Ohadata D-02-07 L'ARRET EPOUX KARNIB : UNE REVOLUTION ? QUESTION D'INTERPRETATI

Ohadata D-02-07 L'ARRET EPOUX KARNIB : UNE REVOLUTION ? QUESTION D'INTERPRETATION 1 Par Maître IPANDA Avocat au Barreau du Cameroun Yaoundé ( EXTRAIT DE LA REVUE CAMEROUNAISE DU DROIT DES AFFAIRES n° 10 Jan-Mars 2002 ) C'est dans un grand désarroi que beaucoup de milieux juridiques et judiciaires africains ont accueilli l'arrêt EPOUX KARNIB c/ SGBCI du 11 Octobre 2001 par lequel la COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D'ARBITRAGE ( CCJA) déclare solennellement qu'en matière mobilière, l'exécution forcée pouvant être poursuivie jusqu'à son terme aux risques et périls du créancier en vertu d'un titre exécutoire par provision, la juridiction supérieure saisie ne peut, se référant au droit national qui organise les défenses à exécution, en ordonner la suspension sans se mettre en contradiction avec les dispositions en vigueur du droit uniforme. Cet arrêt de principe, rendu sous le visa de l'article 32 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution1 constitue, sans aucun doute, la première illustration de la primauté du droit uniforme OHADA sur l'ordre juridique interne des États parties, avec son corollaire, l'applicabilité directe et immédiate des Actes Uniformes pris en vertu du Traité.2 Par la généralité de ses termes et l'origine de son fondement, l'arrêt EPOUX KARNIB, bien qu'intervenu à l'occasion d'un litige opposant deux commerçants Ivoiriens, a vocation à étendre sa doctrine sur l'ensemble des pays membres de l'OHADA, en même temps qu'il ouvre la voie à une transformation radicale des jurisprudences en matière d'exécution provisoire des décisions de justice. Si l'on est tenu de rendre hommage à la CCJA d'avoir parfaitement joué son rôle de Cour régulatrice en rappelant en l'espèce l'obligation au respect de la hiérarchie des normes juridiques qui s'impose à tous, on ne peut cependant s'empêcher de se demander si l'arrêt EPOUX KARNIB repose vraiment sur un fondement inattaquable. Une analyse téléologique de l'article 32 de l'Acte Uniforme susvisé ne risque t-elle pas d'établir que cet arrêt est d'une insolence singulière dans la mesure ou aucun de ses motifs ne semble être inscrit dans l'article 32 susvisé ? Rappelons d'abord très brièvement les circonstances dans lesquelles l'arrêt est intervenu. Les époux KARNIB, commerçants domiciliés à Abengourou ( Côte d'Ivoire ), avaient obtenu en Janvier 1999 du Tribunal civil de leur localité, la condamnation de la SGBCI du même pays au paiement de la somme de 858.486.327 francs CFA, assortie d'une exécution provisoire à concurrence de la totalité des sommes allouées au titre du préjudice commercial, soit 683.486.327 francs CFA. Ayant exercé des voies de recours contre cette décision, la SGBCI sollicita et obtint du Premier Président de la Cour d'Appel d'Abidjan, par Ordonnance n° 97/99 du 23 Février 1999, la suspension provisoire des poursuites jusqu'à ce qu'il soit statué au fond. Sur pourvoi des époux KARNIB, la CCJA casse et annule l'Ordonnance attaquée motif pris de ce qu'elle a fait application des articles 180 et 181 du Code de Procédure Civile Ivoirien, alors que l'article 32 n'autorise aucune interruption d'une exécution entamée et, statuant à nouveau, dit et juge que l'exécution forcée entreprise pourra être poursuivie jusqu'à son terme. Il résulte donc de cet arrêt que pour la CCJA : 1 Voir Ohadata J-02-06 ; Ohadata D-02-06 ; Ohadata D-02-09 D'une part, que la loi nationale ( Ivoirienne ) qui organise le sursis à exécution est incompatible avec les dispositions de l'article 32 de l'Acte Uniforme n° 6 et que dans ces conditions, l'article 10 du Tr aité doit produire son plein et entier effet. Que d'autre part, l'exécution forcée qui était poursuivie aux risques des époux KARNIB, avait déjà été mise en route avec la signification au débiteur, du commandement de payer. Le point de départ de l'exécution forcée, s'il mérite ici quelques observations, n'est pas en soi très original en l'espèce. L'intérêt de l'arrêt réside essentiellement en ce qu'il tire de l'article 32 de l'Acte Uniforme n° 6, l es éléments d'une incompatibilité avec la procédure de sursis à exécution organisée par la loi nationale. Une telle affirmation place nécessairement l'arrêt EPOUX KARNIB loin des sentiers battus, d'autant plus que l'abrogation des textes nationaux n'est pas explicite. Il est vrai qu'une partie de la doctrine, particulièrement attentive aux conflits des lois, avait déjà appréhendé les difficultés d'interprétation de l'article 32 de l'Acte Uniforme n° 6 en même temps qu'el le proclamait périmée, la procédure des défenses à exécution organisée au Cameroun par la loi n° 92/008 du 14 Août 1992 et ses textes modificatifs 3, à la grande indifférence des Cours d'Appel. Mais une autre opinion, fidèle aux techniques d'interprétation plus libre de l'esprit et du but social de la loi, refuse de voir dans les dispositions de l'article 32 susvisé, les germes d'une quelconque abrogation tacite de la procédure de sursis à exécution. Puisqu'il est dès lors question d'interprétation et que les positions jusque-là prises sont radicalement contraires, pourquoi donc considérer l'arrêt EPOUX KARNIB comme une décision révolutionnaire ? Ne doit-on pas, bien qu'il s'agisse ici d'un arrêt de principe, méditer aussi sérieusement sur les critiques qui risquent de dépouiller totalement cet arrêt de toute sa valeur ? I - UNE REVOLUTION JURIDIQUEMENT IMPOSSIBLE Le moins que l'on puisse dire c'est que la CCJA n'a pas nuancé sa position. L'arrêt EPOUX KARNIB est catégorique. Pour la Haute Juridiction communautaire, l'époque des sursis à exécution accordés en vertu de la loi nationale est révolue et l'article 32 de l'Acte Uniforme n° 6 reste le seul texte applicable en matière d'exécution provisoire. Dès lors que l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme aux risques du créancier en vertu d'un titre exécutoire par provision, et que l'article 32 ne prévoit aucune dérogation,, la solution de ce texte, conclut la Cour, devient inconciliable avec les articles 180 et 181 du Code de Procédure Civile Ivoiriens qui prévoient les défenses à exécution. Mais si l'on suppose, comme on vient de le dire, qu'il ne s'agit là que d'une interprétation et que l'article 32 est susceptible de plusieurs lectures, il paraît de bonne méthode, par rapport aux affirmations de l'arrêt ( A ), de revenir d'abord sur la lettre et sur l'esprit de ce texte avant de prendre position sur sa signification réelle ( B ). A - LES AFFIRMATIONS DE L'ARRET La lecture objective de l'arrêt EPOUX KARNIB permet de découvrir que deux types d'arguments ont été retenus par la CCJA pour casser et annuler l'Ordonnance du Premier Président de la Cour d'Appel d'Abidjan. Tout d'abord, la CCJA s'appuie sur la lettre même de l'article 32, qui dispose : Alinéa 1er : " A l'exception de l'adjudication des immeubles, l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire par provision ". Du libellé de ce premier alinéa du texte communautaire, la Haute Juridiction déduit alors que telle exécution ne peut être suspendue par le juge lorsqu'elle est entamée. Certes, par la généralité de ses termes voire son ambiguïté, la formule " l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme ", a beaucoup contribué à obscurcir le débat sur la véritable signification de l'article 32 susvisé. Mais elle ne peut à elle seule, justifier l'interprétation retenue par la CCJA, ni sur le moment à partir duquel l'exécution est censée avoir commencé, ni quant à l'obligation d'exécuter jusqu'au bout. B - LES PRECISIONS DES TEXTES Deux dispositions au moins de l'Acte Uniforme qui nous préoccupent, notamment, l'article 32 lui- même et ensuite, l'article 247, permettent de justifier telle réticence. Lorsque le premier de ces textes, c'est à dire l'article 32 déclare que l'exécution par provision hors le cas d'adjudication des immeubles peut être poursuivie jusqu'à son terme, il ne semble objectivement pas se préoccuper de l'attitude que peut prendre la juridiction saisie du recours quant à l'opportunité de la mesure décidée par la décision attaquée. Il ne se déduit pas non plus, ni de la lettre, ni de l'esprit de ce texte qu'il s'agit d'une exécution de plein droit qui ne peut être suspendue lorsqu'elle est prononcée conformément à la loi. En déclarant que l'exécution forcée hors cas d'adjudication des immeubles peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire par provision, le législateur, à notre sens, a voulu tout simplement dire que le titulaire d'un titre exécutoire par provision n'est pas tenu, pour la mise en oeuvre complète de celui-ci, d'attendre le titre définitif qui ne pourra intervenir qu'après l'expiration des délais des voies de recours ou alors après l'examen de la cause en appel, lorsque le recours est exercé. Ainsi par exemple, en matière de saisie attribution de créances, le saisissant muni d'un titre exécutoire par provision n'a pas à attendre le jugement passé en force de chose jugée pour obtenir le paiement effectif des sommes saisies attribuées. L'absence de contestation va alors contraindre le tiers saisi de payer, sans que ce paiement soit subordonné à la présentation du titre définitif. De même encore, dans une saisie-vente pratiquée en vertu d'un titre exécutoire par provision, la vente amiable ou forcée prévue par la loi, ne sera pas non plus subordonnée à uploads/S4/ arret-epoux-karnib-une-revolution.pdf

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  • Publié le Jul 18, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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