R. c. Munyaneza 2009 QCCS 2201 COUR SUPÉRIEURE CHAMBRE CRIMINELLE CANADA PROVIN

R. c. Munyaneza 2009 QCCS 2201 COUR SUPÉRIEURE CHAMBRE CRIMINELLE CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL N° : 500-73-002500-052 DATE : 22 mai 2009 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE ANDRÉ DENIS, J.C.S. ______________________________________________________________________ SA MAJESTÉ LA REINE, Poursuivante c. DÉSIRÉ MUNYANEZA, Accusé JUGEMENT I – PRÉAMBULE "Même si je me taisais, l'air, la terre et le vent hurleraient ce qui s'est passé au Rwanda" Témoin C-18 JS1648 500-73-002500-052 PAGE : 2 [1]Une nuit moite est déjà tombée sur les collines de Kigali quand l'avion présidentiel venant de Dar es Salaam survole l'aéroport. [2]Un missile sol-air le touche alors qu'il amorce sa descente. [3]Au petit matin, les Rwandais apprennent la mort de leur président. [4]Ce jugement est la chronique des faits survenus au Rwanda entre le 6 avril et le 4 juillet 1994. II – LE PROCÈS [5]Je préside le procès de Désiré Munyaneza, né au Rwanda le [...] 1966 et vivant aujourd'hui au Canada. [6]M. Munyaneza est accusé de sept chefs d'accusation de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. L'acte d'accusation est reproduit au chapitre du Droit et annexé au jugement. [7]Arrêté à Toronto, Ontario, le 19 octobre 2005, il comparaît devant moi le lendemain. Il présente en avril 2006 une requête pour remise en liberté provisoire que je refuse le 27 avril 2006 au motif que sa libération pourrait miner la confiance du public dans l'administration de la justice. [8]M. Munyaneza est accusé en vertu de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre (la Loi) adoptée par le Parlement canadien en 2000 (L.C. 2000, ch.24). C'est la première fois qu'une poursuite est intentée en vertu de cette loi au Canada. [9]Le procès aurait dû se dérouler devant un juge de la Cour supérieure et un jury mais la Loi canadienne permet à l'accusé, si la poursuite y consent, d'être entendu devant un juge seul. C'est le choix que les parties ont voulu. [10]Les procès relatifs aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre sont extrêmement rares hors l'enceinte des tribunaux pénaux internationaux. C'est à ma connaissance une première dans les deux Amériques. [11]C'est aussi à ma connaissance la première fois qu'un juge seul entend une telle affaire y compris dans les tribunaux pénaux internationaux où la collégialité est la règle. [12]Le procès commence le 27 mars 2007 au Palais de justice de Montréal au Québec. Il se déroule en français, l'une des deux langues officielles du Canada, avec l'anglais. [13]M. Munyaneza a fait des études universitaires en français et a choisi la langue du procès comme c'est son droit. Il reste que la majorité des témoins ont été entendus en 500-73-002500-052 PAGE : 3 kinyarwanda, une des langues officielles du Rwanda, et des interprètes ont traduit en continu les témoignages à l'audience. M. Munyaneza parle le kinyarwanda. Il comprend aussi l'anglais. [14]Certains témoins ont aussi été entendus en français et d'autres, moins nombreux, en anglais. Les juges québécois sont bilingues (français, anglais) et aucune traduction n'a été requise pour ces témoignages. L'accusé y a spécifiquement renoncé. [15]Avant le début du procès, en janvier et février 2007, j'ai présidé à Kigali au Rwanda une commission rogatoire où j'ai entendu les 14 premiers témoins de la poursuite qui ne pouvaient se déplacer au Canada. [16]Ces auditions auraient pu se faire par visioconférence mais j'ai préféré me déplacer pour voir, entendre et apprécier la crédibilité de chaque témoin en personne. [17]J'ai ordonné que chaque témoignage soit filmé et enregistré et que tous ces enregistrements soient remis à M. Munyaneza, de même que les notes sténographiques, afin qu'il puisse prendre connaissance de la preuve et en discuter avec ses avocats. [18]À compter du 27 mars 2007, j'ai entendu 16 autres témoins de la poursuite au Palais de justice de Montréal. La poursuite a donc fait entendre 30 témoins et a déclaré sa preuve close. [19]L'accusé a présenté trois requêtes en commissions rogatoires pour interroger hors du Canada des témoins qui ne pouvaient s'y déplacer. J'ai accueilli les trois requêtes et les commissions rogatoires se sont déroulées de la même façon que celle demandée par la poursuite. L'accusé n'était pas présent lors des commissions rogatoires. [20]En janvier 2008, j'ai entendu trois témoins de la défense à Paris, France. [21]En avril 2008, j'ai entendu sept témoins de la défense à Kigali au Rwanda. [22]En mai 2008, j'ai entendu 14 témoins de la défense à Dar es Salaam en Tanzanie. [23]L'organisation de quatre commissions rogatoires, dans les circonstances du présent procès, est une tâche colossale pour tous ceux et celles qui y participent. [24]De retour au pays, j'ai entendu douze témoins supplémentaires en défense. L'accusé a fait entendre 36 témoins et a déclaré sa preuve close. [25]J'ai donc entendu 66 témoins dont les témoignages sont colligés sur plus de 16 000 pages de notes sténographiques. [26]Les parties ont déposé près de 200 pièces au dossier. 500-73-002500-052 PAGE : 4 [27]Les avocats ont souhaité plaider par écrit et ont soumis des mémoires de plus de 600 pages chacun accompagnés de quelques dizaines de milliers de pages de jurisprudence et d'autorités diverses. [28]Ils ont souhaité résumer leurs propos lors d'une brève plaidoirie orale en décembre 2008. [29]J'ai mis la cause en délibéré le 19 décembre 2008, dix-neuf mois après le début formel des auditions. [30]Je tiens à souligner le travail remarquable des avocats au dossier. Me Richard Roy, Me Pascale Ledoux et Me Alexis Gauthier pour la poursuite. Me Richard Perras, Me Mylène Dimitri et Me Paul Skolnik pour la défense. [31]Ce dossier était exigeant. Par leur sens de l'éthique, l'intelligence de leurs propros et le respect qu'ils ont manifesté, ils ont contribué à lui garder un caractère humain. [32]Ce faisant, ils ont aidé le tribunal, servi la justice et donné l'exemple de ce que la profession d'avocat a de plus noble. Je leur en suis reconnaissant. III – LE JUGEMENT [33]On a souligné avec raison la difficulté supplémentaire d'un procès où la majorité des témoins témoignent en kinyarwanda, une langue qui n'a aucun lien de parenté avec le français ou l'anglais. [34]Les mêmes interprètes compétents ont agi tout au long du procès à Montréal et en Afrique. Ils se sont entraidés pendant les auditions et les deux parties étaient assistées de personnes parlant le kinyarwanda. L'accusé lui-même a pu apporter des précisions sur la qualité de la traduction. [35]À la fin du procès, les avocats et l'accusé se sont déclarés satisfaits des traductions et des corrections apportées à l'ensemble de la preuve. [36]Quand la version d'un témoin est contredite sur des éléments essentiels par celle donnée par des témoins de la poursuite et de la défense, quelle que soit la langue de témoignage, la crédibilité du témoin est affectée. [37]Le jugement est rédigé en français (seule version officielle) et publié simultanément en traduction anglaise. 500-73-002500-052 PAGE : 5 IV – LE DROIT 1. GÉNÉRALITÉS [38]Le territoire canadien, d'abord occupé par les peuples autochtones, est colonisé successivement par la France et l'Angleterre. [39]Cette colonisation est à l'origine du système juridique canadien. [40]Au Québec, le droit civil codifié s'est inspiré du droit civil français. Dans les autres provinces, le droit civil se fonde sur la "common law" d'inspiration britannique. [41]Le droit criminel est codifié dans un Code criminel inspiré du droit criminel anglais. [42]Le Canada est un régime de type fédéral où le droit criminel est de compétence fédérale. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique signé en 1867 jette les fondements de l'État canadien et réserve au Parlement central une compétence exclusive en matière de droit et de procédure criminels. [43]Cependant, la constitution des tribunaux de juridiction civile et criminelle de même que l'administration de la justice sont dévolues aux provinces. [44]En 1982, le Parlement canadien adopte une Charte canadienne des droits et libertés qui fait partie intégrante de sa Constitution. Elle constitue de fait les 34 premiers articles de la Loi constitutionnelle de 1982. [45]La Charte prévoit un certain nombre de « garanties juridiques » dévolues aux citoyens canadiens dont notamment : - garantie contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives; - garantie contre la détention et l'emprisonnement arbitraires; - le droit d'être informé des motifs de son arrestation et de son droit à l'assistance d'un avocat; - le droit d'être jugé dans un délai raisonnable; - le droit de ne pas être contraint à témoigner contre soi-même; - la présomption d'innocence; - le droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial; - le droit à un cautionnement raisonnable; 500-73-002500-052 PAGE : 6 - le droit à un procès par jury pour les infractions punissables de plus de cinq ans d'emprisonnement; - le droit de ne pas être jugé ou puni deux fois pour la même infraction; - le droit à la protection contre tous traitements cruels ou inusités (en droit canadien, la peine de mort est un traitement cruel interdit); - le droit à ce qu'un témoignage antérieurement rendu ne soit utilisé contre l'accusé; - le droit à un interprète. [46]Le Code criminel canadien, qui s'applique à tout le territoire canadien, est la uploads/S4/ jugement-desire-munyaneza-canada-22-mai-2009 1 .pdf

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  • Publié le Jui 07, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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