Les enfants d'immigrés à l'école Publié le 27/06/2020 Auteur(s) : Mathieu Ichou

Les enfants d'immigrés à l'école Publié le 27/06/2020 Auteur(s) : Mathieu Ichou Barbara Mettetal Comment expliquer le constat d'un plus grand échec scolaire chez les enfants d'immigrés ? Dans cet entretien, Mathieu Ichou, chercheur à l'Ined, fait le point sur les inégalités de réussite et de trajectoire scolaires entre enfants issus de l'immigration et enfants de natifs. Il explique l'importance de la position sociale et de l'histoire pré-migratoire des parents dans la formation de dispositions scolaires plus ou moins rentables lors de la socialisation des enfants. Entretien avec Mathieu Ichou. Propos recueillis par Barbara Mettetal, étudiante en sociologie à l'ENS de Lyon. Mathieu Ichou est chargé de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined) ainsi que chercheur associé à l'Observatoire Sociologique du Changement (OSC) de Sciences Po. Ses recherches portent notamment sur la sociologie de l'immigration, de l'éducation et de la stratification sociale. Son dernier ouvrage, Les enfants d'immigrés à l'école. Inégalités scolaires, du primaire à l'enseignement supérieur, publié en 2018, s'intéresse aux trajectoires scolaires d'élèves issus de l'immigration. En mêlant l'analyse statistique de grandes enquêtes quantitatives à l'analyse interprétative d'entretiens biographiques, Mathieu Ichou explique les inégalités scolaires entre enfants d'immigrés et enfants de natifs en insistant sur la position sociale des parents, tant en France que dans le pays d'origine. La question de la réussite ou de l'échec scolaire des élèves issus de l'immigration est débattue depuis longtemps dans la recherche sociologique française. Quels sont vos constats sur les caractéristiques et la diversité des trajectoires scolaires des enfants d'immigrés ? L'idée dominante, à la fois dans le discours public et dans un certain nombre de recherches scientifiques, est celle de l'échec scolaire des enfants d'immigrés. Cette idée est persistante car elle est partiellement vraie : en moyenne, les enfants d'immigrés ont des résultats scolaires, des orientations, et ensuite des diplômes moins favorables que les enfants dits « de natifs », c'est-à- dire les enfants de parents non immigrés. J'ai essayé d'aller au-delà de ce constat un peu simple, bien que partiellement vrai, en le relativisant sur deux points. Premièrement, de nombreuses recherches ont montré depuis les années 1960 que la cause principale de l'échec scolaire des enfants d'immigrés est leur origine sociale et non pas leur qualité d'enfant d'immigré. Cela relativise beaucoup l'idée d'un échec scolaire généralisé dû au fait qu'ils seraient étrangers à la nation ou qu'ils viennent d'ailleurs. La cause de l'échec est plus fondamentalement dans les propriétés sociales des parents, pour les enfants d'immigrés comme pour les enfants de natifs. Deuxièmement, il faut dépasser l'étude de la réussite moyenne des enfants d'immigrés pour prendre en compte la grande diversité de situations. On constate d'abord une diversité entre groupes d'origine. Par exemple, les enfants d'immigrés de Turquie ou du Sahel (c'est-à-dire grosso modo du Sénégal et du Mali) ont des résultats scolaires et des trajectoires nettement moins favorables que les enfants de natifs, même à milieu social comparable en France. Au contraire, les enfants d'immigrés d'Asie du Sud-Est (notamment du Vietnam, du Laos et du Cambodge) ont des trajectoires scolaires beaucoup plus favorables, y compris lorsqu'on les compare aux enfants de natifs de milieux sociaux semblables. Il y a ensuite une variation à l'intérieur de chaque groupe. Il faut donc prendre garde à ne pas essentialiser les groupes, c'est-à-dire à ne pas les considérer comme des entités homogènes avec des propriétés fixes et immuables. Même parmi les enfants d'immigrés du Sud-Est asiatique ou parmi ceux de Turquie, certains réussissent et d'autres échouent. Malheureusement il est vrai qu'en général, parmi les enfants d'immigrés, les échecs sont plus grands que les réussites, notamment parce qu'ils ne disposent pas en moyenne des mêmes propriétés sociales que les enfants de natifs. Par exemple, les enfants d'immigrés sont très fortement sous-représentés dans les trajectoires d'élites, notamment dans les classes préparatoires aux grandes écoles et les grandes écoles. Quels matériaux d'enquête avez-vous mobilisé pour dresser ces constats sur les caractéristiques de la scolarité des élèves issus de l'immigration et les analyser ? Le livre Les enfants d'immigrés à l'école, sorti en 2018, est issu de mon travail de thèse réalisé de 2009 à 2014. C'est une version synthétisée et actualisée des résultats de la thèse. Les données que j'utilise sont de deux natures. J'ai tout d'abord effectué des entretiens biographiques. J'ai interrogé en France et en Angleterre une petite centaine d'immigrés et d'enfants d'immigrés, en essayant d'interroger des parents et enfants d'une même famille, bien que cela n'ait pas toujours été possible. Ils étaient issus de deux groupes : les personnes d'origine turque et les personnes du Sud-Est asiatique et de Chine. Ces catégories sont relativement larges puisque les frontières entre les groupes sont partiellement floues (par exemple, certains Chypriotes ou Kurdes se perçoivent comme turcs ; certaines personnes nées au Vietnam, au Cambodge, au Laos ou en Thaïlande se déclarent ethniquement chinoises). Deux raisons ont guidé ce choix d'origines. D'abord, ce sont des groupes relativement petits démographiquement, dont on savait peu de choses. En France, les groupes les plus étudiés d'un point de vue quantitatif et qualitatif sont les Portugais et les Algériens, parce que ce sont les groupes les plus nombreux ; en Angleterre, les groupes les plus étudiés sont originaires d'Inde ou des Caraïbes. En étudiant des groupes plus petits, je contribuais à un champ de recherche encore peu développé. Ensuite, et surtout, ces deux groupes étaient dans des positions opposées dans la hiérarchie scolaire. En France comme en Angleterre, avec des nuances importantes, les enfants d'immigrés turcs étaient parmi ceux qui réussissaient le moins bien, alors que les enfants d'immigrés d'Asie du Sud-Est ou de Chine étaient ceux qui réussissaient le mieux. Il y avait donc là quelque chose à expliquer, d'où ma focalisation sur ces groupes. À côté de ce matériau qualitatif, j'ai utilisé des données statistiques et notamment des enquêtes nationales représentatives. Pour la partie française (sur laquelle l'ouvrage se concentre), j'ai utilisé des panels d'élèves de la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance) du ministère de l'Éducation nationale, qui suivent des élèves tout au long de leur trajectoire scolaire, soit à partir de leur entrée au CP, soit à partir de leur entrée en 6e au collège. Nous disposons d'informations sur leur trajectoire scolaire, leurs propriétés sociales, celles de leurs parents, leurs vœux d'orientation, etc. jusqu'à leur entrée dans l'enseignement supérieur. J'ai également utilisé l'enquête Trajectoire et Origine (TeO), qui a été produite par l'Ined et l'Insee en 2008-2009, et dont la deuxième édition est d'ailleurs en cours. L'enquête TeO est assez inédite dans la mesure où elle se focalise sur les immigrés et les enfants d'immigrés en France. Elle contient de nombreuses informations sur leur trajectoire scolaire et sociale, sur leurs origines, et aussi, ce qui m'a particulièrement intéressé, un certain nombre d'informations sur les caractéristiques pré-migratoires des parents. Pourriez-vous nous expliquer l'intérêt de la méthode de l'appariement exact que vous avez utilisée pour exploiter ces données statistiques ? L'appariement exact est effectivement l'une des méthodes statistiques que j'ai utilisées pour traiter ces sources de données statistiques. Je l'ai employée pour étudier les performances scolaires des enfants d'immigrés et les comparer à celles des enfants de natifs. Or on sait que, d'une part, les milieux sociaux sont différenciés selon l'origine (les enfants d'immigrés vivant dans un environnement social beaucoup moins favorisé en moyenne), et que, d'autre part, le milieu social a un fort impact sur les performances scolaires. Il apparaît donc important, au moins dans une étape de l'analyse, de pouvoir faire des comparaisons à milieu social équivalent. Pour ce faire, la plupart des recherches jusqu'à présent utilisaient une méthode elle aussi puissante : la régression multiple. C'est une forme de modélisation qui permet d'isoler, parmi l'ensemble des variables explicatives, l'effet propre de celle qui nous intéresse (ici, être enfant d'immigré ou de natif) sur la variable à expliquer (les performances scolaires). J'ai utilisé l'appariement exact dans le même but. Son avantage est d'être plus simple et plus transparent que les régressions multiples, qui reposent sur des équations, des algorithmes d'estimation, etc. Avec l'appariement exact, l'idée est de déterminer un certain nombre de variables qui mesurent le milieu social (profession, niveau d'éducation du père et de la mère, caractéristiques familiales comme la taille de la fratrie), puis d'apparier chaque enfant d'immigré avec un enfant de natif qui possède exactement la même combinaison de propriétés sociales. Par exemple, si on veut étudier un enfant d'immigré italien dont le père est ouvrier, la mère est employée, et dont le père et la mère ont suivi une scolarité jusqu'au collège, on va l'apparier avec un sous-échantillon d'enfants de natifs dont le père est ouvrier, la mère est employée, et qui sont tous les deux allés à l'école jusqu'au collège. On pourra ainsi comparer les performances scolaires des enfants d'immigrés italiens aux enfants de natifs qui possèdent exactement les mêmes propriétés sociales. Le véritable intérêt de cette méthode est qu'elle fait très peu d'hypothèses sur la distribution des variables et sur les relations entre les variables. Surtout, elle ne fait pas l'hypothèse de l'indépendance uploads/Geographie/ ancpe-lettre-mai-2021-entretien-ichou-enfants-dimmigres-a-lecole.pdf

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