Doc hiérarchie des normes Revue trimestrielle de droit civil 2001, Chroniques p

Doc hiérarchie des normes Revue trimestrielle de droit civil 2001, Chroniques p. 749 Hiérarchie des normes : du système au principe par Pascal Puig Agrégé des facultés de droit ; Professeur à l'Université d'Avignon ** * 1. Ayant fourni aux juristes du XXe siècle une explication du droit moderne dans lequel ils évoluent (1), la hiérarchie des normes (2) résistera-t-elle au vent de post-modernité (3) qui souffle sur notre système juridique en cette aube du IIIe millénaire ? La question mérite d'être posée tant se multiplient depuis quelques années les désordres en son sein (4), des enchevêtrements multiples aux inversions de hiérarchie mettant en lumière les faiblesses d'une construction lacunaire et laissant affleurer de nombreuses contradictions. La hiérarchie des normes est en crise. Les causes en sont multiples mais peuvent pour l'essentiel être ramenées à une combinaison de deux facteurs : d'une part, le foisonnement des sources de droit, tant internes qu'internationales et européennes, d'autre part, l'accroissement des contrôles de conformité. Au développement de ces phénomènes, le succès de la théorie normativiste a sans doute contribué (5), non sans un certain paradoxe. Cette contribution s'est manifestée à des degrés variables et de manière parfois indirecte. 2. En fondant la validité d'une norme juridique sur le respect d'une procédure de création prescrite par une norme supérieure - et, en dernier lieu, par la norme fondamentale - le système kelsénien conduit le droit à organiser lui-même sa propre production (6) et, par cette « autorégulation » (7), à se réaliser par degrés successifs. La norme de degré supérieur ne pouvant tout prévoir (8), c'est à celles de niveau inférieur qu'il revient d'apporter les précisions utiles, et ainsi de suite jusqu'aux normes à caractère individuel et aux actes de pure exécution matérielle. La détermination du droit s'opère ainsi par étapes successives en descendant du sommet vers la base de la pyramide des normes. A ce schéma théorique correspond en France un mode de régulation juridique fondé sur la suprématie de l'Etat et gouverné, dans une large mesure, par une Administration dont l'omnipotence a atteint sous la Ve République des proportions inquiétantes (9). Que ce système ait engendré une augmentation considérable du volume des textes et participé au naufrage du droit commun en favorisant la spécialisation des branches du droit n'est plus à démontrer. En revanche, le « système dynamique de normes » auquel correspondent, selon Kelsen, les ordres juridiques (10), n'aurait guère dû favoriser une inflation des contrôles au-delà du seul respect des conditions de création de la norme. L'auteur distingue en effet deux systèmes de normes, l'un de type statique, l'autre de type dynamique. Dans le premier, la validité des normes résulte de la conformité de leur contenu à celui d'une norme supérieure, si bien que chacune d'elles se trouve subsumée sous le fond d'une autre « comme le particulier sous le général » (11) jusqu'à la norme fondamentale qui les contient toutes. Une telle hiérarchie matérielle peut, selon l'auteur, être observée dans l'ordre moral où, par exemple, l'interdiction du mensonge, de la tromperie ou du parjure peut être déduite de la norme plus générale qui ordonne la sincérité (12). C'est donc par voie d'opération logique, en concluant du général au particulier, que les normes peuvent se déduire l'une de l'autre. A cette hiérarchie statique, Kelsen oppose un système dynamique dans lequel une norme n'est pas valable parce qu'elle a un certain contenu mais parce qu'elle a été créée conformément à ce que prescrit une norme supérieure, jusqu'à la norme fondamentale supposée qui ne contient rien d'autre que « l'habilitation d'une autorité créatrice de normes » (13). Dans un tel système, les seuls contrôles de validité auxquels les normes sont susceptibles d'être soumises portent sur le respect de leur procédure de création puisque « n'importe quel contenu peut être droit » (14). En cas de contrariété, peut alors être constatée la nullité de la norme (15), c'est-à-dire son inexistence en tant que telle (16). Mais dès l'instant que ses conditions de création ont été respectées, sa validité ne saurait, en principe, être contestée alors même que son contenu se révélerait contraire à celui prescrit par une norme de niveau supérieur. La pensée kelsénienne conduit ainsi à opérer une distinction fondamentale entre validité et conformité (17) de laquelle il résulte qu'une norme valable, au sens où les conditions qui règlent sa production ont été respectées, peut très bien n'être pas conforme au contenu que prescrivent les normes de degré supérieur. L'insigne mérite de cette proposition est de préserver la cohérence de la hiérarchie des normes malgré la contrariété de fond d'une norme avec les degrés supérieurs de l'ordre juridique, la validité n'impliquant pas la conformité. Dans cette perspective, il paraît quelque peu difficile d'imputer au succès du normativisme l'accroissement des contrôles que connaît notre droit positif, lesquels s'intéressent essentiellement à la conformité matérielle des normes. L'analyse peut toutefois sembler bien insuffisante à ceux qui recherchent dans l'organisation hiérarchisée des normes une cohérence substantielle. Or c'est bien ainsi qu'est généralement comprise la hiérarchie des normes et c'est la raison pour laquelle le mouvement normativiste a indirectement engendré cette inflation des contrôles. 3. Il est vrai que la théorie pure de Kelsen pouvait paraître sur ce point bien décevante et que, séduits par la représentation pyramidale de l'ordre juridique, les juristes ont pu avoir la tentation de l'adapter (18). En séparant les normes de leur contenu, en leur reconnaissant une existence juridique indépendamment de tout jugement de valeur, elle conduit à « détacher le droit de la société nourricière » (19) et s'installe, en définitive, « à côté du droit » et du raisonnement juridique (20). Cette neutralité tant critiquée du kelsénisme conduit des auteurs à n'y voir « qu'une théorie, et non une philosophie du droit » (21). Mais il est également vrai que cette théorie comprend des nuances que les synthèses et le temps ont eu parfois tendance à gommer. Ainsi le maître autrichien envisage-t-il assez largement la possibilité « qu'un seul et même système de normes combine le principe statique et le principe dynamique » de telle sorte que si les « ordres juridiques ont pour l'essentiel un caractère dynamique », il est fréquent qu'une norme règle à la fois la création et le contenu des normes subordonnées (22). Dans cette perspective, la validité ne tient plus seulement au respect de la procédure d'édiction mais également à une correspondance de fond. Ainsi la théorie kelsénienne apparaît-elle déjà plus directement à l'origine des nombreux contrôles de conformité. Allant plus loin, certains auteurs soutiennent que le prétendu système dynamique s'avère incompatible avec la notion même de « système » (23) ou que la hiérarchie qu'il est censé décrire n'est pas « à proprement parler une hiérarchie des normes » (24) ; seule établit une véritable relation de norme à norme et constitue par conséquent une « vraie hiérarchie de normes » ce que Kelsen appelle la « hiérarchie statique » (25). D'autres auteurs ajoutent qu'un système juridique ne saurait être ni purement dynamique ni purement statique mais présente nécessairement une « dualité » (26) ou un caractère « mixte » (27) dans la mesure notamment où « toutes les décisions sont toujours justifiées à la fois par leur conformité au contenu d'un autre énoncé et par l'habilitation conférée à leur auteur » (28). Le fait est que la hiérarchie des normes qu'exprime le droit positif français, reflet d'une hiérarchie des autorités publiques (29), évoque au moins autant le système statique que le schéma dynamique (30). Ce n'est qu'ainsi comprise et adaptée que la théorie normativiste de Kelsen a pu favoriser le développement des contrôles de conformité. Imprimant dans les esprits l'image pyramidale parfaite d'un ordre juridique tout entier prévisible parce que déductible (31), sans contradiction ni lacune (32), elle a ainsi renforcé le besoin collectivement ressenti de soumettre les normes à un contrôle matériel (33). 4. La manifestation la plus éclatante de cette conception de l'ordre juridique et de son articulation est sans aucun doute l'institution par la Ve République et le développement d'un contrôle de constitutionnalité (34). La Constitution apparaît comme la norme juridique supérieure de laquelle découlent toutes les autres sources de droit au point que la loi votée par le Parlement n'exprime plus la volonté générale que dans son respect (35). Ce « principe de constitutionnalité », ainsi que l'a défini un auteur (36), implicitement né en 1958, consacré en 1971 par le Conseil constitutionnel (37) puis renforcé par la révision de 1974 (38), se combine désormais avec le traditionnel principe de légalité pour former ce que l'on peut désigner plus généralement par « principe de normativité » (39). L'Etat de droit qui en découle impose donc une hiérarchie des normes non plus seulement formelle et procédurale mais également substantielle (40) et requiert la mise en place des contrôles destinés à en garantir le respect. L'exigence d'unité de l'ordre juridique n'est en effet satisfaite que si « le juge peut éliminer de celui-ci, quelle que soit son origine, toute norme déviante par rapport à la hiérarchie normative » (41). 5. Le uploads/S4/ hierarchie-des-normes.pdf

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  • Publié le Jui 02, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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