De l’Ut pictura poesis ` a la fusion romantique des arts Anne Larue To cite thi

De l’Ut pictura poesis ` a la fusion romantique des arts Anne Larue To cite this version: Anne Larue. De l’Ut pictura poesis ` a la fusion romantique des arts. Jo¨ elle Caullier. La Synth` ese des arts, Lille, Presses du Septentrion, Chapitre 3, 1998. <hal-00560739> HAL Id: hal-00560739 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00560739 Submitted on 20 Feb 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. Référence : Anne Larue, “De l’Ut pictura poesis à la fusion romantique des arts”, La Synthèse des arts, dir. Joëlle Caullier, Lille, Presses du Septentrion, 1998. La peinture est comme la poésie : c‟est au prix d‟une inversion de la formule bien connue d‟Horace (ut pictura poesis, la poésie est comme la peinture1) que s‟élabore le socle conceptuel de la “poétique”, système des arts dont le règne dura du XVIe au XVIIIe siècle. Comme ce nom ne l‟indique pas, la poétique concerne au premier chef la peinture. C‟est de ce règne dont je vais traiter ici, règne méprisé mais qui dura tout de même trois siècles, et non des moindres. Un mot de Mario Praz qui figure dans Mnémosyne, Parallèle entre littérature et arts plastiques permet d‟ouvrir le feu : L’idée d’une fraternité des arts est si enracinée dans la pensée humaine depuis la plus haute antiquité qu’il doit bien y avoir là plus une réalité profonde qu’une spéculation oiseuse – une réalité fascinante qui, comme tout problème touchant aux origines, ne peut être écartée à la légère2. La poétique tombe morte sous la poussée des théoriciens allemands au milieu du XVIIIe siècle. Alexander Baumgarten formule en 1850 le terme auparavant inédit d‟esthétique3 ; à peine plus tard le Laokoon de Lessing4 prétend en finir avec l‟ancienne poétique. Je vais tenter de monter que cet efficace nettoyage par le vide, loin de ruiner définitivement l‟esprit de la poétique, lui fournit de nouvelles bases beaucoup plus claires et saines ; que la poétique renaît de ses cendres sous une autre forme à l‟époque romantique ; qu‟on assiste à la montée en puissance d‟un élément nouveau, la musique, qui n‟existait avant que sur le mode mineur. La nouvelle correspondance des arts est désormais enfantée par l‟esprit de la musique. Une alchimique fusion des arts fait du romantisme un idéalisme dont le principe ne sera pas renié par Kandinsky. L’Ut pictura poesis, une grêle doctrine Elle parle comme elle danse et elle chante comme elle parle. Pierre Louÿs, La femme et le pantin. L‟Ut pictura poesis est un système peu fondé philosophiquement, et peu mis en pratique véritablement. La doctrine qui fonde la poétique est peu consistante ; quelles que soient les protestations d‟amitié des arts entre eux, chaque artiste travaille dans sa spécialité ; les arts eux-mêmes sont étanches et distincts. Et pourtant, l‟Ut pictura poesis a connu un succès durable. Poétique est un terme vieilli pour désigner, de la Renaissance à la fin des Temps modernes, 1 Horace, De Arte poetica (Art poétique), v. 361. 2 Mario Praz, Mnémosyne, Parallèle entre littérature et arts plastiques (1970), Paris, Gérard-Julien Salvy éd., trad. fr. de l‟anglais par C. Maupas, 1986, p. 10. 3 Alexander Baumgarten, Aesthetica, 2 vol. 1750-1758. Voir des extraits dans Aufklärung. Les Lumières allemandes, Paris, Garnier-Flammarion, textes et commentaires de Gérard Raulet, 1995, p. 415 et suivantes : “Baumgarten : la naissance de l‟esthétique philosophique”. 4 Gotthold Ephraim Lessing, Laokoon (1766), Paris, Hermann, trad. fr. de l‟allemand par Courtin (1866), 1990. la théorie des arts (tant plastiques que littéraires). La poétique est, à ce sens du mot, une création de la Renaissance : elle n‟existe pas dans l‟Antiquité. Dans sa Poétique, Aristote traite de prosodie, de stylistique, d‟écriture et de genres littéraires. Ce n‟est qu‟à titre de comparaison qu‟il a recours à la peinture. Il n‟inclut pas les arts plastiques dans sa démarche. On peut en dire autant de l‟Art poétique d‟Horace, dont l‟objet est l‟art d‟écrire, et point celui de peindre ou de sculpter. Cependant, à partir de la Renaissance, l‟ut pictura poesis fonde la poétique, entendue au sens de la comparaison entre les arts plastiques et littéraires. Les sources antiques sont revisitées et réinventées par la Renaissance. On note le succès de la formule attribuée à Simonide par Plutarque, suivant laquelle la peinture est une poésie muette, et la poésie une peinture parlante. Quant à Horace, il est la source la plus vive de cette esthétique, puisqu‟il lui fournit son motto : ut pictura poesis. Que la pensée d‟Horace soit détournée par le renversement de la comparaison originelle – le comparant prend la place du comparé, et inversement – n‟est pas le seul abus commis contre le texte : la mise en exergue d‟un fragment de vers, haussé à un rang emblématique, produit tout autant un effet de carte forcée. Mais que la Renaissance ait négligé le contexte original de la formule horacienne n‟a somme toute aucune importance : certains contresens historiques ont, rappelons-le, exactement la même efficience que la vérité elle-même. Moyennant ces réajustements, l‟Ut pictura poesis est une création de la Renaissance, quand bien même ses sources seraient antiques : une création bien légère, philosophiquement parlant. La désinvolture théorique de l‟Ut pictura poesis n‟a d‟égal que le néant de sa pratique, puisque chaque artiste travaille alors strictement dans sa discipline, et qu‟il n‟est nullement question d‟art total. L‟Ut pictura poesis semble résulter de la rencontre de non- textes avec une non-pratique artistique. Peu de textes, en effet : un fragment d‟Horace et d‟autres petites formules associées suffiraient-ils à jeter les bases d‟une doctrine ? De fait, les textes antiques de référence sont rares. La critique antique connue sur la peinture brille par son absence, du moins dans la connaissance que peut en prendre la Renaissance. Devant cette carence, on glane quelques formules dans Platon, dans L’orateur de Cicéron, en plus d‟Horace et d‟Aristote. Tous ces textes sont périphériques ou anecdotiques ; très souvent, de simples comparaisons utilisées par les auteurs antiques, qui ont trait à la peinture, sont simplifiées et transformées en principes qui semblent édictés pour la peinture elle-même. Cicéron, qui puise dans la peinture des exemples pour illustrer ce que doit être l‟art de l‟orateur, est souvent détourné ainsi. L‟utilisation de la Poétique d‟Aristote repose sur le même tour de passe-passe. Un exemple, qui figure dans L’idée du peintre (1672) de Bellori suffira à illustrer cette pratique “décomparante”. A propos du devoir d‟imitation idéale (les artistes doivent représenter les hommes tels qu‟ils devraient être), Bellori commente : “ce qui est le seul précepte que donnait Aristote aussi bien aux poètes qu‟aux peintres”5. Mais, dans le chapitre 2 de La Poétique auquel il est fait ici allusion, Aristote donne-t-il des conseils aux peintres ? Du tout : il se contente de constater qu‟il faut, dans l‟art du vers, opérer comme en peinture : Puisque ceux qui représentent représentent des personnages en action, et que nécessairement ces personnages sont nobles ou bas [...], c’est-à-dire soit meilleurs, soit pires que nous, soit semblables – comme le font les peintres : Polygnote peint ses personnages meilleurs, Pauson pires, Dionysios semblables -, il est évident que chacune des représentations dont j’ai parlé comportera aussi ces différences”...6 5 Erwin Panofsky, Idea (1924), Paris, Tel-Gallimard, trad. fr. de l‟allemand par H. Joly, 1989, p. 170. 6 Aristote, La poétique, Paris, Ed. du Seuil, texte, trad. fr. du grec et notes par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, p. 37. Je souligne. On pourrait citer également un exemple tiré de L’orateur de Cicéron. Dans Idea, Erwin Panofsky montre comment l‟idée d‟imitation idéale en peinture prend sa source dans L’orateur, où cette idée n‟est en fait pas formulée à propos de la peinture7. Les hommes de la Renaissance transfèrent des doctrines consacrées aux arts littéraires, qui ne sont pas écrites pour la peinture, créant ainsi un porte-à-faux originel8. Tels sont les non-textes ; on pourrait parler aussi de la non-peinture. Les théoriciens de la Renaissance n‟ont pas d‟œuvres d‟art auxquelles confronter les non-textes relatifs à la peinture antique. La peinture grecque est en effet perdue ; la latine demeure (les peintures pompéiennes, par exemple), mais elle est assez communément méprisée, ou considérée comme peu représentative. En 1719, l‟Abbé du Bos écrit dans ses Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, I, 38 : Je ne sache point qu’il soit venu jusqu’à nous aucun tableau des peintres de l’ancienne Grèce. Ceux qui nous restent des peintres de l’ancienne Rome sont en si petite quantité et ils sont encore d’une espèce telle qu’il est bien difficile de juger. En conséquence, il ne faut pas accorder une valeur absolue aux “sources uploads/s3/ ut-pictura-poiesis.pdf

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