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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/327830942 Tout ce que nous voulions savoir sur les Phrasèmes, Mais Article · January 2013 DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-1259-2.p.0129 CITATIONS 60 READS 2,158 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Binary Conjunctions in Russian and English View project Emotion Names View project Igor Mel'cuk Université de Montréal 129 PUBLICATIONS 2,053 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Igor Mel'cuk on 16 December 2018. The user has requested enhancement of the downloaded file. Cahiers de lexicologie, 2013, nº1 (= nº 102), 129-149. Tout ce que nous voulions savoir sur les phrasèmes, mais …1 I. Mel’čuk Observatoire de linguistique Sens-Texte, Université de Montréal Ab ovo lit. ‘à.partir.de l’œuf’ : ‘dès tout le début’ Phrasème latin (une locution). 1 Remarques d’introduction Le sujet de phrasèmes – « expressions toutes faites », « expressions fixes, figées ou con- traintes », « expressions idiomatiques », « formules de parole », « unités multilexémiques », etc. – est devenu, depuis une vingtaine d’années, un des plus populaires en linguistique. Cela se com- prend : les phrasèmes abondent dans la langue ; les textes de tous les genres en regorgent. C’est donc une cible très visible et sans aucun doute importante. En même temps, les phrasèmes repré- sentent un défi incontournable pour toutes les théories « purement » formalistes : syntaxiquement réguliers, ils ne peuvent pourtant pas être « générés »2 ; par conséquent, on doit chercher une bonne façon de les décrire. Cependant, malgré cet intérêt vif et légitime, la linguistique n’a pas encore adopté une théorie opératoire de phraséologie ; aucune définition rigoureuse de ce qu’est un phrasème n’est univer- sellement acceptée par notre communauté. Dans cet article, je vais proposer une définition de la notion de phrasème et une typologie des phrasèmes, en me basant sur un raisonnement déductif, de sorte que chaque pas logique que je fais peut être vérifié indépendamment. La littérature sur la phraséologie est énorme, ce qui exclut toute tentative d’en rendre compte ici même de façon superficielle ; je me limiterai aux références les plus nécessaires, avant tout – aux travaux effectués dans le cadre de l’approche Sens-Texte, qui constitue mon fondement théo- rique (Mel’čuk 1973, 1974, 1988a: 43–101, 1997, Kahane 2003a). Pour suivre ma présentation, le lecteur devra accepter le postulat central de l’approche Sens-Texte : On décrit le fonctionnement de la langue par un model fonctionnel (= système de règles) qui commence son travail en construisant le sens linguistique à exprimer, duquel il passe aux textes correspondants. Quelques concepts généraux de cette approche seront utilisés sans explication, entre autres : • représentation conceptuelle, qui est une description symbolique d’un état des choses dans le monde dont le Locuteur veut parler [= RConcept] ; • représentation sémantique, spécifiant le sens commun (= l’invariant sémantique) d’un en- semble d’énoncés synonymes [= RSém] ; • représentation syntaxique profonde et de surface d’un énoncé (= d’une proposition ou d’un syntagme) [= RSyntP et RSyntS], grosso modo – les structures syntaxiques correspondantes, avec les indications communicatives et prosodiques. Pour une une théorie de la phraséologie dans le cadre Sens-Texte, voir Mel’čuk 1995. 2 Phrasèmes = énoncé multilexémique non libre La façon la plus générale de caractériser la notion de phrasème est de dire qu’un phrasème est un énoncé multilexémique non libre. Acceptant cette affirmation comme postulat, précisons les termes impliqués. 2 DÉFINITION 1 : ÉNONCÉ MULTILEXÉMIQUE Un énoncé multilexémique est une configuration de deux ou plus lexèmes syntaxique- ment liés. Dans la première phrase de cette section, on trouve plusieurs énoncés multilexémiques : la fa- çon, la plus générale, la façon la plus générale, la façon de caractériser la notion de phrasème, etc., ainsi que la phrase entière. Je ne traiterai dans cet article que des phrasèmes syntagmatiques, ou lexicaux. Les phrasèmes morpholo- giques – les mots-formes (de type épaul+ette ou lance-flammes) et les complexes d’affixes phraséologisés (de type -r+ai-, comme dans parle-r+ai-s) – seront laissés de côté (sur les morphophrasèmes, voir, par exemple, Beck & Mel’čuk 2011). DÉFINITION 2 : ÉNONCÉ MULTILEXÉMIQUE LIBRE Un énoncé multilexémique est libre si et seulement si [= ssi] il n’est pas contraint sur l’axe paradigmatique, c’est-à-dire si son sens et chacune de ses composantes lexicales sont sélec- tionnés par le Locuteur strictement pour ses propriétés linguistiques, c’est-à-dire indépen- damment des autres composantes. Chaque composante d’un énoncé libre (sauf, bien entendu, les éléments grammaticaux et les lexèmes de sens « technique », tels que les noms d’espèces ou d’artefacts et de substances spéci- fiques : TIGRE, VIOLON, CAMEMBERT...) peut être remplacée par n’importe quelle expression as- sez synonyme, en préservant la correction linguistique et le sens de cet énoncé. Tous les énoncés multilexémiques cités ci-dessus sont libres : on pourrait bien écrire La manière la plus englo- bante de spécifier le concept de phrasème…, etc. En fait, le nombre d’énoncés multilexémiques libres dans une langue est infini ; pour que la communication langagière soit possible, il faut que l’ensemble infini des énoncés puisse être produit par le locuteur à partir d’un stock fini de lexèmes en se servant d’un nombre fini de règles effectuant leur combinaison. Cependant, on connaît de très nombreux énoncés qui ne sont pas libres – par exemple, le syn- tagme prendre une décision (Jean a pris une décision) : si le lexème DÉCISION est sélectionné librement, puisque le Locuteur veut parler exactement de ‘décision’, le lexème PRENDRE ne l’est pas. Dans cette expression, prendre ne peut pas être remplacé par accepter, ramasser, saisir, tou- cher, etc. sans affecter la correction de l’expression. Notez qu’en anglais, on dirait make [= ‘faire’] a decision, en allemand, eine Entscheidung treffen/fällen [= ‘rencontrer/abattre’], en russe, prinjat´ [= ‘accepter’] rešenie, et en turc, karar vermek [= ‘donner’]. Tout cela indique clairement que PRENDRE est sélectionné en fonction de DÉCISION. Si au lieu de DÉCISION le Lo- cuteur avait utilisé CHOIX (Jean a pris la décision de rester ≅ Jean a … le choix de rester), il au- rait dû dire FAIRE plutôt que PRENDRE : Jean a fait 〈*pris〉 le choix de rester. Un autre cas : un panneau accroché à un objet qui vient d’être peint dit en français Peinture fraîche, alors qu’en anglais, c’est Wet paint lit. ‘Peinture humide’, en allemand Frisch gestrichen lit. ‘Fraîchement peint’, et en russe, Sveževykrašeno lit. ‘Fraîchement.peint’ [adjectif composé]. On peut bien dire en français fraîchement peint, mais sur un panneau visant à prévenir le public qu’il ne faut pas toucher l’objet en question, cette expression serait inappropriée. Par contre, on ne dit pas (dans le même sens) *peinture humide. Donc, Peinture fraîche est bel et bien un phrasème : premièrement, une de ses composante, fraîche, est sélectionnée en fonction de l’autre ; deuxième- ment, dans la situation en question (sur un panneau), c’est exactement l’expression Peinture fraîche qui est utilisée, plutôt qu’une expression parfaitement synonyme. L’énoncé Peinture fraîche est donc doublement contraint. Maintenant la définition de phrasème est facile à formuler : DÉFINITION 3 : PHRASÈME Un phrasème est un énoncé multilexémique non libre. 3 Insistons sur le point suivant: cette définition couvre tous les types de phrasèmes et rien que des phrasèmes. (Pour la réfuter, il faut présenter soit une expression française qui n’est pas cou- verte, mais qui est intuitivement un phrasème, soit une expression qui n’est pas un phrasème, mais est quand même couverte par cette définition.) Avec la notion proposée, le nombre de phrasèmes dans une langue donnée s’avère très élevé : il s’agit de millions ou même de dizaines de millions d’expressions, qui, n’étant pas libres, doi- vent être consignées dans le dictionnaire de la langue. En effet, un phrasème ne peut pas être li- brement construit par le Locuteur ; il doit donc être stocké dans sa mémoire. Pour assurer le trai- tement systématique et cohérent des phrasèmes, nous avons besoin d’une typologie rigoureuse. 3 Typologie des phrasèmes La caractérisation et la classification des phrasèmes se fait selon l’axe paradigmatique – les contraintes de SÉLECTION de leurs composantes (3.1), et selon l’axe syntagmatique – les con- traintes de COMBINAISON de leurs composantes, ou leur compositionnalité (3.2). 3.1 Phrasèmes lexicaux et sémantico-lexicaux Selon la nature des contraintes phraséologiques de sélection, on divise les phrasèmes en phra- sèmes lexicaux et phrasèmes sémantico-lexicaux. • Un phrasème lexical est un phrasème dont le sens ‘σ’ est construit par le Locuteur libre- ment pour n’importe quelle situation désignée, mais le choix des lexèmes pour exprimer ‘σ’ est contraint ; les contraintes phraséologiques opèrent donc entre la RSém et la RSyntP et visent l’expression lexicale de ‘σ’. Porter son attention sur NY est un phrasème lexical ; au bout du rou- leau ‘sans ressources vitales’ en est également un. • Un phrasème sémantico-lexical est un phrasème dont le sens ‘σ’ n’est pas construit par le Locuteur, mais sélectionné comme un tout de façon contrainte – en fonction du contenu concep- tuel à verbaliser, donc en fonction de la situation désignée ; le choix des lexèmes pour exprimer ‘σ’ uploads/s3/ melcuk-2013-phrasemes 1 .pdf

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