BERNARD LECOMTE : DE L’AIDE PAR PROJET À L’ÉCOUTE PAYSANNE Les chemins de trave

BERNARD LECOMTE : DE L’AIDE PAR PROJET À L’ÉCOUTE PAYSANNE Les chemins de traverses de l’engagement Bernard Lecomte, Entretien réalisé le 25 janvier 2019 par Denis Pesche Éditions de la Sorbonne | « Revue internationale des études du développement » 2020/4 N° 244 | pages 123 à 140 ISSN 2554-3415 ISBN 9791035105976 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-internationale-des-etudes-du- developpement-2020-4-page-123.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de la Sorbonne. © Éditions de la Sorbonne. Tous droits réservés pour tous pays. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) 123 Bernard Lecomte : de l’aide par projet à l’écoute paysanne Les chemins de traverses de l’engagement Entretien réalisé le 25 janvier 2019 par Denis Pesche. Le monde du « développement » est généralement approché par des catégories d’acteurs pensées comme disjointes, comme les organisations non gouvernementales (ONG), les bureaux d’études, l’administration mais aussi le secteur privé et les mouvements sociaux des pays en développement. Or, certaines personnes ont connu des expériences professionnelles et personnelles qui les ont immergées dans différents contextes institutionnels, aussi bien dans le champ de la coopération que dans d’autres mondes, comme celui de l’industrie en crise du Nord de la France et celui de l’engagement auprès des déshérités de notre pays. Bernard Lecomte fait partie de ces passeurs de frontières visibles mais aussi invisibles, et le témoignage de ces derniers rend compte de la complexité des questions de développement mais aussi de leur profonde articulation avec les engagements multiples qui peuvent jalonner des trajectoires personnelles. Né en 1928, Bernard Lecomte est le quatrième d’une fratrie de dix enfants. Son père dirige une usine textile à Roubaix. Jeune ingénieur au lendemain de la guerre, Bernard démarre sa carrière au sein d’une industrie textile en crise. II fait la rencontre du père Louis-Joseph Lebret, fondateur d’Économie et Humanisme (EH), une association engagée dans l’action sociale en France mais aussi sur les questions internationales, dans une tradition de catholicisme progressiste. Il adhère à EH en 1952. L’usine familiale ferme en 1956. En 1958, il rejoint l’équipe de EH à Lyon. Dès 1959, il intègre la Compagnie d’études © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) No 244 2020~4 Revue internationale des études du développement 124 Bernard Lecomte - Denis Pesche industrielles et d’aménagement du territoire (Cinam)1, un bureau d’étude proche de la mouvance EH. Il est alors associé de près à la planification des activités du premier gouvernement du Sénégal, sous la présidence de Mamadou Dia. Lors de séjours à Madagascar, puis à nouveau au Sénégal, il travaille régulièrement avec différents acteurs du monde de la coopération, comme la jeune administration européenne en charge du développement ou les bureaux d’études parapublics français. En 1965, il devient directeur de la Cinam, qu’il quittera en 1973 pour travailler trois ans au Burkina Faso comme formateur au Cesao (Centre d’études et d’expérimentation économiques et sociales de l’Afrique de l’Ouest). À partir de 1976, il renoue avec le mouvement associatif au sein de l’association Six-S (« Se servir de la saison sèche en savane et au Sahel ») tout en poursuivant, à son rythme, une carrière de « consultant indépendant » auprès des coopérations suisse, allemande et italienne. Il publie en 1984 un livre d’analyse de l’approche « projet » à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Depuis le milieu des années 1970, il a apporté une contribution singulière à l’émergence du mouvement paysan d’Afrique de l’Ouest dont il côtoie les principaux leaders. L’amplitude et la diversité de l’expérience de Bernard Lecomte en font un acteur des mutations du monde du développement depuis plusieurs décennies. Tout en vivant au sein du système d’aide international depuis des positions variées, il en a été un des critiques les plus aiguisés, mais toujours dans le respect de ceux qui entreprennent et qui se battent dans l’espoir de l’améliorer. Pendant une dizaine d’années, entre 1995 et 2005, Bernard Lecomte a organisé chez lui, en Haute-Savoie, une rencontre annuelle de deux jours regroupant une vingtaine de professionnels du développement, pour certains travaillant ou ayant travaillé avec les coopérations allemande et suisse. Ce « cercle de Bonneville » a été une expérience inédite de partage d’expériences et de confrontations d’analyses dans la durée sur des thématiques comme la réforme de l’aide publique au développement2, l’accompagnement des mouvements paysans africains ou la gestion des conflits. Au fil des années, 1 La Cinam est créée en 1957 et se transforme en coopérative en 1962. 2 Le numéro spécial de la revue Autrepart, « Survivre grâce… Réussir malgré… l’aide » (vol. 13, 2000), est très directement liée à des réflexions issues de ce collectif. © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) 125 Bernard Lecomte : de l’aide par projet à l’écoute paysanne ce sont des complicités et des amitiés qui se sont tissées et qui ont permis le climat bienveillant mais sans concession de cet entretien. Cet entretien a été réalisé par Denis Pesche en janvier 2019 au domicile de Bernard Lecomte, en présence de sa femme et de deux autres personnes, Freddy Destrait et Marc Mees, de l’ONG SOS Faim Belgique, tous participants réguliers du « cercle de Bonneville ». ⁂ Denis Pesche : Jeune diplômé, tu deviens membre d’Économie et Huma- nisme (EH). Quel sens cela avait-il alors pour toi ? Bernard Lecomte : Étudiant à Lille, j’avais entendu le père Lebret en 1947 lors d’une conférence3. J’étais intéressé par la question de comment faire pour travailler en usine d’une façon plus humaine que ce que je voyais, ou entendais dire, à Roubaix. Lebret nous disait : « J’ai passé deux ans de ma vie à observer dans tous les ports français les conditions de vie des marins et après cela, j’ai pu non seulement publier quelque chose sur les marins, mais surtout vivre dix années à leurs côtés pour qu’ils s’organisent et se battent. » Avide de mieux connaître, il ne séparait pas connaissance et transformation du monde. Être plutôt quelqu’un qui observe et, à partir de cette découverte, mobilise les gens… Le lendemain, j’ai séché les cours pour le retrouver, cette fois dans un débat avec des industriels. Et je suis devenu membre d’EH. Quand, trois ans plus tard, j’ai commencé ma carrière d’ingénieur, j’ai fait partie d’un petit groupe local d’EH à Roubaix et j’ai fait mes premières enquêtes. En 1956, l’industrie textile s’écroulant sous mes pieds, je suis parti travailler à Mulhouse, où j’animais un autre groupe d’EH, où nous enquê- tions dans les villages sur la question de la mortalité due à l’alcoolisme. 3 Louis-Jospeh Lebret est un économiste et prêtre dominicain français. Il fonde en 1941 l’association Économie et Humanisme et participera à la prise de conscience par le Vatican des enjeux du sous-développement et des pays pauvres dans les années 1950-1960. Il est la cheville ouvrière de l’encyclique Populorum Progressio de 1967, qui mettra en avant la doctrine sociale de l’Église catholique et une vision communautaire et décentralisée du développement (https://www.youtube.com/ watch?v=WGG1nbCZSCg). Voir sa bibliographie (http://www.lebret-irfed.org/spip. php?article146) et des éléments de biographie (https://www.rieh.org/815_p_51071/ louis-joseph-lebret.html). © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) © Éditions de la Sorbonne | Téléchargé le 27/11/2020 sur www.cairn.info via CIRAD (IP: 194.199.235.201) No 244 2020~4 Revue internationale des études du développement 126 Bernard Lecomte - Denis Pesche D. P. : Parle-nous de ton premier contact avec l’ Afrique. B. L. : En 1953, le trust lyonnais – dont faisait partie l’usine familiale de Rou- baix – avait besoin de quelqu’un pour mettre en route la partie « blanchiment et teinture » d’une usine neuve installée en pleine forêt, à 100 km de Ban- gui, en Centrafrique. Nous habitions, nous, les Blancs, dans un campus très bien construit et composé à l’image d’un petit village des Vosges et, séparé de nous par l’usine, se trouvait « le village africain » : quasiment rien n’avait été aménagé pour le millier de personnes qui avaient construit l’usine et dont une partie y travaillait désormais. Juste un point d’eau, dans la forêt. Cela m’a choqué, et j’ai passé mes premiers week-ends à essayer d’améliorer ce cloaque. Pour débrousser et faire des chemins et des fossés, je cherche alors de la main- d’œuvre, et onze personnes se présentent ensemble, soit un « capita » et dix manœuvres. À la fin de la journée, je veux les payer et le capita, qui n’avait pas du tout travaillé, me prend la somme et, devant moi, en garde 90 % et donne le reste aux dix autres. Je me suis un peu battu, mais n’ayant plus eu de main-d’œuvre le samedi suivant, j’ai dû accepter uploads/Geographie/ b-lecomte-de-l-x27-aide-par-projet-a-l-x27-ecoute-paysanne.pdf

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