RAPPORT FRANÇAIS La révision du contrat par Denis MAZEAUD Professeur à l’Univer

RAPPORT FRANÇAIS La révision du contrat par Denis MAZEAUD Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Secrétaire général de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française 1. « Je maintiendrai »… Pourquoi aborder ce thème aussi somptueux que vertigineux de la révision du contrat par la devise gravée sur la lame de l’épée d’académicien de mon défunt grand-père et collègue, Henri Mazeaud qui, habitué à mes facéties, ne m’en aurait probablement pas voulu d’évoquer sa mémoire en guise d’introduction dans cette salle des Conseils dans laquelle il donna sans doute jadis quelques leçons ? Sans doute parce que cette devise patriarcale semble, en tout cas à première vue, parfaitement exprimer la lettre et refléter l’esprit du droit français sur cette question existentielle de notre droit des contrats. Dans un premier mouvement, en effet, on ne peut manquer de relever l’hostilité qu’a toujours provoquée l’idée même de révision du contrat dans la communauté juridique française, viscéralement attachée à une vision du contrat placé sous le double sceau de l’intangibilité et de l’intemporalité. Qu’on en juge plutôt à travers ces quelques témoignages d’hier et d’aujourd’hui, glanés ici et là ! 2. Hostilité doctrinale, d’abord, avec ces mots de Niboyet prononcés dans le rapport général1 qu’il avait présenté, voici plus d’un demi-siècle, lors d’une Semaine internationale du droit, dont Henri Capitant fût « l’inspirateur » et « « l’âme »2, consacrée à « La révision des contrats par le juge ». Pour vanter les mérites du droit français réfractaire à la révision judiciaire et attaché à « la foi des contrats », Niboyet affirmait, en maniant la métaphore militaire, « La règle pacta sunt servanda reste (…) un rempart inviolable (…). Les individus doivent souffrir pour leurs 1 « La révision des contrats par le juge, rapport général », in Rapports préparatoires à la semaine internationale de droit, Société de législation comparée, p.1 et s. 2 J.-P. NIBOYET, p.1. LE CONTRAT 554 engagements, et au besoin disparaître s’ils sont insuffisants. C’est la loi de l’honneur qui le veut ainsi (…). Tenir! N’est-ce pas pour le contractant une formule qui sert l’intérêt social au moins autant que la trop libre révision du contrat ? Tant que le législateur, comme le chef responsable d’une armée, ordonne aux contractants de tenir, il y va de l’honneur de leur vie de ne pas faillir à leurs engagements quoiqu’il puisse leur en coûter »3. L’honneur d’un contractant… Telle est donc la valeur qui doit inéluctablement conduire au maintien du contrat et à proscrire sa révision. On nous répliquera que le propos date un peu et qu’avec le temps la doctrine s’est convertie à la révision du contrat, comme le révèle par exemple le nombre d’auteurs contemporains qui, quelle que soit la chapelle contractuelle fréquentée, plaident en faveur de la révision judiciaire pour imprévision. Qu’on ne s’y trompe pourtant pas, le discours doctrinal reste empreint d’une défiance certaine à l’égard de toute modification du contenu du contrat en dépit du déséquilibre qui l’affecte ou de l’injustice qu’il consacre, ainsi que le révèle un épisode récent du dernier Congrès des notaires, lequel permet aussi de constater que ces praticiens, fussent-ils les magistrats du contrat, privilégient, eux aussi, le maintien du contrat sur sa révision ! Attachement de la pratique à l’immutabilité du contrat qui s’est manifestée, très clairement, à travers le rejet d’un vœu, proposé par la deuxième commission de ce Congrès, chargée d’explorer « Le nouveau monde contractuel ». En bref, il s’agissait d’ajouter à l’article 1134 du Code civil une disposition imposant aux contractants l’obligation de renégocier leur contrat en cas de bouleversement profond de son économie, dû à des événements imprévisibles et indépendants de la volonté des contractants, et survenu lors de son exécution. A priori, pas de quoi ébranler les colonnes du temple contractuel, puisque cette modification de la loi n’aurait pas engendré une évolution de notre droit mais aurait simplement emporté la consécration d’une jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation et, surtout, n’aurait pas provoqué pas la chute du canal de Craponne, puisqu’il n’était pas question de tolérer la révision judiciaire pour imprévision mais seulement d’en suggérer la révision conventionnelle. C’était compter sans la vigilance d’un universitaire, à juste titre très écouté par la pratique notariale, qui s’écria : « Les défenseurs de la sécurité juridique ont inventé la machine à faire sauter le contrat »4. On aurait aimé lui répliquer que, depuis le 3 novembre 19925, date à laquelle la chambre commerciale de la Cour de cassation a inauguré, au nom de la bonne foi, une telle obligation de renégocier, on a beau tendre l’oreille avec la dernière attention, aucun bruit sourd et funeste d’explosion contractuelle n’est encore à déplorer, mais la défense du maintien du contrat coûte que coûte et de l’immobilisme contractuel a fait 3 Ibid., p.12. 4 Ph. MALAURIE. Cet « épisode » du Congrès est relaté in Droit & Patrimoine, juin 2004. 5 Cass. com., 3 nov. 1992 : Defrénois, 1993, 1377, obs. J.-L. AUBERT ; JCP 1993.II.22164, obs. G. VIRASSAMY ; RTD civ. 1993, 124, obs. J. MESTRE. RAPPORT FRANÇAIS 555 mouche. En effet, et le fait est paraît-il assez exceptionnel pour être souligné, cette proposition de vœu a été rejetée par le Congrès. Autant dire que la pratique notariale conjugue au présent, voire à l’impératif, la devise qui sert de trame à ce propos introductif ! 3. Quant à la jurisprudence, et en particulier la Cour de cassation, l’observation de certaines décisions récentes, plus ou moins spectaculaires, semble témoigner qu’elle aussi sacrifie volontiers au culte du maintien du contrat. « Ce qui est dit est dit ! Ce qui est dit est dû ! ». L’enfantine comptine assénée à l’encontre de ceux qui, dans les cours de récréation, se dérobent à leurs juvéniles promesses, se mue devant la Cour de cassation en une maxime rigide en vertu de laquelle le lien contractuel ne peut, en dépit de la rigueur injuste qu’il impose ou de l’excès inadmissible qu’il inflige, être desserré, recomposé, renoué. Pour illustrer l’attachement de la Cour au principe de l’intangibilité du contrat, on évoquera deux arrêts rendus ces dernières années qui, parmi d’autres, nous semblent significatifs du peu de crédit que l’on accorde quai de l’Horloge aux discours doctrinaux sur les mérites de la flexibilité du contrat. Dans le premier d’entre eux, rendu le 7 décembre 20046 par sa première chambre civile, la Cour de cassation avait à répondre à un moyen dans lequel le cessionnaire des parts d’un office notarial reprochait à une cour d’appel d’avoir refusé de réduire le prix de cession. A cette fin, le demandeur au pourvoi se prévalait d’une des exceptions traditionnelles au refus de la prise en compte de la lésion en droit français ; exception prétorienne dont on trouve trace dans tous les ouvrages de droit français des obligations et aux termes de laquelle, depuis près d’un siècle, la Cour de cassation affirmait que « les cessions d’office ministériels constituent des contrats sui generis intéressant l’ordre public, lequel exige que le prix des offices représente leur valeur exacte, (dès lors) il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement s’il y a exagération dans le prix et dans quelle mesure la réduction doit être opérée ». Mal lui en a pris puisque la Cour de cassation a choisi de revirer en décidant que l’arrêt rendu par les juges du fond « retient, à bon droit, que s’appliquent aux cessions d’offices publics ou ministériels les règles de droit commun de la vente mobilière qui n’admettent pas la révision du prix ». Exit donc une des rares hypothèses dans laquelle la révision d’un contrat lésionnaire avait trouvé droit de cité dans notre droit contractuel. Avec le second arrêt qu’il nous semble intéressant d’évoquer, la Cour de cassation ne rompt pas brutalement avec une solution traditionnelle mais donne un certain coup d’arrêt à une forme de révision dont certains auteurs soutenaient pourtant qu’elle connaissait un remarquable essor, à savoir la réfaction du contrat sous la forme d’une réduction du prix en cas d’inexécution partielle de l’obligation de délivrance. Ainsi alors que beaucoup d’auteurs soulignaient le succès de ce mode de révision judiciaire du contrat et sa propension à franchir les 6 Arrêt n°1787. LE CONTRAT 556 frontières de la vente commerciale7, à l’intérieur desquelles une analyse classique la cantonnait, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 29 janvier 20038, est venue tempérer leur enthousiasme en rappelant fermement qu’en matière de vente civile, hors les cas expressément prévus dans le Code civil, l’inexécution partielle de l’obligation de délivrance ne peut pas donner lieu à une révision judiciaire du prix. De là à prétendre que la Cour de cassation reste un gardien extrêmement vigilant des valeurs contractuelles les plus traditionnelles et qu’elle graverait volontiers sur le glaive dont elle est le dépositaire la devise inscrite sur l’épée grand paternelle, il y a un pas qui peut sans doute être franchi. 4. Pour en terminer avec ce fastidieux inventaire du piètre succès rencontré par la révision dans uploads/S4/ revision-du-contrat-rapport-francais-d-mazeaud 1 .pdf

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  • Publié le Dec 30, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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