RTD Civ. RTD Civ. 2007 p.123 La Cour de cassation consacre en Assemblée plénièr

RTD Civ. RTD Civ. 2007 p.123 La Cour de cassation consacre en Assemblée plénière le principe d'identité des fautes contractuelle et délictuelle (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, Loubeyre et autresc/ SARL Myr'Ho et autre, n° 05-13.255, P+B+R+I, Bull. civ. ass. plén. n° 9 ; D. 2006. 2825, note G. Viney ; JCP 2006. II. 10181, avis Gariazzo et note M. Billiau ; RCA 2006. études 17, L. Bloch) Patrice Jourdain, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) Cet arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation était attendu. Non seulement les différentes chambres de la Haute juridiction étaient divisées sur la question de savoir si le tiers à un contrat peut invoquer, à titre de faute délictuelle, la seule faute contractuelle d'un contractant, mais encore elles étaient loin d'être constantes dans la réponse apportée à cette question. On rappellera simplement que, dans le dernier état de la jurisprudence, la première chambre civile s'opposait frontalement à la chambre commerciale, chacune de ces formations exprimant un courant doctrinal distinct. Tandis que la première chambre se montrait favorable à un principe d'identité des fautes contractuelle et délictuelle en affirmant que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir d'autre preuve à rapporter » (Civ. 1re, 18 juill. 2000, RTD civ. 2001. 146 ; 13 févr. 2001, RTD civ. 2001. 367 ; adde, Civ. 1re, 18 mai 2004, RTD civ. 2004. 516 ), bien qu'elle ait auparavant jugé autrement (V. encore récemment, Civ. 1 re, 16 déc. 1997, RCA 1998. comm. 98), la chambre commerciale n'autorisait les tiers à se prévaloir, à titre de faute délictuelle, d'un manquement contractuel qu'à la condition qu'il constitue aussi la violation d'un devoir général de prudence et de diligence, conférant à la fois une certaine relativité à la faute contractuelle et une autonomie à la faute délictuelle (Com. 17 juin 1997, RTD civ. 1998. 113 ; 8 oct. 2002, RCA 2003. comm. 2 ; Defrénois, 2002. 863, obs. E. Savaux ; JCP 2003. I. 152, n° 3 s., obs. G. Viney ; 5 avr. 2005, RTD civ. 2005. 602 ), même si, là encore, on relève des arrêts dissidents (Com. 5 mars 2002, n° 98-21.022). Quant aux deuxième et troisième chambres civiles, se gardant de prendre une position de principe, elles se contentaient d'apprécier au cas par cas si la faute contractuelle invoquée représentait une faute délictuelle. Avec l'arrêt d'Assemblée plénière du 6 octobre 2006, la Cour de cassation donne raison à la première chambre civile. En l'espèce, un immeuble avait été donné à bail commercial à une société qui avait confié la location-gérance de son fonds de commerce à un tiers. Celui-ci imputant au bailleur un défaut d'entretien des locaux, a assigné le bailleur en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d'une indemnité provisionnelle en réparation d'un préjudice d'exploitation. Une cour d'appel ayant accueilli la demande, le pourvoi lui reprochait une violation de l'article 1382 du code civil faute d'avoir caractérisé une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel. Il est rejeté au motif de principe suivant : « Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Or la cour d'appel ayant relevé divers manquements contractuels, tels que accès à l'immeuble loué non entretenus, portail d'entrée condamné, monte-charge ne fonctionnant pas, et relevé qu'il en résultait une impossibilité d'utiliser normalement les locaux loués, elle avait, selon la Cour de cassation, « caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du fonds de commerce exploité dans les locaux loués », justifiant ainsi sa décision. Il n'est pas douteux, selon nous, que l'Assemblée plénière ait entendu consacrer le principe d'identité des fautes contractuelle et délictuelle, bien qu'elle ne reprenne pas dans son intégralité le motif de principe de la première chambre civile reproduit ci-dessus, l'expression « sans avoir d'autre preuve à rapporter » ayant disparu. Contrairement à ce qui a été suggéré par l'un des commentateurs de l'arrêt (L. Bloch, étude préc.), nous ne pensons pas que la Cour de cassation ait voulu laisser une place à la relativité de la faute contractuelle, ne retenant en l'espèce la faute du bailleur sur un fondement délictuel que parce que le manquement contractuel coïncidait avec une faute délictuelle. Les fautes reprochées (défauts d'entretien) s'analysaient en la violation d'obligations purement contractuelles qui ne profitent normalement qu'au preneur, le bailleur n'ayant pas de devoir d'entretien des lieux loués à l'égard des tiers. Admettre que des tiers puissent invoquer ces défauts d'entretien sur le terrain délictuel implique à notre sens une pleine assimilation des fautes contractuelle et délictuelle, la seconde se déduisant de la première. Quant à la suppression du membre de phrase dispensant les tiers de rapporter d'autre preuve, elle semble s'expliquer simplement par la volonté d'exiger la preuve que le manquement contractuel ait causé un dommage au tiers qui l'invoque, ainsi que le suggère l'avocat général Gariazzo dans son avis (préc. n° 8, in fine). Pour autant, la solution retenue ici n'est pas à l'abri de la critique. Il est d'abord présomptueux d'admettre qu'un manquement contractuel constitue toujours une faute délictuelle. La faute contractuelle résulte de l'inexécution d'une obligation née du contrat qui impose au débiteur une prestation déterminée au profit du créancier. S'il peut arriver que le contrat impose des obligations de portée générale susceptibles de profiter aux tiers ou à certains tiers, notamment en imposant un comportement protecteur de leurs intérêts en même temps que ceux du créancier - et cela est plus fréquent aujourd'hui avec l'introduction dans le contrat d'obligations de sécurité et de conseil -, la plupart des obligations contractuelles, et en tout cas celles qui sont caractéristiques du contrat, ne sont destinées qu'à la satisfaction du créancier à travers l'engagement d'exécuter une prestation contractuellement définie. Il est alors excessif d'identifier le manquement à de telles obligations à la violation des devoirs généraux de conduite sociale dédiés à la protection de tous. Une distinction semble en effet devoir s'imposer parmi les différentes obligations nées du contrat entre celles dont la portée est limitée au cercle étroit des parties contractantes et celles dont l'objet et le rayonnement sont plus larges parce qu'elles imposent aux parties un comportement (prudence, diligence, loyauté, bonne foi...). Seule la violation des secondes peut correspondre à une faute au sens de l'article 1382, la faute contractuelle se doublant alors d'une faute délictuelle. Mais le pire n'est pas là ; il tient aux conséquences illogiques et inopportunes de la solution consacrée. Elle conduit en effet à autoriser les tiers à invoquer un manquement contractuel sans offrir au débiteur la faculté de leur opposer les stipulations et le régime du contrat. Pour justifier cette attitude de la jurisprudence, on se réfère habituellement à la distinction de l'« opposabilité » du contrat et de son « effet relatif ». L'opposabilité permettrait aux tiers d'opposer au débiteur ses propres obligations et de se prévaloir de leur manquement, tandis que l'effet relatif interdirait au débiteur, non seulement d'obliger les tiers mais encore de leur opposer la moindre exception tirée du contrat. Mais il y a là une bonne part d'artifice et de verbalisme. Quelle différence y a-t-il en effet entre l'opposabilité du contrat par les tiers et ce qui, sous couvert d'effet relatif, n'est autre qu'une opposabilité du contrat aux tiers ? Pourquoi la première serait autorisée et la seconde interdite ? Ne postulent-elles pas l'une et l'autre le droit d'invoquer le contrat ? En tout cas, si l'opposabilité du contrat par les tiers est permise, une élémentaire exigence de cohérence imposerait d'autoriser parallèlement le débiteur à opposer aux tiers le contrat avec ses stipulations et ses règles, en lui permettant d'invoquer d'éventuelles restrictions conventionnelles ou légales de responsabilité ou encore une clause attributive de compétence, une courte prescription, etc. Décider le contraire, comme le fait actuellement la jurisprudence, conduit à conférer à la victime un avantage injustifié par rapport au créancier, celui d'opposer le contrat sans se le voir opposer, et à bafouer les prévisions du débiteur qui s'attend légitimement à n'être tenu pour des fautes strictement contractuelles que dans les termes du contrat. N'est-il pas d'ailleurs choquant d'autoriser les tiers à se prévaloir, à titre de faute délictuelle, du manquement à une obligation contractuelle de résultat sans avoir à prouver la moindre imprudence ou négligence (V. Civ. 1re, 13 févr. 2001, préc.), tout en leur permettant d'éluder les règles contractuelles qui seraient de nature à restreindre leurs droits ? Cette incohérence et cette injustice, que couvre l'Assemblée plénière, résultent essentiellement du fait que l'on continue à placer la victime sur le terrain délictuel tout en lui permettant d'invoquer une faute contractuelle. Dès lors, ne conviendrait-il pas d'envisager la responsabilité sur un fondement contractuel pour éviter les inconvénients de la solution délictuelle ? Ne pourrait-on en effet admettre que le manquement au contrat, même uploads/S4/ rtd-civ-2007-123.pdf

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  • Publié le Oct 23, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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