D'Arcy Thompson, la forme et le vivant. Maddalena Mazzocut-Mis Caractériser le
D'Arcy Thompson, la forme et le vivant. Maddalena Mazzocut-Mis Caractériser le concept de forme, c'est en souligner la complexité intrinsèque. D'un côté, la forme est limite, contour, visibilité d'une surface, aspect mouvant et varié ; de l'autre, c'est la manière dont les parties s'harmonisent dans leur ensemble, coexistent et se structurent. La forme peut être considérée dans son aspect sensible ou être conçue comme idée formelle, impliquant un modèle, un dessin, un type. Quand elle individualise un organisme vivant, la forme est conçue comme structure mobile, comme phénomène changeant et complexe. Cependant, la forme peut aussi être interprétée comme le résultat de l'action de lois physico-chimiques conçues mécaniquement et être ramenée à des déterminations géométriques. Inconnaissable dans sa nature intime, mais identifiable clairement comme effet d'une cause cachée, la forme est définie comme le simple résultat de forces. La morphologie, donc, emprunte sa méthodologie, quoique de façon sélective, à d'autres domaines de recherche. Ce qui précède est, en résumé, la position de D'Arcy Thompson qui, en utilisant un procédé spécial, fournit une identification mathématique et visuelle précise des formes du vivant. Par l'analyse des diverses formes de carapaces des crabes, qui peuvent toutes être ramenées à des déformations successives des coordonnées, initialement orthogonales, d'une seule image ; des formes du squelette des quadrupèdes, qui peuvent être interprétées sur la base de lois de la construction régissant aussi la statique des ponts ; des formes crâniennes de divers animaux, D'Arcy Thompson développe l'idée d'après laquelle la nature s'accroît, se déforme sur la base d'un modèle fort précis. Il existe un logos sous-jacent aux phénomènes, qui ne peut en aucune façon être violé. Les formes de la nature deviennent des objets de la mathématique, étudiés et visualisés avec les instruments classiques de l'analyse géométrique. La courageuse tentative de D'Arcy Thompson consiste donc à ramener la variété infinie des formes à un schème général, qui soit en mesure de traduire le visible qualitatif en un invisible quantitatif. L'écart qualitatif propre au monde organique est résolu en faveur d'un monde régi par des lois universellement valables. La différenciation morphologique, c'est-à-dire la variété indéfinie des formes, n'éveille chez D'Arcy Thompson aucun sentiment d'émerveillement extasié. C'est plutôt la possibilité de ramener la pluralité morphologique à un procédé régi par un petit nombre de lois formalisables, qui stimule sa recherche solitaire. D'Arcy Thompson veut rapprocher le domaine qualitativement varié des formes et la science classique des quantités mesurables, en développant une recherche des instruments topologico-géométriques aptes à pénétrer les secrets des formes. L'application de la géométrie à la description et à l'analyse de la forme biologique devient avec D'Arcy Thompson - particulièrement à travers la "méthode des transformations" - une manière de réduire la multiplicité phénoménologique à l'intelligibilité gnoséologique du fini mathématique. Ce n'est donc pas un hasard s'il reprend à Kant l'idée que " le critère de toute vraie science réside dans l'importance des liens qui l'unissent aux mathématiques ".1 D'ailleurs, continue Thompson, citant cette fois Du Bois Reymond, " la chimie du futur devrait envisager toute la mécanique moléculaire par le biais des mathématiques, dans leur langage strict, tout comme l'astronomie de Newton et Laplace l'avait fait pour les étoiles ".2 Pour D'Arcy Thompson, la méthode mathématico-physique et la " précision numérique " représentent " vraiment l'âme de la science " et constituent " le meilleur critère, peut-être même le seul, de la validité d'une théorie et de la fiabilité d'une expérience ".3 D'après D'Arcy Thompson les lois de la physique devraient donner la possibilité d'expliquer les phénomènes de régulation et de régénération qui se déroulent dans les organismes, sans recours à des causes finales. Le physicien doit laisser de côté les principes du finalisme, sans pourtant méconnaître que " mécanisme et téléologie sont aussi étroitement imbriqués que la chaîne et la trame d'un tissu ".4 Un organisme doit être représenté comme une fonction, au sens mathématique, des parties qui le composent, fonction reliée à l'organisation spatiale et temporelle des parties, à la manière précise dont elles interagissent. Cohérence, efficacité mécanique, réductibilité au simple géométrique, tels sont les points fondamentaux du système de D'Arcy Thompson. Le problème de la stabilité de la structure des êtres vivants, problème essentiel de la biologie, est abordé sur la base de ces principes. Réduire le qualitatif au quantitatif La méthode élaborée par D'Arcy Thompson, compatible avec le déterminisme physique, vise à développer une théorie mathématico-géométrique et mécanique des formes, qui réduit des expressions différentes à des modèles de génération communs. Par conséquent, selon D'Arcy Thompson, l'obstacle le plus grave au progrès dans l'étude de la morphogenèse ne consiste pas tellement dans le résidu irréductible au physique de l'élément vital, mais sans doute dans le manque de mesures quantitatives de différenciation. Néanmoins, " pour tout ce qui concerne l'édification, la croissance et le fonctionnement du corps, comme pour tout ce qui est issu de la terre, la science physique doit être, à mon humble avis, notre seul maître et guide ".5 Tout ce qu'on peut faire, dans l'attente d'une plus ample application des méthodologies mathématiques et physiques, " c'est d'analyser par fragments les différentes parties de ces phénomènes auxquelles s'appliquent, de manière claire et indubitable, les lois simples des forces de nature physique, même si elle se présentent sous une forme peu obvie ".6 L'admiration infinie devant les " miracles " de la naissance et du développement, devant l'immense variété des formes, devant le frémissement continu de la vie, ne peut interdire le progrès de la morphologie vers l'utilisation des lois des mathématiques. D'Arcy Thompson proclame ouvertement que " les phénomènes physiques auxquels nous sommes confrontés n'ont pas moins de beauté et sont à peine moins variés que ceux qui suscitent notre admiration au sein du monde vivant. Les vagues de l'océan, les vaguelettes qui viennent mourir sur le sable, la courbe harmonieuse d'une baie, la ligne des collines sur l'horizon, la forme des nuages, tous ces phénomènes sont autant d'énigmes dans le domaine de la forme, autant de problèmes dans le domaine de la morphologie. Pour tous ces problèmes, le physicien dispose des éléments nécessaires qui lui permettent de les décrypter et de les résoudre avec plus ou moins de facilité : il lui suffit de se référer aux antécédents de ces phénomènes, au sein du système matériel de forces mécaniques auquel ils appartiennent et d'où ils tirent leur origine ".7 Rien ne fait exception à la règle The¢s aèi geometréi (" Dieu géométrise toujours ") et les problèmes de forme sont avant tout des problèmes mathématiques. L'application de la géométrie à la description et à l'analyse de la forme fait "évaporer" le qualitatif en faveur d'un quantitatif qui perdure et peut être saisi même par l'esprit borné de l'homme. D'ailleurs, D'Arcy Thompson est intrigué et profondément frappé par la régularité et par la répétition des événements naturels. Son but n'est pas de vérifier qu'en ce lieu et à cet instant tel événement a eu lieu, qu'en ce lieu et à cet instant telle forme se dresse devant lui, mais de rechercher les conditions qui ont donné lieu à cet événement, les conditions qui ont déterminé cette forme. Le problème est de comprendre si, dans les mêmes conditions, le même événement ou la même forme se manifestent, ou bien comment ils varient avec les conditions. Le but de sa recherche n'est pas l'examen d'une seule donnée, d'une seule forme, c'est la règle par laquelle ces événements doivent se répéter, règle qui doit être générale et universellement applicable au monde organique aussi bien qu'au monde inorganique. Pour cette raison " D'Arcy Thompson fut parfois accusé d'être beaucoup trop géomètre dans sa manière de penser, par sa détermination à voir des régularités élémentaires là où une personne sans imagination n'en aurait pas vu : les sphères qu'il voyait n'étaient pas tout à fait sphériques, les polygones pas tout à fait réguliers, les transformations pas tout à fait orthogonales, la trabécule osseuse une représentation imprécise des lignes de forces ".8 Cependant, d'après D'Arcy Thompson, la réduction du qualitatif au quantitatif quoique incomplète et jamais définitive, n'exclut pas que la nature agisse en ingénieur et que, dans ses constructions, elle tienne toujours compte, dans ses calculs, de toutes les composantes mécaniques et de toutes les forces agissant sur l'objet qu'elle est en train de façonner. La comparaison entre l'oeuvre de la nature et le travail de l'ingénieur est un indice de l'utilisation, par D'Arcy Thompson, de la notion même d'analogie, surtout dans le contexte de la découverte scientifique. En effet, bien que son idéal soit la précision numérique, on peut toutefois constater que le point de départ de sa méthodologie morphologique est l'observation phénoménologique des analogies cachées sous le visible. La recherche structurale des causes prend l'aspect d'une recherche de principes généraux simples, qui justifient des similitudes essentielles. En utilisant l'analogie, le spécialiste des problèmes morphologiques peut observer si deux formes, apparemment différentes mais isomorphes, peuvent être considérées comme le résultat de transformations mutuelles. Les énigmes de la forme sont alors traduites en relations visibles entre des formes affines et deviennent compréhensibles par uploads/s3/d-x27-arcy-thompson-la-forme-et-le-vivant 1 .pdf
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- Publié le Jui 10, 2021
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