COURS LMD Jacqueline MORAND-DEVILLER et Pierre BOURDON Florian POULET collectio
COURS LMD Jacqueline MORAND-DEVILLER et Pierre BOURDON Florian POULET collection COURS Droit administratif • Cours • Thèmes de réflexion • Commentaires d’arrêts • Notes de synthèse 15e édition Dissertation Le retrait des actes administratifs : Introduction Selon Maurice Hauriou, la décision « Dame Cachet », rendue le 3 novembre 1922, est « un des exemples les plus nets du pouvoir créateur du Conseil d’État ». La même obser- vation peut-elle être faite à propos d’un arrêt, rendu 80 ans plus tard par l’assemblée du contentieux : l’arrêt « Ternon » du 26 octobre 2001 ? Dans l’un et l’autre cas, la Haute juridiction prend position sur les délais fixés à l’administration pour retirer ses actes, conditions qui doivent être d’autant plus précises que le retrait – à la différence de l’abrogation – a un effet rétroactif. L’application de la jurisprudence « Dame Cachet » avait eu des effets imprévus, préju- diciables à la sécurité des situations juridiques du fait, notamment, des incertitudes nées du calcul des délais de retrait (I). L’arrêt « Ternon » cherche à unifier les délais mais derrière une apparente simplification, la diversité complexe des situations subsiste (II). I. L’arrêt « Dame Cachet » et sa postérité : les incertitudes dans le calcul des délais Selon l’arrêt « Dame Cachet », le retrait rétroactif d’une décision administrative ayant créé des droits ne peut intervenir qu’à deux conditions : que la décision soit illégale et que le délai du recours contentieux (deux mois en principe) ne soit pas expiré. La question de l’irrégularité de l’acte ne sera pas évoquée ici. Il en va différemment du problème du délai, s’agissant à la fois de la fixation de son point de départ et du caractère, parfois implicite, d’une décision individuelle. DROIT ADMINISTRATIF 462 1. Le point de départ du délai L’arrêt « Ternon », comme l’arrêt « Dame Cachet » concerne une décision individuelle créatrice de droits. Le retrait des actes administratifs non créateurs de droits pose peu de problèmes. — Les possibilités de retrait étant étroitement liées, par l’arrêt de 1922, au délai du recours contentieux, la fixation du point de départ de ce délai est un préalable essen- tiel pour entreprendre le calcul. Le délai ne commence à courir que lorsque l’acte a fait l’objet d’une publicité complète et régulière. À défaut, le délai de retrait, comme celui du recours contentieux, ne peut commencer à courir et la décision administrative conserve toute sa vulnérabilité : faute de publicité, un acte pouvait être retiré indéfini- ment, même en l’absence de contestation. — Cette situation risque de se présenter lorsque les mesures de publicité sont complexes. C’est le cas d’une autorisation de construire qui doit faire à la fois l’objet d’une notification au pétitionnaire et d’une publication : double affichage en mairie et sur le terrain, à l’égard des tiers : CE, 6 mai 1966, « Ville de Bagneux ». Le délai du retrait et la vulnérabilité de l’acte peuvent dépendre du bon vouloir de l’administration. 2. Les décisions implicites Les décisions implicites d’acceptation sont seules en cause, car les décisions implicites de rejet ne créent pas de droits au profit des administrés. Rappeler qu’à l’époque le prin- cipe était que les décisions implicites étaient normalement de rejet (avec quelques déro- gations, notamment le permis de construire), principe renversé en 2013 où elles devien- nent en principe d’acceptation (avec de nombreuses dérogations). — Les décisions implicites d’acceptation n’étant pas « matérialisées » ne peuvent pas faire l’objet de publication ? Comment publier le silence ? Afin d’éviter qu’elles puis- sent être retirées à tout moment, l’arrêt CE du 14 novembre 1969, « Ève », avait adopté une position radicale, estimant le retrait impossible dès l’intervention de la décision implicite. Dans les hypothèses où la décision implicite d’acceptation était « matérialisée », le droit commun de la jurisprudence « Dame Cachet » s’appliquait : il s’agissait notam- ment des autorisations de construire implicites, car une lettre, contenant toutes les informations nécessaires, doit être adressée au pétitionnaire en réponse à sa demande et cette lettre peut faire l’objet de publication. 3. L’information sur les délais — Le décret du 28 novembre 1983 (art. R. 421-5, CJA) disposant que « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours dans la décision de notification », avait causé de nouveaux problèmes. À défaut pour l’administration d’avoir donné ces informations, la publicité n’était pas régulière et le retrait demeurait possible. — L’arrêt CE, ass., 24 octobre, « Mme de Laubier », avait interdit ce retrait et la loi du 12 avril 2000 a apporté d’autres précisions, cherchant, comme l’arrêt « Ternon », à unifier les situations. Thèmes de réflexion et commentaires d’arrêts 463 II. L’arrêt « Ternon » : simplification ou complexités nouvelles ? L’arrêt « Ternon » et la loi du 12 avril 2000 sont inspirés par la volonté de mettre de l’ordre dans ces situations complexes en les soumettant à un régime unificateur. S’agit-il vraiment de simplification dans la mesure où de nombreuses exceptions subsistent ? 1. La dissociation entre la durée du délai de retrait et celle du délai du recours contentieux — Selon l’arrêt « Ternon » : « sous réserve de dispositions législatives et réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision ». Le délai de retrait est donc fixé à quatre mois de manière uniforme, délai de réflexion laissé à l’administration, plus élevé qu’auparavant puisqu’il n’était en principe que de deux mois (le commis- saire du gouvernement avait souhaité que soit conservée la date de deux mois). — En ce qui concerne les décisions individuelles implicites, la loi du 12 avril 2000 (art. 23), relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, renversant la jurisprudence « Ève », autorise le retrait « pendant un délai de deux mois, lorsqu’aucune mesure d’information des tiers n’a été mise en œuvre ». Si l’information des tiers a eu lieu la jurisprudence « Dame Cachet » s’applique : retrait dans le délai du recours contentieux et durant la durée de l’instance si un recours a été formé. — Dictée par des considérations pragmatiques, la position de « jurislateur », prise par la Conseil d’État dans l’arrêt « Ternon », cherche à renforcer la sécurité juridique des citoyens jusqu’ici menacée par des incertitudes, elles-mêmes nées du souci d’une bonne information des citoyens imposant de renforcer les exigences de la publicité des actes les concernant. — L’administration dispose de quatre mois pour retirer l’acte irrégulier, soit de sa propre initiative, soit à la demande de toute personne intéressée. Et, à l’expiration des quatre mois, les tiers ou le bénéficiaire de la décision pourront demander au juge de l’excès de pouvoir de se prononcer sur la légalité de l’acte non retiré. 2. Les limites de la jurisprudence « Ternon » — Cette jurisprudence ne concerne que les décisions individuelles explicites créatrices de droits. La possibilité de retirer un acte réglementaire, acte non créateur de droits, même pour inopportunité, demeure dans les conditions du droit commun : CE, ass., 21 octobre 1966, « Soc. Graciet ». Auront aussi un régime différent, les décisions indivi- duelles non créatrices de droit ainsi que les décisions implicites. — L’arrêt prévoit aussi la possibilité d’aménagement, par des dispositions législatives et réglementaires spécifiques, de régimes particuliers de retrait, ce qui autorise de nouvelles exceptions ; ainsi en est-il du régime spécial des autorisations d’urbanisme Par ailleurs, Par ailleurs, le délai de quatre mois de la jurisprudence « Ternon » ne s’applique pas lorsque l’acte est contraire au droit communautaire : CAA Paris, 5 octobre 2004, « M. de la Culture » et il faut tenir compte des exigences de la Cour de Luxembourg : CJCE, 13 janvier 2004, « Kühne ». DROIT ADMINISTRATIF 464 La doctrine s’est montrée critique à l’égard de l’arrêt « Ternon », dénonçant les complexités nouvelles en dépit des apparences et reprochant à la Haute juridiction d’avoir frôlé « l’arrêt de règlement », en bousculant l’œuvre non encore achevée du législateur (voir notamment P. Delvolvé, note in RFDA, 2002, no 111, p. 86 et Y. Gaudemet, « Faut-il retirer l’arrêt Ternon ? », AJDA, 16 septembre 2002, p. 738). Conclusion Les conditions entourant l’édiction de l’acte administratif unilatéral n’ont cessé, au nom des garanties de l’administré, de se renforcer. Le régime du retrait des actes administratifs en subit le contrecoup et le mérite de l’arrêt « Ternon » est d’avoir tranché dans le vif, s’agissant des situations posant le plus de problèmes et d’avoir cherché à concilier les exigences de la légalité et celles de la sécurité juridique. Il n’avait pas la prétention de régler tous les problèmes et de parvenir à une simplifi- cation absolue, laquelle semble impossible. Et c’est plutôt au législateur de perfec- tionner le uploads/S4/ lextenso-etudiant-droit-administratif-corrige-detaille.pdf
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- Publié le Jui 08, 2022
- Catégorie Law / Droit
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