — qui débouche sur une typologie générale des discours —, et spécificité des textes visuels (peinture, photo, etc.). Cette reconstruction nous permettra de montrer comment la sémiotique du Groupe µ avait déjà jeté en 1992 un pont pour résoudre un certain nombre de problématiques à ce sujet — même s’il faut préciser que pour la sémiotique du Groupe µ il s’agissait d’une tension entre une grammaire rhétorique générale, à savoir entre un système des concepts transférables d’un langage à l’autre et la construction de modèles théoriques censés avoir une efficacité interprétative en face d’une classe d’exemples d’énoncés visuels de nature diversifiée. 1. Tension entre général et spécifique Pour le Groupe µ le projet d’une sémiotique visuelle s’est toujours inscrit dans un projet plus vaste, celui d’une rhétorique générale, translinguistique. Cette rhétorique générale a toujours eu comme visée principale de fabriquer des concepts analytiques utilisables pour toutes matières d’expressions et, justement, transférables d’un langage à l’autre : le projet était de mettre en lumière des mécanismes généraux et « indépendants du domaine particulier où ils se manifestent » (Groupe Mu 1992, p. 9)4. A partir de cette déclaration qui ouvre le Traité du signe visuel on pourrait avoir l’impression qu’il s’agisse d’une sémiotique qui ne porte pas d’attention spécifique ni aux plans de l’expression des différents discours (peinture, photographie, écriture manuelle, dessin, etc.) ni, par conséquent, à la spécificité des supports5 des images et des techniques des apports puisque la « matière » commune envisagée ne l’est qu’au niveau des mécanismes généraux d’agencements des unités identifiées dans chaque système langagier6. Toutefois, on peut affirmer que la rhétorique visuelle du Groupe µ a non seulement reconnu une autonomie langagière à l’image — par autonomie de l’image j’entends que l’image n’a pas besoin du langage verbal comme traducteur, étant donné qu’elle possède son propre métalangage7 qui lui permet de se rendre analysable avec ses propres moyens iconiques et plastiques —, mais a également offert des instruments pour analyser de manière diversifiée les différents types d’image (photo, peinture, dessin) et les différentes microtechniques utilisées à l’intérieur d’un même dispositif médiatique. Même si certaines déclarations du Groupe µ à l’encontre des théories sémiotiques qui n’envisagent que des analyses d’énoncés particuliers et des modèles analytiques ad hoc pouvaient ainsi faire penser que leur sémiotique ne pouvait prendre en considération que des images possibles, voire des images prévues par une typologie― mais non des images attestées ―, leurs travaux sont, bien au contraire, parvenus à faire avancer la réflexion sur les spécificités visuelles. C’est dire que le Groupe a montré qu’un des majeurs défis de la sémiotique est de rendre compte du fait que dans le cas de la photo, de la peinture, du dessin, il s’agit à chaque fois d’effets de sens dépendant de différentes substances de l’expression et de différentes manières de mettre en relation des qualités du support avec des gestualités de l’apport8. C’est pour cette raison que les membres du Groupe µ ont pu travailler de manière exemplaire notamment sur les signifiés de la texture, notion qui n’avait jamais eu un rôle centrale à l’intérieur des autres sémiotiques. 1.1 Substance de l’expression et statuts des textes La tension entre principes théoriques concernant les mécanismes généraux de la signification et la méthodologie analytique des spécificités des discours a traversé toute la tradition sémiotique, y compris la sémiotique d’Umberto Eco, avec sa malheureuse distinction entre sémiotique générale et sémiotiques appliquées9. Distinction malheureuse parce qu’elle sous-entend que les sémiotiques appliquées ne peuvent rien apporter à la sémiotique soi-disant « générale » et que cette dernière, en tant que philosophie du langage, serait capable d’expliquer tous les textes10, une pensée évidemment fausse — et qui l’est d’autant plus si nous pensons à l’importance que Umberto Eco a toujours donné à la déclination historique de l’encyclopédie et aux modes de production des signes11. C’est justement la question de l’encyclopédie Pagina 2 di 14 La sémiotique visuelle entre principes généraux et spécificités. A partir du Groupe µ 1 27/06/2010 http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=3286&format=print défendue par Eco qui me permet de préciser que la tension entre principes sémiotiques généraux et spécificités des énoncés ne concerne pas seulement la question du plan de l’expression des textes et de la prise en compte, dans l’analyse, des différentes substances mais aussi, à un niveau plus global de pertinence sémiotique, la question des statuts sociaux des textes. Si dans le cadre de cette tension entre généralité des principes sémiotiques et analyse des spécificités discursives, j’ai décidé d’aborder en cette occasion, et de manière plus spécifique, la question concernant l’instanciation du plan de l’expression des textes visuels, je crois néanmoins qu’aujourd’hui il est urgent de traiter cette autre problématique des statuts sociaux des textes qui est d’ailleurs fortement liée à cette tension. Une autre question majeure se présente alors : est-ce que la sémiotique pourrait-elle, sans perdre sa puissance de généralisation, rendre compte d’une historicité des textes, et d’une tradition culturelle dans laquelle se fonde leurs sens ? Il s’agit ici d’une perspective diachronique qui engloberait finalement les phénomènes d’intertextualité. Sur ces problématiques des statuts sociaux des textes et de la charge historique de leur signification, les différentes sémiotiques n’ont pas toujours donné des réponses définitives, en excluant évidemment la sémiotique-herméneutique matérielle12 de Rastier qui a fait des statuts textuels et de l’ancrage historique des textes des points de force pour la relance d’une étude sémiotique des pratiques sociales et de la tradition, mais qui a choisi de ne pas se plonger dans le langage visuel. La sémiotique greimassienne p. e. a choisi d’étudier les images en dépassant la théorisation de leurs statuts et en décidant que l’analyse possible se réduisait à un seul niveau de pertinence, celui du texte13. Aujourd’hui la sémiotique post-greimassienne a commencé à prendre en considération la possibilité de stratifier, emboîter, hiérarchiser les niveaux de pertinence du plus global au plus local (à savoir en partant des formes uploads/s3/ la-semiotique-visuelle-entre-nas.pdf
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- Publié le Fev 05, 2021
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