Céline Laronde-Clérac Agnès de Luget Magalie Flores-Lonjou Avec le concours d’A
Céline Laronde-Clérac Agnès de Luget Magalie Flores-Lonjou Avec le concours d’Arnaud Jaulin collection COURS Méthodologie des exercices juridiques Commentaire d’arrêt, cas pratique, commentaire de texte, questions à réponse courte, dissertation juridique 4e édition COURS Droit privé Droit public HISTOIRE DU DROIT LMD La dissertation juridique 145 Illustration 6 Sujet de dissertation : La jurisprudence Si Jean-Etienne-Marie Portalis pouvait écrire « On ne peut pas plus se passer de la juris- prudence que de lois » au moment de la rédaction du Code Napoléon, il semble que la place de la jurisprudence ne cesse d’interroger le juriste, certains lui reconnaissant un pouvoir normatif, d’autres le réservant non à la jurisprudence, mais aux juges eux-mêmes, quand quelques-uns continuent de refuser toute autorité aux sources non textuelles. Étymologiquement la jurisprudence (juris prudentia) est la vertu de la prudence appliquée au droit, regroupant les solutions élaborées par les jurisconsultes. S’inspirant de cette tradition romaine, les pays de tradition anglo-saxonne la considèrent comme la science du droit. Ainsi, dans le système de common law, la jurisprudence est le dispositif incitant tout à la fois le juriste à la prudence et à la recherche du bon droit, tout en érigeant la règle du précédent (stare decisis) en pilier du système juridique. Dispositif inconcevable en droit continental où la possibilité de modifier sa jurisprudence existe toujours pour chaque juge, qu’il soit membre d’une cour suprême ou d’une juridiction du fond. Pour autant, la jurisprudence n’est pas absente de la tradition des pays romano-ger- maniques, celle-ci étant notamment apparue en France à la fin du XIXe siècle par la réunion de trois facteurs : la suppression du référé législatif qui a permis aux juges d’interpréter les lois, l’obligation de motivation de leurs décisions de justice qui a révélé le raisonnement suivi et la publication d’arrêts sous forme de recueils. Dès lors, le doyen Carbonnier a pu assimiler la jurisprudence à « (…) l’habitude des tribunaux », expliquant : « en présence d’une question de droit qui se reproduit fré- quemment, les tribunaux prennent plus ou moins vite l’habitude de juger de sem- blable manière (…). Aussi peut-on conjecturer que, dans l’avenir, un tribunal, saisi de cette question, la jugera de même : il n’y est pas obligé, en droit, mais c’est une 6. Avertissement : le corrigé proposé est ce que l’on peut appeler un plan détaillé qui ne fait apparaître que les grandes articulations de ce dernier. Ainsi l’introduction est rédigée mais les parties se contentent de souligner quelques grandes idées qui pourraient être développées. 146 MÉTHODOLOGIE DES EXERCICES JURIDIQUES probabilité » (Droit civil, PUF, coll. Thémis, 26e éd., 1999, n° 142 et s.), quand dans la synthèse de son Vocabulaire juridique Gérard Cornu la qualifie d’« ensemble des solu- tions apportées par les décisions de justice dans l’application du droit ». Ainsi en droit continental, la jurisprudence semble constituée soit par l’ensemble des solutions apportées par les juridictions, soit par les seuls arrêts de principe des cours suprêmes. Est-elle pour autant une source du droit ? Si nous nous référons une fois encore aux écrits de Jean-Étienne-Marie Portalis, ce dernier assignait une triple mission à la jurisprudence : « L ’office de la loi est de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est aux magistrats et aux juristes, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application... Il y a une science pour les législateurs comme il y en a une pour les magistrats ; et l’une ne ressemble pas à l’autre. La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au droit com- mun ; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre par une application sage et raisonnée aux hypothèses prévues. » En somme, il s’agit pour la jurisprudence d’appliquer les règles de droit aux cas d’es- pèce, tout en précisant leur portée, de combler les lacunes des textes et de les interpré- ter afin de les adapter aux évolutions de la société. C’est donc face à un pouvoir normatif de la jurisprudence sollicité, voire reconnu que nous nous trouvons, qu’il s’agisse de la jurisprudence judiciaire, administrative, constitutionnelle ou européenne (Cour de jus- tice de l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’homme). Ainsi, de source matérielle avérée, la jurisprudence est en passe de devenir une source formelle. I. Une source matérielle avérée Si la première fonction des juges est l’interprétation de la loi en vue d’une application au cas d’espèce, l’obligation de statuer (A) les conduit à trancher tous les différends et ainsi à révéler la jurisprudence créatrice de droit (B). A. L ’obligation de statuer – L ’article 4 du Code civil, en posant l’interdiction du « déni de justice » pénalement réprimé (art. 434-7-1 du Code pénal), même en cas de silence de la loi, oblige les juges à trancher tous les différends dont ils sont saisis. – L ’article 455 du Code de procédure civile rappelle les éléments principaux qui doivent être contenus dans une décision de justice : « Le jugement doit exposer suc- cinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif ». Et pour répondre à cette obligation de statuer, les juges vont parfois se référer à la motivation d’autres juridictions dans des affaires comparables devenant ainsi « le lé- gislateur des cas particuliers » suivant la formule de Ripert : la jurisprudence devient créatrice de droit. B. La jurisprudence créatrice de droit – Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, le Conseil d’État, tout comme la Cour de cassation, ont élaboré chacun pour leur part toute une série de La dissertation juridique 147 théories juridiques (principes généraux du droit, cas d’ouvertures du recours pour excès de pouvoir, stipulation pour autrui, enrichissement sans cause…). – Depuis 1958, les décisions du Conseil Constitutionnel ont notoirement enrichi le texte de la Constitution (bloc de constitutionnalité, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, principes et objectifs à valeur constitutionnelle…). En statuant au cas par cas, les cours suprêmes (Conseil d’État et Cour de cassation) et juridictions européennes (Cour de justice de l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’homme) ont consigné leurs propres décisions dans des recueils, révé- lant peu à peu la jurisprudence comme source formelle du droit. II. Une source formelle en devenir Si les cours suprêmes sont chargées de vérifier la bonne application par les juridictions du fond des règles de droit, elles participent tout comme les juridictions européennes à l’émergence de la jurisprudence comme source formelle, par une pacification des relations loi/jurisprudence (A) et une réévaluation de l’autorité de la jurisprudence (B). A. Une pacification des relations entre la loi et la jurisprudence – En érigeant la séparation des pouvoirs en principe, la loi des 16 et 24 août 1790 a déli- mité le champ d’intervention juridictionnel : « Les tribunaux ne peuvent prendre, direc- tement ou indirectement, aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif à peine de forfaiture » et l’article 5 du Code civil a prohibé les arrêts de règlement : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». – Toutefois les juges procédant à un contrôle de conventionalité (conformité d’une loi à un traité ou au droit dérivé de l’Union européenne), et en émettant un avis a pos- teriori sur la constitutionnalité d’une loi (question prioritaire de constitutionnalité), l’autorité relative de la loi et de la jurisprudence a été modifiée. Ainsi, de conflictuels, les rapports entretenus par la loi avec la jurisprudence se sont pacifiés, le législateur n’hésitant pas à réceptionner certaines jurisprudences, voire à les codifier, permettant ainsi une réévaluation de l’autorité de la jurisprudence. B. Une réévaluation de l’autorité de la jurisprudence – Traditionnellement la jurisprudence est revêtue d’une autorité relative en vertu de l’article 1351 du Code civil : « L ’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes par- ties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». – Toutefois, le droit administratif étant un droit essentiellement prétorien, construit au fil des ans par le Conseil d’État, plusieurs de ses décisions sont revêtues d’une auto- rité erga omnes (décisions d’annulation dans le cadre du recours pour excès de pou- voir), tout comme les décisions du Conseil constitutionnel : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et uploads/S4/ lextenso-etudiant-institutions-juridictionnelles-corrige-detaille.pdf
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- Publié le Sep 18, 2022
- Catégorie Law / Droit
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