Mots Démocratie et Révolution française Raymonde Monnier Citer ce document / Ci

Mots Démocratie et Révolution française Raymonde Monnier Citer ce document / Cite this document : Monnier Raymonde. Démocratie et Révolution française. In: Mots, n°59, juin 1999. « Démocratie » Démocraties. pp. 47-68; doi : https://doi.org/10.3406/mots.1999.2547 https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1999_num_59_1_2547 Fichier pdf généré le 30/04/2018 Abstract Borrowing from the political science of the time, the revolutionaries applied the principles of law to the invention of a dynamic constitutional model. The notion of citizenship is reactivated in a complex way in order to reconcile representation and sovereignty. This process brings a positive response to the question as to the possibility of a democracy in a major state ; it also opens the path to a duality between the republican tradition and liberalism. Resumen Influenciados por la siencia politica de su tiempo, los revolucionarios aplicaron los principios del derecho a inventár un modelo dinámico. La noción de ciudadanía esta reactivada de manera compleja en vista de conciliar representación y soberanía. La experiencia aporta una respuesta positiva a la interrogación sobre la posibilidad de existencia de una democracia en un gran estado ; abre también la via a la dualidad entre la tradición republicana y el libéralisme. Résumé Empruntant à la science politique du temps, les révolutionnaires ont appliqué les principes du droit à l'invention d'un modèle constitutionnel dynamique. La notion de citoyenneté est réactivée de manière complexe pour concilier représentation et souveraineté. L'expérience apporte une réponse positive à la question de la possibilité d'une démocratie dans un grand état ; elle ouvre aussi la voie à la dualité entre tradition républicaine et libéralisme. Raymonde MONNIER0 Démocratie et Révolution française En juin 1793, Condorcet ouvrait le premier numéro du Journal d'instruction sociale, sur le sens de l'adjectif révolutionnaire : « De révolution nous avons fait révolutionnaire, et ce mot, dans son sens général, exprime tout ce qui appartient à une révolution. « Mais on l'a créé pour la nôtre, pour celle qui, d'un des états soumis depuis plus longtemps au despotisme, a fait, en peu d'années, la seule république où la liberté ait jamais eu pour base une entière égalité des droits. Ainsi, le mot révolutionnaire ne s'applique qu'aux révolutions qui ont la liberté pour objet ». Sa définition de l'adjectif reste cependant accrochée aux événements, puisqu'il estime que depuis qu'il s'est répandu « on a trop souvent abusé du mot révolutionnaire » et des mesures révolutionnaires, dont il faut examiner la nécessité et la légitimité : « Les lois, les mesures révolutionnaires, sont donc, comme les autres, asservies aux règles sévères de la justice ; elles sont des lois de sûreté, et non des lois de violence » *. Ce texte, apparemment ancré dans les circonstances de la lutte violente des partis, a le mérite d'énoncer quelques mots forces de la Révolution française, conçue comme projet critique d'une société juste — liberté, égalité des droits, république, loi — et de poser, à propos de révolutionnaire, le problème de la légitimité de la loi et des règles de justice dans l'État de droit. Les lectures concurrentes de la période ne simplifient pas l'interprétation des théories qui ont marqué en France l'avènement de la politique moderne et la naissance de la démocratie. Mais s'il est une idée qui s'impose à la lecture des nombreux travaux suscités ° UMR Analyses de corpus linguistiques, ENS de Fontenay/Saint-Cloud, Grille d'Honeur du Parc, 92211 Saint-Cloud Cedex. 1. Journal d'instruction sociale, 1er juin 1793 (réédition Paris, EDHIS, 1981). Mots, 59, juin 99, p. 47 à 68 47 par le bicentenaire, c'est celle d'une rupture novatrice, tout à la fois éthique et politique. La radicalité réaffirmée de 1789 éclaire l'idée que s'en faisaient les acteurs et nous renvoie, après deux siècles de lectures contradictoires, à la complexité d'un événement fondateur dont on cherche encore aujourd'hui à comprendre tout le mystère. Peut-on voir dans l'intérêt renouvelé à la Révolution française l'articulation vraie de l'événement singulier au monde de notre temps, qui est l'âge des masses et de la démocratie, avec ses règles et ses désordres, et comme le dit Jacques Rancière, l'âge où la démocratie, « aux yeux mêmes de ceux qui la combattent ou la redoutent, apparait comme le destin social de la politique moderne » [ ? Qu'en était-il des usages du mot et de la signification du concept sous la Révolution, dont les principes demeurent les nôtres, mais où s'affrontent plusieurs modèles d'organisation des pouvoirs et de formation de la loi ? Le problème démocratique est posé dès l'énoncé des principes qui fondent le projet révolutionnaire. L'actualité ininterrompue des droits de l'homme La référence aux droits de l'homme est devenue d'autant plus présente qu'ils paraissent toujours menacés dans le monde, et que l'accroissement des inégalités remet en question les valeurs républicaines et les risques qui pèsent sur la démocratie. L'extraordinaire efficacité du texte de 1789 tient à la présence du principe régulateur des droits naturels à l'horizon du droit constitutionnel. L'universa- lisme pratique des Constituants s'exprime dans le raccourci radical et le tour à la fois lapidaire et infini de l'article premier, devenu de plus en plus emblématique avec le temps : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. L'énigme de la Déclaration de 1789 tient autant à sa genèse qu'au fait qu'elle est à la fois un acte de fondation et un produit des circonstances, un coup de force contre un état de choses multiséculaire et l'instauration irrésistible d'un nouveau monde, ce qui lui donne aussi une formidable efficacité symbolique2. La 1. J Rancière, Les noms de l'Histoire. Essai de poétique du savoir, Pans, Le Seuil, 1992, p 22. 2 M Gauchet, La Révolution des droits de l'homme, Paris, NRF, 1989 De nombreux matériaux sont rassemblés dans L'an I des droits de l'homme, textes réunis par A de Baecque, Pans, CNRS. 1988 , Les déclarations des droits de l'homme de 1789, textes réunis et présentés par С Fauré, Paris, Payot, 1988 , La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, présentée par S. Rials, Pans, Hachette, 1988. 48 fonction stratégique de l'article premier, entre l'exposition solennelle des droits naturels, « inaliénables et sacrés de l'homme » dans le préambule, et leur enumeration à l'article 2, comme but de toute association politique, est d'énoncer sous une forme elliptique — « libres et égaux en droits » — le lien dialectique entre droits de l'homme et droits du citoyen et la valeur de signe des principes constituants. L'article a inspiré à Etienne Balibar le néologisme «volontairement baroque» ď égaliberté1 . On ne peut cependant pas dire que les deux principes aient même valeur. Ils sont exprimés par l'adjectif et au pluriel, et concernent les rapports des hommes entre eux. Mais l'ordre des termes ne peut être interverti ; le deuxième terme du couple est l'expression égaux en droits. Une égalité des droits qui consacre la reconnaissance de l'individu et de sa dignité, et qui est aussi l'égalité des citoyens dans le cadre de la nation, des sujets de droit définis par la loi. La notion d'égalité des droits comme fondement de la citoyenneté, si elle gomme les contenus absolus (du droit naturel) ou descriptibles (l'égalité de fait), est une condition préalable et s'inscrit dans la dynamique des principes constituants, qui superpose effet de vérité et effet de droit. Avec la Déclaration, l'articulation de l'égalité des droits à la liberté entre dans le projet constitutionnel et traduit la confiance des hommes de 1789 dans la raison souveraine des législateurs, pour concrétiser les impératifs du droit naturel sous la médiation de la loi. Cette entente révolutionnaire, entre inspiration rousseauiste et perspective jusnaturaliste, ouvre en les dépassant sur le plan des principes toutes les tensions à venir entre liberté et égalité des droits. Le moment révolutionnaire engage l'avenir dans un processus démocratique, mais il est aussi le point d'ancrage d'une tâche politique infinie et d'une lutte permanente pour l'égalité des droits entendue comme la condition nécessaire à la conservation de la liberté. S'il est vrai que la démocratie demeure au centre du discours et de l'espace politique aujourd'hui, comment cerner plus précisément les formulations qui inspiraient le débat révolutionnaire ? 1. É Balibar, « Droits de l'homme et droits du citoyen la dialectique moderne de l'égalité et de la liberté », égalité / inégalité, Acta Philosophica, 9, Urbmo, 1990, p 23-42 , repris dans Actuel Marx, 8, 1990 D'un point de vue historique et d'analyse du discours, ci notre contribution « Libres et égaux en droits », Des mots en liberté. Mélanges Maurice Tournier, ENS Éditions, 1998, p. 277-284. 49 La démocratie au 18e siècle, forme idéale ou projet de société ? Une recherche sur la fréquence du mot démocratie dans la base Frantext1 nous confirme l'importance grandissante du concept du 18e au 20e siècle : on trouve 258 occurrences jusqu'à la Révolution (dont 256 de 1740 à 1788), 91 emplois du mot dans les textes de la Révolution, 621 au 19e et plus du double au 20e siècle. La progression est assez comparable pour l'adjectif démocratique, devenu très courant de nos jours, mais qui est aussi très galvaudé par les partis2. uploads/S4/ monnier-raymonde-quot-democratie-et-monnier-revolution-francaise-mots-59-1999.pdf

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  • Publié le Mai 05, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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