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HAL Id: hal-01691118 https://hal.parisnanterre.fr//hal-01691118 Submitted on 23 Jan 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La dénonciation, stade suprême ou perversion de la démocratie ? Danièle Lochak To cite this version: Danièle Lochak. La dénonciation, stade suprême ou perversion de la démocratie ?. L’Etat de droit. Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Dalloz, pp. 451-471, 1996, 2-247-02195-6. ￿hal-01691118￿ La dénonciation, stade suprême ou perversion de la démocratie ? par Danièle Lochak, Professeur à l'université de Paris X-Nanterre in L'Etat de droit, Mélanges en l'honneur de Guy Braibant, Dalloz 1996 Evoquer la dénonciation, c'est faire immédiatement surgir l'image de deux situations contras- tées, aussi intolérables l'une que l'autre. D'un côté la délation généralisée qui sévit à certaines époques ou dans certains régimes de telle façon que chacun, érigé en vigile de son prochain, est sommé de dénoncer les ennemis du peuple, de la révolution ou du prolétariat ; de l'autre la loi du silence, imposée par la terreur ou simplement acceptée par indifférence ou lâcheté, qui, assurant l'impunité à ceux qui bafouent les lois, engendre une autre forme d'oppression. Il s'agit là de deux situations extrêmes, certes, mais qui permettent de mieux comprendre ce qui se joue autour de la dénonciation jusque dans nos sociétés démocratiques relativement paci- fiées, l'acuité des interrogations qu'elle soulève, la fréquence des dilemmes auxquels elle expose. Faut-il, et jusqu'à quel point, encourager la dénonciation ? Faut-il au contraire la bannir absolu- ment et sous toutes ses formes ? Pour trancher, il ne suffit pas de se réfugier derrière une morale commode et univoque. A l'école, on le sait, les « rapporteurs » sont montrés du doigt par leurs camarades et plus généralement tout dénonciateur court le risque d'être stigmatisé comme « déla- teur », soupçonné d'être mû non pas par le souci du bien public mais par des motifs a priori mé- prisables, tels l'intérêt personnel ou la volonté de nuire. Mais « on ne rapporte pas », « on ne dé- nonce pas » sont des slogans trop simples. Car la dénonciation des crimes et des délits concourt à mieux assurer le respect des lois et le cas échéant la protection des victimes : n'apparaît-elle pas, dans cette perspective, comme un acte de solidarité, qu'on peut légitimement être tenté d'ériger en obligation civique ? Et si les règles qui ont été violées, adoptées selon une procédure dé- mocratique, font l'objet d'un consensus, pourquoi récuserait-on catégoriquement un comporte- ment qui concourt au renforcement de l'Etat de droit ? Mais ce raisonnement à son tour est trop simple : car si la dénonciation permet que force reste à la loi, c'est par le biais de la répression, ou - ce qui revient au même - de la dissuasion résultant de la crainte d'être dénoncé ; et en transfor- mant celui qui s'y livre en agent de surveillance et de répression, la dénonciation engendre d'autres risques pour la liberté individuelle. Il faut donc mettre en balance les avantages que la société retire de la dénonciation du crime ou du délit avec les inconvénients qu'il y a à transfor- mer chaque membre de la société en vigile de ses pairs et instaurer une surveillance mutuelle de tous par tous. Pratique sociale spontanée, la dénonciation est aussi une pratique encadrée par le droit, ce qui justifie qu'on l'aborde par le biais de son encadrement juridique. L'approche se révèle d'autant plus féconde que l'évolution du droit positif constitue un baromètre assez fidèle des hésitations du corps social face à la dénonciation. La place qui lui est accordée dans une société donnée est étroitement dépendante des fondements de la solidarité sociale et constitue en retour un bon indi- cateur de la nature du lien social. Quant au droit positif français actuel - auquel, faute de place, mais aussi de temps pour effectuer les recherches comparatives nécessaires, nous limiterons nos observations - il reflète bien l'ambivalence des sentiments qu'inspire un comportement qui, quoique reconnu et institutionnalisé par le droit, reste malgré tout entouré d'une certaine mé- fiance ; une méfiance qui a toutefois tendance à s'atténuer, si l'on en juge par la multiplication des textes imposant un devoir de révélation et l'allégement corrélatif de l'obligation de se taire impo- sée à ceux que lie le secret professionnel. 2 Statut de la dénonciation et nature du lien social Le droit de la dénonciation, relevait un pénaliste connu1, peut difficilement être séparé du substratum philosophique et politique sur lequel repose l'organisation de l'Etat lui-même. Plus que le régime politique au sens strict, c'est la façon de penser le lien social qui est déterminante : de sorte que ligne de partage passe moins au départ entre les démocraties et les régimes autori- taires qu'entre les sociétés de type holiste et les sociétés individualistes2. Mais au sein même de ces dernières, l'opprobre qui entourait traditionnellement la dénonciation s'est atténué à mesure que l'individualisme libéral, confronté aux exigences nouvelles de la solidarité… et de la répres- sion, était amené à transiger avec ses principes originels. La fonction centrale de la dénonciation dans les sociétés holistes Dans ces sociétés, où l'intérêt de la collectivité prévaut sur l'intérêt de ses membres et où la notion de liberté individuelle, telle que nous l'entendons aujourd'hui, est inconnue ou récusée, la dénonciation est une façon pour chacun d'œuvrer en vue du bien collectif. On ne reviendra pas ici longuement sur l'expérience bien connue des régimes totalitaires qui ont encouragé cette pratique jusque dans ses conséquences les plus intolérables ; en revanche, l'expérience des cités antiques mérite qu'on s'y attarde un peu plus, notamment parce qu'elle montre que démocratie et dénon- ciation ne sont pas nécessairement antinomiques. La variante totalitaire : un acte de vigilance politique Dans les régimes totalitaires et, de façon plus générale, dans toutes les circonstances où le pouvoir a besoin, pour asseoir son emprise sur la population, de la coopération de tous, la dénon- ciation apparaît essentiellement comme un acte de vigilance politique. Il s'agit moins de dénoncer les délinquants de droit commun que d'aider à repérer les "déviants" : les hérétiques3, les traîtres à la révolution, les ennemis du peuple… Dans les pays communistes, chacun était censé participer à la lutte pour l'élimination de l'en- nemi de classe et l'édification du socialisme, et la dénonciation était considérée comme une des formes de cette participation4. Le premier code pénal soviétique de 1922 prévoyait une peine d'emprisonnement pour la non-dénonciation des crimes politiques. Sous Staline, la non- dénonciation d'un délit contre-révolutionnaire fut érigée en crime, tandis que la loi astreignait une longue liste de personnes - gérants d'établissements publics, garçons de restaurants, personnel 1André Vitu, "La collaboration des personnes privées à l'administration de la justice criminelle française", Rev. de sc. crim. 1956, p. 675. 2On se réfère ici à l'opposition, systématisée par Louis Dumont, entre les conceptions holistes ou organiques, domi- nantes jusqu'à la Renaissance, qui accordent la primauté au corps social dans son ensemble, dont les hommes ne sont que les rouages, et les conceptions individualistes ou mécaniques, caractéristiques de l'époque moderne - mais re- mises en cause par les courants traditionnalistes et les idéologies totalitaires -, qui pensent la société comme une as- sociation d'individus autonomes qui sont à eux-mêmes leur propre fin. Voir par exemple Homo hierarchicus, Galli- mard, 1966, rééd. Coll. Tel, 1979, p. 23. 3« Dénoncer les crimes d'autrui vaut mieux que les cacher. Celui qui accuse prend en main la sauvegarde du salut public », lit-on dans le Dictionnaire des Inquisiteurs de 1494 (cité par Michel Marcus, "Pour mieux t'écouter mon enfant", in La délation, Revue Autrement n° 94, 1987, rééd. Editions Autrement, Mutations/Poche, 1992. 4A. Vitu, op. cit. 3 dirigeant des fabriques, personnel administratif des kolkhoz et sovkhoz, conseillers des syndicats, agents politiques de l'armée, capitaines de navires… - à dénoncer crimes et délits5. La variante démocratique : une forme de participation des citoyens à la justice Bien différente est la fonction remplie par la dénonciation à Athènes et à Rome où, dans un cadre démocratique, celle-ci a fonctionné, pour reprendre l'expression d'un historien du droit, « comme une donnée normale de la vie civique »6. L'exemple d'Athènes est particulièrement significatif, dans la mesure où l'institutionnalisation de la dénonciation est concomitante de la volonté de démocratiser la justice. C'est Solon, en effet, qui, à la fin du VIe siècle av. J.-C., pour éviter que certaines victimes ne restent sans défense, décide que chaque citoyen pourra devenir accusateur et intenter une action en justice pour une infraction dont il n'est pas lui-même la victime directe, l'idée sous-jacente étant que toute la col- lectivité est concernée par les crimes et délits. Dans uploads/S4/lochak-denonciation-1996 1 .pdf

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  • Publié le Mar 10, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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