« L'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte à l'aune des recommandati

« L'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte à l'aune des recommandations du Conseil de l'Europe et des bonnes pratiques étrangères ». Résumé Au moment même où la France se dotait d'une législation parcellaire en matière d'alerte, le Conseil de l’Europe publiait, le 30 avril 2014, sa recommandation CM/Rec(2014)7 sur la protection des lanceurs d'alerte. Cette recommandation renforce l'identité juridique du lancement d'alerte au sein de la « grande Europe » en adoptant une approche normative complète et cohérente du phénomène du whistleblowing, fondée sur une identification des « bonnes pratiques » nationales et internationales en la matière. Surtout, cette recommandation vise à harmoniser et parfaire l'efficacité des législations protectrices des lanceurs d'alerte au sein des États-Membres du Conseil de l'Europe. La présente recherche a été conduite à analyser l’efficacité de la protection des lanceurs d’alerte en droit interne francais à l’aune de ces recommandations. Il en ressort qu’en dépit de progrès indéniables, le droit interne et en particulier la loi « Sapin 2 » souffre de critiques tant en raison des insuffisances du champ de protection des lanceurs d’alerte que de l’insuffisance des mécanismes de protection et du caractère déséquilibré de l’articulation en droit des lanceurs d’alerte d’une part, et secrets protégés et obligations de confidentialité d’autre part ` Université Paris Nanterre Centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF), équipe du Centre de théorie et d’analyse du droit (CTAD), UMR 7074 « L'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte à l'aune des recommandations du Conseil de l'Europe et des bonnes pratiques étrangères ». Note de synthèse Convention de recherche n°216.03.21.35 Avec la Mission de recherche Droit & justice Par Jean-Philippe Foegle & Serge Slama, CREDOF-CTAD Juin 2019 * I. Contexte et méthodologie Le lanceur d'alerte, ou, en langue anglaise, Whistleblower, est défini par l'assemblée parlementaire du conseil de l'Europe comme «toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé »1. Longtemps cantonnée à l'aire juridique et culturelle Nord-Américaine, le concept s'est diffusé à de très nombreux ordres juridiques2. En France, le débat sur la protection des « lanceurs d'alerte » a été plus tardif et s'est posé dans des termes différents, la France ayant été longtemps marquée par une forte réticence à protéger les lanceurs d'alerte, vus comme de simples délateurs3. Cet état du droit tend à évoluer, et, depuis 2007, nombre de dispositions protectrices des lanceurs d'alerte ont été adoptées dans le domaine de la lutte contre la corruption dans le secteur privé (Loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, article 9), de la sécurité des médicaments (Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, article 43), des risques pour l'environnement et la santé publique (Loi n°2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, article 11), des conflits d'intérêt (Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, article 25), des délits et crimes (Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et la grande criminalité économique et financière article 35) et, plus récemment, dans le secteur du renseignement (Loi n°2015-511 du 5 mai 2015 relative au renseignement, article 3bis.). Toutefois, de l'énonciation de principes et de bonnes pratiques à la mise en œuvre d'une protection juridique effective, le chemin est long et semé d'embûches et ce mouvement se fait parfois avec bien des circonvolutions. La preuve en est : aussi bien au sein de l’Union européenne, avec la très controversée directive dite « secret d’affaires »4, qu’en France, avec la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 1Résolution CM/Rec(2014)7 §1. Nous adopterons cette définition du lanceur d'alerte aux fins de la présente étude. 2 David Banisar,“Whistleblowing: International Standards and Developments”, Corruption and transparency : debating the frontiers between State, Market and the society, Sandoval, ed., World Bank-Institute for Social Research, UNAM, Washington, DC, 2011 3 Ainsi, les prémisses de l’introduction de la notion en France par la médiation des chartes d’entreprises avaient suscité d’importantes polémiques, tandis que la CNIL émettait, elle, des réserves sur les futurs systèmes de « whistleblowing » au sein des entreprises 4 Directive du Parlement et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l’obtention, l'utilisation et la divulgation illicites du 8 juin 2012, JO C 226 du relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires5 et la loi « Sapin II » du 9 décembre 20166 dessinent des statuts de lanceurs d’alerte en demi-teinte et bien en deçà du standard international. On peut néanmoins voir des évolutions positives avec d’une part l’adoption de la loi organique du 9 décembre 2016 donnant des compétences au Défenseur des droits dans le domaine de la protection des lanceurs d’alerte7 et d’autre part la publication en février 2016 d'un rapport du Conseil d'Etat sur le lancement d'alerte, contenant de nombreuses pistes de réforme du statut juridique du lanceur d'alerte (15 propositions concrètes), même si celles-ci ne se sont pas encore traduites par des évolutions positives de sa jurisprudence qui demeure, pour le moment assez peu protectrice, surtout comparé aux récentes évolutions de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a étendu la protection du lanceur d’alerte en droit du travail8 en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme9. Constitue également une évolution favorable, cette fois-ci du droit luxembourgeois, la décision rendue le 15 mars 2017 par la Cour d’appel du Grand-Duché du Luxembourg dans l’affaire Luxleak. En effet si elle confirme la condamnation d’Antoine Delcourt, elle ramène la peine à 6 mois de prison avec sursis et 1500 € d’amende. Elle acquitte par ailleurs David Halet et le journaliste Edouard Perrin. Mais surtout, à l’aune de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, elle considère que « le non-respect du secret professionnel par Antoine Deltour [était] dès lors justifié en raison de son statut de lanceur d’alerte ». Il est reconnu que la divulgation des informations avait un motif d’inétrêt général. S’il est condamné c’est, assez curieusement, en raison du « vol » des documents confidentiels à la société Price waterhouse Coopers, après une introduction frauduleuse dans le système informatique, car au moment de cette soustraction frauduleuse il n’agissait pas dans l’intérêt général avec l’intention de lancer une alerte. 16.7.2014, p. 48. V. néanmoins pour d’autres projets de statut en cours d’examen : Parlement européen, Rapport sur le rôle des lanceurs d’alerte dans la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, (2016/2055(INI)) du 20 janvier 2017 et plus largement Tania Racho, « La possibilité d'un encadrement juridique des lanceurs d'alerte par l'Union européenne », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 10 | 2016, mis en ligne le 28 juin 2016. URL : http://revdh.revues.org/2344 ; DOI : 10.4000/revdh.2344 5 Samuel Dyens, « Le lanceur d'alerte dans la loi « Déontologie », un traitement toujours insuffisant », AJ Collectivités Territoriales 2016 p.30. 6 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique publiée, JORF du 10 décembre 2016. 7 Loi organique n° 2016-1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, JORF du 10 décembre 2016. 8 Cour cass., soc., n° 1309 du 30 juin 2016, 15-10.557. V. le communiqué https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/ protection_lanceurs_alerte_30.06.16_34751.html et le commentaire Patrice Adam, « Mon traitre, ce héros », Rev. trav. 2016. 566 9 Cour EDH 18 octobre 2011 Sosinowska n°10247/09 ; Cour EDH 12 février 2008, Guja c/Moldavie, n°/04. Pour un commentaire critique à l’aune de la jurisprudence de la Cour EDH et de certains oublis de la cour de cassation : J-P. Marguénaud, J. Mouly, « La protection européenne des salariés lanceurs d'alerte par la Cour de cassation : un troublant exemple d'improvisation », D. 2016. 1740 Le lancement d'alerte, autrefois marqué par une insuffisance d'encadrement juridique, est désormais marqué par un foisonnement de normes sans réelle mise en cohérence. Cette multiplication des normes relatives au lancement d'alerte n'a pas pour autant renforcé l'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte. En effet nombre de chercheurs et d'organisations de la société civile10 soulignent que cette profusion est source d'incohérences et de redondances nuisibles à l'efficacité de la protection juridique des lanceurs d'alerte, et que le droit actuel reste en outre largement incomplet. Au moment même où la France se dotait d'une législation parcellaire en matière d'alerte, le Conseil de l’Europe publiait, le 30 avril 2014, sa recommandation CM/Rec(2014)7 sur la protection des lanceurs d'alerte. Cette recommandation renforce l'identité juridique du lancement d'alerte au sein de la « grande Europe » en adoptant une approche normative complète et cohérente du phénomène du uploads/S4/ note-de-synthese-gip-justice.pdf

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  • Publié le Mar 20, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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