LE DROIT PEUT SAUVER LA NATURE Michel Serres Le Seuil | Pouvoirs 2008/4 - n° 12
LE DROIT PEUT SAUVER LA NATURE Michel Serres Le Seuil | Pouvoirs 2008/4 - n° 127 pages 5 à 12 ISSN 0152-0768 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2008-4-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Serres Michel , « Le droit peut sauver la nature » , Pouvoirs, 2008/4 n° 127, p. 5-12. DOI : 10.3917/pouv.127.0005 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. 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Dans Le Contrat naturel en 1990 puis dans Le Mal propre en 2008, vous traitez des rapports du droit et de la protection de la nature. C’est là une approche originale pour un philosophe. Michel Serres. Dans Le Contrat naturel, je posais la question de savoir qui était, dans l’histoire générale du droit, sujet de droit. Dans l’Anti- quité n’étaient pas sujets de droit ceux pour qui il fallait se porter aval. Les enfants, les vieillards, les esclaves, les zélotes, etc. Il y avait assez peu de sujets de droit : les citoyens romains ou les citoyens athéniens. D’où la généralisation ou l’extension de la notion de sujet de droit. La Déclaration de 1789 parachève cette histoire. Tout le monde est sujet de droit. P. La fin momentanée ? MS. Oui, la fin momentanée. La seule théorie que j’ai développée dans Le Contrat naturel – où je n’ai jamais employé le mot « écologie » –, c’est qu’il serait bon de faire un pas de plus et de dire que la nature serait ce sujet de droit avec lequel on passerait ce fameux contrat. Tout le monde aussitôt a crié haro sur « l’animiste » ! J’ai été complètement condamné. Aujourd’hui, quand on dit « pacte écologique », on ne dit guère plus que « contrat naturel ». Donc, effectivement, j’avais déjà confiance dans le droit. La démarche du contrat naturel était un peu analogue à celle de Rousseau dans le contrat social. Il est bien clair que, le contrat social, personne ne l’a jamais signé. C’est une condition quasi transcendantale. J’avais en gros dans la tête le même geste pour le rapport à la nature. Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris5 - - 193.51.85.60 - 21/08/2011 08h39. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris5 - - 193.51.85.60 - 21/08/2011 08h39. © Le Seuil E n t r e t i e n a v e c m i c h e l s e r r e s 6 Le mot « environnement » est un mot qui, philosophiquement, peut- être aussi juridiquement, dit le contraire de ce qu’il veut dire. Il implique que l’homme est au centre et que le reste est dans l’environ. Donc l’homme est déjà maître et possesseur ; par conséquent il n’y a plus de contrat possible. L’« environnement » est un très mauvais concept. Il est anthropocentriste. Tout mon effort dans Le Contrat naturel consistait à dire qu’il ne faut pas mettre l’homme au centre. P. La récente Charte de l’environnement s’inscrit dans votre théorie quand elle autorise la réparation des dommages écologiques à des biens communs qui n’appartiennent à personne, comme les oiseaux souillés par une marée noire. MS. Oui, c’est cela le contrat naturel. Tout se passe comme si l’oiseau en question était un quasi-sujet de droit. Ceci va se développer à l’avenir. Il y a déjà un mouvement en ce sens. Aux États-Unis, des procès sont faits avec comme plaignants, par exemple, le Parc de Yellowstone. Celui-ci est considéré comme un sujet de droit. Je souhaite beaucoup cette évolution. Cela fait partie du geste que j’ai fait il y a quinze ans dans Le Contrat naturel. P. Qu’apporte votre second livre Le Mal propre. Polluer pour s’appro- prier ? à cette réflexion sur le contrat naturel ? MS. Mon second livre recentre le problème, non plus sur le fonde- ment du droit, mais sur la question « quel droit ? ». Réponse « le droit de propriété ». Mon analyse consiste à décrire la conduite animale ; il suffit de regarder dans la rue. Les mammifères, les oiseaux pissent, laissent leur déjection pour définir leur niche écologique, leur habitat… Cela a une double fonction. D’une part, qu’on les laisse tranquilles à l’intérieur du lieu où ils se reproduisent, où ils copulent, où ils élèvent leurs petits, où ils dorment, où ils mangent… Bref, leur habitat. D’autre part, une fonc- tion d’exclusion par les odeurs à l’égard de toute personne qui voudrait s’engager au travers de cette frontière. Cette conduite animale pourrait nous entraîner à penser, avec autant de guillemets que l’on veut, un « droit naturel ». Ce droit naturel, je le perçois assez vite dès que je vois que les hommes agissent de même. Ainsi, si je vous invite à dîner et que je crache dans la salade, vous n’allez pas la manger. Il en va ainsi pour manger mais aussi pour Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris5 - - 193.51.85.60 - 21/08/2011 08h39. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris5 - - 193.51.85.60 - 21/08/2011 08h39. © Le Seuil L e d r o i t p e u t s a u v e r l a n a t u r e 7 habiter. Un hôtel est propre et, plus il est propre, plus il peut accueillir n’importe qui. Alors qu’au contraire si vous avez couché dans les draps ou sali les serviettes, j’aurais une certaine appréhension à faire mienne cette chambre. Cette salissure, c’est une appropriation. Du coup, le droit de propriété ne serait pas fondé sur des conventions pures et simples, comme on le croit depuis Rousseau (celui qui enclôt…), mais sur des pratiques animales que nous perpétuons. Cela ne veut pas dire que je suis pour le droit naturel parce que, par la suite, le droit refuse la nature et invente des conven- tions. Mais ma réflexion m’orientait peu à peu vers l’idée qu’il y avait un rapport entre pollution et appropriation. Donc le propre, c’est le sale. P. Vous posez ce rapport entre propriété et pollution, mais est-ce réversible ? Y a-t-il un rapport entre pollution et propriété ? Car on peut chercher à ce que la pollution soit faite chez autrui ou laissée chez lui : mettre la pollution chez l’autre. MS. Mais si vous mettez la pollution chez l’autre, vous l’excluez. Il y a deux fonctions de la pollution. Une centripète de propriété. L’autre centrifuge d’exclusion. P. Si la pollution et la propriété sont si liées, y a-t-il des modes d’or- ganisations politiques, plus ou moins communautaristes, qui favorise- raient la pollution et d’autres qui permettraient de la restreindre ? MS. Je ne suis pas complètement sûr de pouvoir répondre à cette ques- tion. Ce n’est pas directement mon objet. Je voulais lancer la discus- sion philosophique. Le symétrique du « mal propre », c’est le « bien commun ». Il y avait des « biens communs » autrefois : les prés qui étaient à tous dans les municipalités ou dans les communes. Le but que je pour- suivrais maintenant serait d’avoir une meilleure définition du « bien commun ». Qu’est-ce que serait le « bien commun » ? Les juristes et les politiques décideront quelles sont les organisations qui le favoriseraient au maximum. P. En droit contemporain, ce qui serait le plus proche serait l’Antarc- tique avec son statut particulier issu du traité de Washington. MS. Oui, exactement. Je souhaiterais profondément que ce type de convention soit adopté aujourd’hui pour l’Arctique. L’Arctique est en Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris5 - - 193.51.85.60 - 21/08/2011 08h39. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris5 - - 193.51.85.60 - 21/08/2011 08h39. © Le Seuil E n t r e t i e n a v e c m i c h e l s e r r e s 8 danger à cause du réchauffement climatique. Celui-ci va engendrer des lignes libres de navigation sur uploads/S4/ serres-droit-nature.pdf
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- Publié le Mai 21, 2022
- Catégorie Law / Droit
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