LE TEMPS PRÉSENT DE LA RECHERCHE EN ART Bernhard Rüdiger CNRS Éditions | « Herm
LE TEMPS PRÉSENT DE LA RECHERCHE EN ART Bernhard Rüdiger CNRS Éditions | « Hermès, La Revue » 2015/2 n° 72 | pages 53 à 61 ISSN 0767-9513 ISBN 9782271088130 DOI 10.3917/herm.072.0053 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-2-page-53.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions. © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Depuis le xvie siècle, le travail créatif individuel a été accompagné d’une activité de recherche analytique sur l’art et à partir de l’art. Cette activité s’adresse à une com- munauté d’artistes et de chercheurs qui n’ont pas toujours été appelés à travailler dans le domaine académique. Elle a produit une variété importante de formes à travers les- quelles des travaux de recherche ont été diffusés. Du traité aux manifestes des Futuristes ou de Lucio Fontana, de l’interview aux textes critiques de Barnett Newman et de Jeff Wall, du livre d’art à l’édition des valises de Duchamp, de la revue d’artiste 391 de Francis Picabia à la forme Atlas de Gerhard Richter, les artistes ont depuis toujours produit des formes de recherche singulières. Le cadre actuel de la recherche académique s’ouvre à ces champs qui ont toujours été marginaux et radica- lement indépendants. La notion de recherche de création a fait son apparition et semble convenir à la recherche artistique. Ce mouvement est fortement soutenu par les écoles d’art françaises qui sont en contact direct avec le milieu professionnel. Si beaucoup s’accordent à dire que la recherche de création se fonde sur la discussion, l’ana- lyse et la contextualisation de ce qui est essentiel dans une œuvre contemporaine, sa production, cette spécificité reste en grande partie à définir. Au premier abord, le mélange entre une pensée ana- lytique et l’engagement créatif du chercheur artiste semble s’opposer à une tradition académique moderne qui fait du rôle neutre du chercheur un critère essentiel de l’évaluation de sa démarche. Si cela est vrai dans de nombreuses dis- ciplines, l’art n’est certainement pas la seule à avoir gardé, voire développé la place de la subjectivité issue de l’héri- tage humaniste. Reste que la distinction entre l’exercice de la recherche et la praxis de la production artistique soulève plusieurs questions complexes, non seulement sur la place du chercheur ou la validité de l’objet étudié, mais aussi sur le temps de la recherche et ce qu’on peut appeler un « résultat » en ce domaine. Résultat qui entretient toujours une relation complexe avec cet autre domaine important pour l’artiste chercheur qui est la production et la récep- tion de son œuvre. Même dans les cas où la séparation © CNRS Éditions | Téléchargé le 17/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 191.221.250.228) © CNRS Éditions | Téléchargé le 17/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 191.221.250.228) Bernhard Rüdiger 54 HERMÈS 72, 2015 de ces deux champs est la plus évidente – dans la relation entre la production écrite et théorique de Barnett Newman et son œuvre peinte par exemple –, la contamination de l’un par l’autre, loin d’être vue comme un enrichissement de la recherche, est souvent lue comme une limite au déve- loppement d’une recherche à proprement parler. L’artiste est plongé dans un milieu culturel qui est l’élément essen- tiel de sa démarche créative. Pour comprendre ce qu’est la recherche en art, il s’agit avant tout de comprendre quelle est cette richesse complexe, comment l’artiste se définit par rapport à ce bouillon de culture et comment cela se tisse avec le travail du chercheur. La perception La qualité sensible occupe une place fondamentale chez tout artiste, et l’enseignement en art se fonde sur le développement de cette individualité. Pendant sa for- mation artistique, l’étudiant apprend à connaître cette sensibilité et à la transformer en outil de travail. C’est le processus d’objectivation de sa sensibilité singulière que visent les études supérieures en art, et c’est ce passage qui permet à l’étudiant de s’affirmer à la sortie de l’école comme auteur. L’autorité de l’artiste se bâtit sur la transfor- mation de l’apparat perceptif de l’individu en un ensemble de vecteurs qui participent à l’élaboration d’un langage nouveau. Ce n’est qu’à partir de là qu’on peut parler d’une œuvre, c’est- à- dire d’une sensibilité particulière en acte, capable de transformer le ressenti en une forme de dia- logue avec le monde, en une approche esthétique. Comme l’illustre le dessin de 1928 qu’Oskar Schlemmer utilisait pour ses cours au Bauhaus, l’homme qui perçoit est comme baigné dans un espace, il en est litté- ralement transpercé. Les organes du corps et ses fonctions font intégralement partie de ce même espace. La sépara- tion entre le sujet et le monde qui l’entoure ne va pas de soi. Il s’agit d’un travail de compréhension : incorporer l’espace et pour ainsi dire « excorporer » ses organes. Les études en école d’art visent le développement d’une approche critique capable non seulement de remettre en question l’histoire et les productions d’autres auteurs, mais avant tout les outils sensibles et subjectifs des élèves mêmes. L’approche esthétique est le résultat de cette complexe opération d’objectivation de ce qui est perçu par le corps, corps qui en même temps observe et analyse le processus de sa propre mise à distance1. Contrairement à une tradition largement integrée à l’enseignement supérieur, les études en art ne sont pas structurées à partir d’un savoir disciplinaire. La formation du jeune créateur ne s’organise pas selon une hiérarchie © CNRS Éditions | Téléchargé le 17/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 191.221.250.228) © CNRS Éditions | Téléchargé le 17/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 191.221.250.228) Le temps présent de la recherche en art 55 HERMÈS 72, 2015 des savoirs qui détermine la discipline à laquelle il se des- tine. Le jeune créateur apprend à partir de son propre appareil perceptif et se confronte donc au savoir non pas par la compréhension de l’accumulation des connais- sances, mais à partir du questionnement contemporain de ce savoir. L’importance qu’occupe en art la pratique de la per- ception peut être pensée à partir de la notion de temps présent. La mise en œuvre du regard développe, simulta- nément à l’acte de percevoir, une mise à distance, qu’on appelait jadis l’intuition et qu’on peut appeler aujourd’hui l’élaboration d’un langage singulier. Les études en école d’art apprennent au jeune créateur que le regard est déjà une forme, un schéma qui structure ce qu’il perçoit. Comme le dit Walter Benjamin (1993) : « Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou que le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. » L’image est ici cette opération de mise à distance de la perception, une constellation qui se forme dans un éclair, le temps présent de l’expérience esthétique. Pour mieux éclairer la notion benjaminienne d’image, je propose ici un autre schéma qu’Oskar Schlemmer utili- sait dans ses cours au Bauhaus à la fin des années 1920. Le jeune créateur se trouve devant le monde comme devant une nature universelle, selon Schlemmer, un ensemble sans profondeur historique, un présent de la perception et de la compréhension. Le travail de distanciation se fait par le travail de l’image, le cadre transparent que Schlemmer place entre le créateur et la nature universelle. L’artiste est placé ici comme devant une machine à dessiner la perspec- tive de la Renaissance mais, contrairement aux outils du xve siècle, celui- ci ne reproduit pas seulement une image du monde. En effet, le réel du monde ne se trouve pas sim- plement d’un côté de la plaque et le sujet de l’autre. Pour Schlemmer, la surface transparente se fait partiellement opaque et retient un ensemble d’objets et de vecteurs que l’artiste a identifiés dans cet espace indistinct de la nature universelle et qu’il met à l’œuvre. Elle est aussi la surface de médiation qui rend visible la manière dont la perception subjective de l’auteur s’active. uploads/s3/ herm-072-0053.pdf
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- Publié le Mar 30, 2022
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