1 Avis divergents des paysans péruviens face au projet minier Conga Pour une an

1 Avis divergents des paysans péruviens face au projet minier Conga Pour une anthropologie de la justification par Martín Cavero Castillo Mémoire de Master en Sciences Sociales Mention Anthropologie Sociale et Ethnologie Présenté en vue de sa soutenance le 2 juillet 2018 Directrice du mémoire : Anath Ariel de Vidas Rapporteures : Carmen Salazar-Soler et Birgit Müller Année 2017-2018 2 Résumé L’arrivée du mégaprojet minier Conga a bouleversé la vie de dizaines de hameaux dans les Andes péruviennes depuis les années 1990. D’une part, la compagnie a acheté des terres et a offert des postes de travail aux riverains alors qu’elle entreprenait sa phase d’exploration. Elle a créé ainsi des attentes économiques chez les paysans habitant aux alentours du projet. D’autre part, suite aux activités d’exploration, il y a eu une montée de l’inquiétude à propos de la potentielle pollution et de la réduction des sources d’eau provoquées par l’extraction minière. L’étude de cas, dans un hameau d’environ soixante familles dédiées à l’agriculture et à l’élevage de vaches, permet de constater la cohabitation des attentes économiques et des préoccupations environnementales autour de la possible réalisation de Conga. Encore plus important, au sein du hameau, des avis divergents concernant ce projet minier, encore non réalisé, s’entremêlent. Être en faveur ou être contre Conga, sont deux positionnements qui divisent les voisins, les parents proches et même les frères. Cette hétérogénéité d’avis est mieux compréhensible lors qu’on restitue l’histoire locale, traversée par des enjeux fonciers, religieux et politiques. Les justifications de mes interlocuteurs laissent voir la manière dont chaque enquêté utilisent différentes valeurs pour rendre légitime son positionnement, entrelaçant des motifs économiques, religieux, moraux et environnementaux. Par exemple, la plupart des paysans favorables à Conga expriment une lecture eschatologique de la Bible qui justifie l’extraction minière, tout en reconnaissant l’importance de Conga pour aider les riverains à progresser économiquement. En revanche, les opposants expriment plutôt l’inégalité économique provoquée par la compagnie minière ainsi que l’importance des sources d’eau – notamment du lac « El Perol » – pour justifier leur avis défavorable à Conga. Ces justifications sont aussi accompagnées de critiques morales dirigées contre celui qui a un positionnement contraire. Dans ce contexte, une anthropologie de la justification s’impose. Elle permet d’étudier les évaluations faites par les enquêtés, tressant intérêts personnels (ou familiaux) et ceux de la collectivité (l’ensemble des habitants du hameau). Finalement, c’est seulement en connaissant les projets de vie de mes interlocuteurs qu’on peut s’approcher de ce qui fait prendre position en faveur ou en défaveur de Conga. Rien n’est donné par avance, le fait d’accepter ou de rejeter un mégaprojet minier se construit au fil du temps, à travers des évaluations complexes. Ni pro- miniers ni anti-minier, ni écologistes ni utilitaristes, mes interlocuteurs essaient de faire de leur mieux et de faire valoir leur choix, selon leurs possibilités et désirs, tous deux construits socialement. Suite à un travail de terrain de deux mois, ce mémoire peut être compris telle une lutte pour restituer ces complexités tant au sein du hameau qu’à l’intérieur de chaque paysan. Une lutte qui en vaut la peine, même si l’on accède seulement à des fragments de vie et aux discours de personnes qui nous sont si distantes et si proches à la fois. 3 Remerciements Ce mémoire possède une longue histoire qui remonte au début de l’année 2015. Nombreuses personnes m’ont accompagné dans les diverses étapes qui ont fait partie de cette histoire. J’aimerais exprimer mon infinie gratitude : tous ont été essentiels pour que je puisse arriver à ce point, à ce moment-là. Je voudrais remercier particulièrement Carmen Salazar-Soler pour son soutien et sa compréhension tout au long de ma recherche. Un grand merci pour m’avoir encouragé à continuer mon projet intellectuel dès le début de notre première conversation. Je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance à Anath Ariel de Vidas, ma directrice de mémoire. Elle m’a accompagné avec patience, rigueur et bienveillance lors de mes difficultés initiales pour orienter ma recherche jusqu’aux derniers détails de la rédaction finale de ce mémoire. Merci à la famille cajamarquina, Rosa et José, qui m’a accueilli si chaleureusement lors de mes passages dans leur ville. Si Sorochuco est devenu mon lieu d’intérêt, c’est grâce à José, qui m’a renseigné sur ses particularités et qui m’a aidé à connaître mon premier interlocuteur Sorochuquino. Ce travail doit beaucoup à Guillermo et Juan, les premières personnes rencontrées pendant mon terrain. Ils m’ont ouvert les portes de leur maison et de leur vie intime. Je suis aussi très reconnaissant de leur engagement généreux vis-à-vis de mes sujets d’intérêt. Je remercie énormément les habitants de Desencuentro pour leur patience. Troublés initialement par la présence de ce foráneo, ils ont su me donner la possibilité de m’approcher de plus en plus, malgré mes questions parfois incommodes. Merci particulièrement aux dirigeants adventistes pour m’avoir reçu dans leur église et m’avoir donné leur confiance. Merci à mes accompagnants d’écriture, l’ensemble des généreux amis français qui ont contribué à améliorer ma rédaction : Karine, Romain, Ophélie et Rapha. Je remercie énormément Esther pour son appui dans la dernière ligne droite et à Eugenio pour sa compagnie inconditionnelle. Merci à ma chère famille, Marlene et Simón, pour m’avoir soutenu affectivement. Malgré notre difficile histoire, votre amour m’accompagne et m’inspire toujours. Yohana, tu as changé toute la coloration de ma vie. Merci pour ton soutien, ce mémoire aurait été aussi d’une tonalité plus sombre sans toi. 4 Table des matières INTRODUCTION 1. Genèse de cette recherche……………………………………………………….. 6 1.1. Le désir moral de travailler avec les paysans concernés par l’installation d’un projet minier………………………………………………………………….......................7 1.2. Le choix de lieu de terrain : un cas complexe pour confronter les interprétations dichotomiques………………………………………………………………………..9 1.3. La construction de l’objet d’étude face à l’expérience du terrain…………………...10 2. Méthodologie d’enquête………………………………………………………………11 2.1. La préparation pour arriver au lieu de terrain…………………………………11 2.2. Dépasser l’enclicage : expliciter les enjeux locaux …………………………..13 2.3. Dépasser la méfiance………………………………………………………….15 3. Les cadres théoriques de mon enquête………………………………………………..18 3.1. Contribution et limites de la sociologie pragmatique française à une anthropologie de la justification…………………………………………………………..19 3.2. Une justification conséquentialiste et une critique utilitariste : un dialogue avec l’anthropologie morale…………………………………………........................................24 3.3. Projets de vie : évaluations subjectives de l’avenir…………………………...28 3.4. Problématique et axes de recherche…………………………………………..30 PREMIÈRE PARTIE : Contextualisation historique de Desencuentro…………………………33 1. La naissance de la communauté paysanne de Sorochuco et sa dé-communalisation progressive……………………………………………………………………….36 1.1. La naissance d’une communauté formelle face aux haciendas……………………..37 1.2. La parcellisation définitive des terres communes et le début des privatisations : les compagnies laitières et minières ……………………………………………………41 2. L’histoire récente de Desencuentro : occupation progressive et configuration historique des enjeux locaux actuels……………………………………………..44 2.1 L’occupation progressive de Desencuentro …………………………………………44 2.2 Enjeux économiques : économies inégales face à l’idéal du progrès………………..47 2.3 Les relations différenciées avec l’entreprise minière………………………………..51 2.4 Enjeu religieux : la religion adventiste face à la religion catholique………………..56 5 DEUXIÈME PARTIE : La composition sociale de Desencuentro : familles, récits de vie et vies désirées 1. Description du hameau : espace de cohabitation et liens de parenté………………62 2. Récits de vie et vies désirées………………………………………………………70 2.1 Pedro…………………………………………………………………………..73 2.2 Tomás…………………………………………………………………………77 2.3 Román………………………………………………………………………...80 2.4 Wilber…………………………………………………………………………83 2.5 Fabricio ……………………………………………………………………….85 2.6 Carlos……………………………………………………………………….…87 2.7 Santos…………………………………………………………………………90 2.8 Álvaro…………………………………………………………………………92 3. Les ressemblances et les divergences des récits de vie et de vies désirées……….95 TROISIÈME PARTIE : En-deçà et au-delà des discours de justification……………………100 1. Discours de justification : quelques précisions méthodologiques et théoriques………………………………………………………………………..100 2. La justification morale conséquentialiste et la critique utilitariste……………...103 2.1 Être en faveur du projet Conga……………………………………………,,.103 2.2 Être contre le projet Conga……………………………………………….....106 2.3 L’usage différencié des valeurs et des expériences remémorées ……….…..111 3. Contester les explications simplistes : les justifications dans le cadre des projets de vie………………………………………………………………………….…....115 4. Les expériences passées et les valeurs fondamentales : éléments nécessaires, mais opaques, pour une analyse des justifications……………………………………120 CONCLUSIONS ET OUVERTURE DES CHAMPS DE RÉFLEXION……………….….127 BIBLIOGRAPHIE...……………………………………………………………………...…131 6 INTRODUCTION 1. Genèse de cette recherche Mon point de vue : ce que fait le projet [minier] est mauvais, il gâche l’environnement, la nature. Je sais que maintenant, on ne la voit pas [la pollution]. Mais, d’ici à vingt ans, on ne verra plus la nature,…, les terres ne produiront plus, ce sera désastreux. Pour moi, il serait [mieux] que le projet ne soit pas exécuté. [Cependant, quelques minutes après, il affirme :] Je serais aussi en faveur du projet, mais s’il donne des opportunités à tous. Le traitement n’a pas été égal pour tous. S’ils ne nous donnent pas l’opportunité à tous, n’importe quelle personne va être contre [le projet]. Si [le traitement] était égal pour tous, qui ne voudrait pas qu’il soit mis en œuvre ? Alberto, 25 ans, jeune habitant d’un hameau concerné par le projet minier Minas Conga à Cajamarca – Pérou. Assis à côté de la route qui traverse le hameau d’Alberto, après avoir entamé une conversation sur son histoire de vie, je lui ai demandé son avis à propos du projet d’exploitation minière. Sa première réaction est de rejeter le projet à cause de ses effets polluants. Quelques minutes après, ce refus glisse vers une possible acceptation, à la condition de l’obtention de bénéfices économiques pour uploads/Geographie/ avis-divergents-des-paysans-peruviens-face-au-projet-minier-conga-pour-une-anthropologie-de-la-justification.pdf

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