Isabelle Dervaux. Historienne d'art contemporain "un artiste mesuré" Oskar Schl

Isabelle Dervaux. Historienne d'art contemporain "un artiste mesuré" Oskar Schlemmer Artiste et professeur, Oskar Schlemmer exerça surtout son activité au Bauhaus où, engagé en 1920 comme «maître des formes » de l'atelier de sculpture, il devint ensuite directeur de l'atelier de théâtre, après le départ de Lothar Shreyer en 1923. A travers les dessins, les peintures, les sculptures, les mises en scène qu'il réa- lisa et les écrits théoriques qu'il a laissés s'affirme le développement d'une pensée originale qui s'efforce toujours de concilier l'introduction de la modernité, et en particulier de la technique, dans des réalisations artis- tiques, et une volonté humaniste de sauvegarder la place centrale de l'homme comme être spirituel au sein de ses œuvres. Ces deux tendances opposaient alors au Bauhaus les expressionnistes aux constructivistes. Refu- sant de prendre parti dans cette querelle, et surtout dans le duel Itten-Gropius, Schlemmer désirait accorder les deux partis: «J'approuve les deux et souhaite néan- moins leur osmose», écrit-il dans une lettre à Otto Meyer, le 7 décembre 1921. Cet effort de conciliation de l'homme et de la technique, destiné à améliorer la vie de l'homme au sein du monde moderne, est l'axe autour duquel s'articulent les activités principales de Schlemmer : la peinture, la sculpture et le théâtre. La première remarque qu'imposent la peinture et la sculpture de Schlemmer tient à leur caractère figuratif : l'homme en est presque l'unique sujet. Cela ne manque pas de surprendre si l'on considère l'ensemble de la production picturale et sculpturale des artistes dits d'avant-garde dans les années 20, et surtout dans le cadre du Bauhaus. S'il réalisa quelques sculptures abstraites, comme Ornemental sculpture en 1919, Schlemmer refusait cependant la forme pure, considéré pour elle-même (cela ne l'empêchera pas d'être jugé par ses détracteurs comme trop «formaliste»). La plupart de ses sculptures tendent à mettre en évidence les carac- téristiques de l'homme en tant qu'être organique, méca- nique et spirituel. Loin de chercher à reproduire un personnage particulier—il ne fait pas de « portraits » — Schlemmer s'efforce de produire des «types», et m ê m e de créer l'homme idéal. Cette attitude n'est pas sans rappeler celle des artistes de la Renaissance comme Léonard de Vinci ou Durer dont les traités d'anatomie ou de proportions montrent une m ê m e quête de Thomme idéal. UHomo d'Oskar Schlemmer peut être mis en parallèle avec Thomme vitruvien i n s a i t dans un cercle, repris par Léonard et symbole de la pensée Renaissance: Thomme est la mesure de toute chose. Schlemmer s'inscrit d'ailleurs lui-même dans cette t r a d i t i o n l o r s q u ' i l é c r i t : « L e s p r o p o r t i o n s d'Albrecht Durer et de Léonard de Vinci aboutirent à des r é s u l t a t s d ' u n e h a r m o n i e m a t h é m a t i q u e surprenante et Ton peut dire à juste titre que le corps humain représente l'image originaire et le modèle de la mécanique organique. Sa structure construite, la complexité mécanique de ses articulations et de ses organes moteurs constituent une merveilleuse œuvre de précision faite de chair et de sang.» Homo de Schlemmer manifeste la place privilégiée qu'il accorde à Thomme. Cette figure dont la tête et les jambes sont de profil, tandis que le corps est de face, évoque les fres- ques égyptiennes et exprime donc la permanence de Thomme comme objet de représentation depuis les plus anciennes civilisations. E n m ê m e temps, la mise en valeur des articulations le présente comme un être mé- canique, comme une machine articulée fonctionnelle, proclamant son affinité avec le monde de la technique. Homo apparaît donc bien comme une sorte de mani- feste de Thomme moderne. Il fut d'ailleurs souvent repris par Oskar Schlemmer sous la forme de dessins ou de reliefs métalliques. U n e version en renforce même l'aspect symbolique : sur le bras gauche de Thomme se dresse une figure féminine debout, de dos, et d'échelle plus petite. Cet ensemble évoque les représentations de la création de Thomme et de la femme. U n autre aspect rattache Schlemmer aux artistes de la Renaissance : son souci, en peinture, de l'organisa- tion spatiale de la toile. La forme humaine joue là aussi un rôle primordial. Par son échelle, elle détermine dif- férents niveaux de profondeur. Ces effets de perspective sont particulièrement sensibles dans les peintures murales de Schlemmer comme celles qu'il réalisa en 1923 pour la décoration du Bauhaus Workshop Buil- ding à Weimar. Par ses gestes la figure humaine engendre des systèmes de coordonnées à l'intérieur desquels se rangent les autres éléments du tableau. Cette organisation spatiale rigoureuse caractérisait l'œuvre de nombreux peintres de la Renaissance comme Piero délia Francesca, par exemple. Pour créer des types, et non des portraits, Oskar Schlemmer a recours à une sorte de stylisation : ses personnages sont le plus souvent de profil et le répertoire de formes est limité aux formes géométriques simples. Dans une page de son journal d'octobre 1915, S c h l e m m e r é n u m è r e les f o r m e s a u x q u e l l e s correspondent les différentes parties du corps : le carré de la cage thoracique, le cercle du ventre, le cylindre du cou, le cylindre des bras et des cuisses, la sphère de l'articulation du coude, du genou, de l'épaule, de la cheville, la sphère de la tête, des yeux, le triangle du nez, la ligne qui relie le cœur au cerveau, la ligne qui relie le visage à ce qu'il voit, l'ornement qui se forme entre le corps et le monde extérieur, leur rapport symbolisé. La dernière phrase, plus énigmatique, correspond à cette part d'irrationnel que présentent certaines sculp- tures ou certains projets de sculptures comme cette figure agenouillée appelée Ivo qui devait être envelop- pée de fils verticaux parallèles, légèrement espacés, sorte de voile symbolisant le rapport entre le corps et le monde extérieur. Les matériaux employés par Schlemmer pour ses sculptures tendent à renforcer leur apparence de robots ou de poupées articulées. Il distingue, en effet, les dif- férentes parties du corps par des matériaux différents qui produisent des contrastes, à la fois de matières et de couleurs : bois, plâtre, laiton, métal, verre, fil de fer. Mais surtout, le «matériau» avec lequel Schlemmer joue le plus est la lumière, que ce soit dans ses sculptures en ronde bosse comme Abstract figure dans laquelle les surfaces concaves, convexes ou plates réfléchissent de façon très complexe la lumière, ou dans ses reliefs, com- m e celui qu'il réalisa dans la maison du D r R a b e à Zwenkau. Schlemmer explique, dans une lettre où il décrit cette œuvre, que «les figures sont détachées du mur d'environ huit centimètres afin que la lumière changeante forme une série d'ombres variées intéres- santes (à la manière d'un cadran solaire) ». Les varia- tions que Schlemmer essaie de produire à l'aide de la lu- mière, les recommandations qu'il fait, dans le cas des sculptures en ronde-bosse pour que.le spectateur ap- préhende l'œuvre par ses différents côtés — «une sculp- ture est tridimensionnelle. Elle ne peut pas être perçue immédiatement mais plutôt à travers une succession de points de vue et d'angles variés », écrit-il en 1924 — mettent en évidence le lien qui s'établit dans son œuvre entre la sculpture et la danse : ses personnages de ballets sont des sculptures vivantes, ce n'est plus le spectateur ou la lumière qui se déplacent, mais la sculpture qui s'anime. Schlemmer s'intéresse à la danse et au théâtre depuis le début de sa carrière. Souvent dans sa cor- respondance ou dans son journal on le voit partagé entre la peinture et la sculpture d'une part, le théâtre d'autre part. E n 1924, par exemple, il doit choisir entre un contrat offert par le théâtre de la Volksbûhne à Berlin et le poste d'enseignant que lui propose l'Académie des Beaux-Arts de Stuttgart. C'est finalement le théâtre qui l'emporte, non pas à Berlin mais à Dessau où vient d'être transféré le Bauhaus et où Gropius invite Schlemmer à monter un théâtre expérimental. Il est vrai qu'à la Volksbûhne domine la personnalité de Piscator qui ne prend guère au sérieux les recherches théâtrales de Schlemmer, comme nous le verrons plus loin. Les préoccupations de Schlemmer dans son travail théâtral rejoignent beaucoup celles du peintre et du sculpteur. Il faut lever le malentendu qui pèse parfois sur lui : Schlemmer ne veut pas réaliser un théâtre entière- ment mécanique duquel l'homme serait éliminé au profit de la machine. Son souci majeur est d'intégrer à la pratique théâtrale les éléments qui caractérisent le monde moderne, c'est-à-dire, selon lui: l'abstraction, synonyme de simplification et n'impliquant nullement le rejet de la figure uploads/s3/ oskar-slemer.pdf

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