Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Kyiv : ce que

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Kyiv : ce que produit un missile dans un immeuble de 124 logements PAR FRANÇOIS BONNET ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 18 MARS 2022 Le 20 rue Bogatyrska frappé par un missile russe le 13 mars. © Photo Hervé Lequeux / Hans Lucas Le 14 mars, un missile tiré par l’armée russe a dévasté un immeuble d’habitation, au nord de la capitale, faisant trois morts et quinze blessés. « Je ne sais pas pourquoi je suis vivant », dit Pavel, qui tente de sauver des ruines quelques objets de sa vie d’avant. Kyiv (Ukraine).– Lioudmyla, retraitée, essaie de se souvenir du détail mais le choc est tel que les mots et les images se bousculent. « C’était lundi, à 5heures du matin, nous dormions. En un instant, soixante-deux ans de ma vie ont été réduits à néant, détruits », dit- elle dans sa petite cuisine en ruine. Lundi 14mars, une frappe de l’armée russe a atteint son immeuble de huit étages et 124 appartements, au 20rue Bogatyrska, un vaste quartier résidentiel fait de barres d’immeubles, à neuf kilomètres au nord du centre-ville. Au deuxième étage, son logement de trois pièces est à vingt-cinq mètres du point d’impact. Lioudmyla et son mari sont en vie, le hasard l’a voulu ainsi. Trois personnes ont été tuées, quinze autres blessées. Le missile – ou la roquette (lire notre boîte noire) – a pulvérisé une cage d’escalier ainsi que deux ou trois appartements du rez-de-chaussée et du premier étage. Là, il ne reste qu’un trou d’où émergent quelques ferrailles à béton. Le 20 rue Bogatyrska, immeuble d'un quartier résidentiel frappé par un missile russe le 13 mars. © Photo Hervé Lequeux / Hans Lucas Autour, l’explosion a fait tomber les balcons, désintégré les fenêtres. Au pied de l’immeuble et des bâtiments voisins, des tas de verre brisé rappellent que toutes les vitres ont été soufflées. Et dans ces piles de verre se trouvent des bouts de meubles, des morceaux de cuisine, des vêtements, jouets d’enfant, livres, balustrades, fragments de réfrigérateur propulsés par la déflagration. À l’intérieur des logements proches de l’impact, les cloisons ont été soufflées, des plafonds écroulés, les lourdes portes d’entrée en fer projetées à plusieurs mètres, les meubles déchiquetés. Des destructions telles que le bilan apparaît a posteriori presque léger. À l’étage au-dessus, c’est ce que se dit Pavel, 47 ans, qui lui aussi dormait ce lundi à l’aube. « Je ne sais pas pourquoi je suis vivant », constate-t-il en montrant l’appartement de son voisin qui est du côté de la façade frappée par le missile. Il n’y a là plus que des gravats, Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 des fils et des tuyaux qui pendent, des portes brûlées et des murs rongés par l’incendie qui s’est ensuivi et a fini de dévaster toute la partie centrale de l’immeuble. Pavel, habitant de l'immeuble, dans l'entrée de l'appartement de son voisin, dévasté par l'incendie qui a suivi l'explosion. © Photo Hervé Lequeux / Hans Lucas Le logement de Pavel est en comparaison presque épargné, parce que donnant sur la façade opposée. Mais la ruine est bien là. « Ils ont détruit tout ce que j’avais, ce logement c’était tout mon capital », dit l’homme. Sur son palier jonché de débris et d’éclats de béton, il enrage. « Ma mère a 87ans, elle a connu la Deuxième Guerre mondiale, les nazis… Maintenant les nazis sont russes. Nous allons les combattre partout, pas seulement en Ukraine mais partout, on les chassera jusqu’au bout du monde s’il le faut ! » Le missile du 20 rue Bogatyrska ne pouvait détruire autre chose qu’un immeuble d’habitation. Tout l’immeuble est inhabitable, sans eau, chauffage, électricité. Alors les habitants viennent sauver ce qui peut l’être. Le fils de Lioudmyla vide un placard resté au mur: une tasse, quelques assiettes intactes. Son mari observe, abasourdi, passe d’une pièce à l’autre, regarde un objet, la bibliothèque pliée en accordéon, une cloison basculée. Hagard, il ne peut aider, seulement s’occuper du chien. « Qu’est-ce qu’on va devenir ? Là, on loge chez des amis, mais après. On vit ici depuis 2004, et maintenant plus rien. Nous sommes vivants, c’est tout », ajoute-t- il. Lioudmyla dans sa cuisine : « 62 ans de ma vie réduits à néant ». © Photo Hervé Lequeux / Hans Lucas Le 20 rue Bogatyrska fait partie d’une des quinze grandes cités qui constituent la plus vaste zone d’habitation de Kyiv (Kiev en russe), l’arrondissement d’Obolonskyï, 320000habitants, au nord de la capitale. Les classes populaires y sont majoritairement logées. Ces dernières années, d’énormes buildings plus luxueux et des agencements urbains (université, parcs, aménagement des rives du Dniepr) ont attiré des familles plus aisées. «C’est là que les gens vivent et dorment », résume un habitant pour décrire cet arrondissement de cités-dortoirs seulement séparées par des centres commerciaux, les écoles et lycées, quelques équipements publics et espaces verts. Le missile du 20 rue Bogatyrska ne pouvait détruire autre chose qu’un immeuble d’habitation. Pas la moindre cible « de guerre » autour: pas d’usines, d’entrepôts, de centrale électrique, d’infrastructure importante, de bâtiments militaires. Mais un terrain de foot, une école et une grosse dizaine d’immeubles semblables. Même les check-points et barrages dressés sur les principales routes de la ville se trouvent à plusieurs centaines de mètres. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 L’armée russe vise ainsi à Kyiv, comme à Kharkiv, Marioupol, Mikhailovsky, des populations civiles, multipliant les crimes de guerre. Comme à Grozny en décembre 1999, quand la ville fut rasée, la stratégie est d’abord de terroriser la population pour la faire fuir ou provoquer la capitulation des autorités ennemies. La guerre russe se construit ainsi sur la mort des civils. Des restes de machine à laver dans le logement. © Photo Hervé Lequeux / Hans Lucas « Pourquoi cet immeuble ? Parce que les Russes sont des animaux », dit très ému un vieil homme qui habite trois pâtés plus loin et pousse son vélo entre les tas de débris. Depuis une semaine, presque chaque jour à l’aube, des missiles ou des tirs d’artillerie frappent des bâtiments dans ces quartiers de la périphérie de la ville. Beaucoup ont fui. Beaucoup restent. Parce que certains ne peuvent pas partir. Parce que la plupart des hommes disent aujourd’hui vouloir se battre dans des combats qui seront autant de vengeances. Boite noire Avec le photographe Hervé Lequeux, nous nous sommes rendus au 20 rue Bogatyrska jeudi 17 mars. Un missile est propulsé sur toute sa course jusqu’au point d’impact. Une roquette termine son vol à la manière d’un obus. L’arme ayant frappé cet immeuble n’est pas un obus. Sans être précisément identifiée, elle peut être une roquette. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris Courriel : contact@mediapart.fr Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08 Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90 Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS, dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris. Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012 Paris. uploads/Finance/ esto-es-lo-que-produce-un-misil-ruso-tras-estrellarse-contra-en-un-edificio-de-124-apartamentos-en-kiev.pdf

  • 41
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Mai 10, 2021
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.2328MB