Cécile GINTRAC Au seuil critique de la ville Trois groupes de géographie engagé
Cécile GINTRAC Au seuil critique de la ville Trois groupes de géographie engagée Thèse présentée et soutenue publiquement le 30 novembre 2015 En vue de l’obtention du doctorat de Géographie De l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense Ecole doctorale ED95 Milieux, Cultures et Sociétés du Passé et du Présent Sous la direction de Philippe Gervais-Lambony et Sonia Lehman-Frisch Jury : Marie-Hélène Bacqué, professeure en études urbaines à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense, examinatrice. Philippe Gervais-Lambony, professeur de géographie à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense, directeur. Razmig Keucheyan, maître de conférence en sociologie à l’Université Paris-Sorbonne, examinateur. Myriam Houssay-Holzschuch, professeure de géographie à l’Université de Grenoble, rapporteure. Isabelle Lefort, professeure de géographie à l’Université Lumière Lyon 2, examinatrice. Sonia Lehman-Frisch, professeure de géographie à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense, directrice. Raymonde Séchet, professeure de géographie à l’Université Rennes 2 Haute Bretagne, rapporteure. 2 3 Remerciements Cette thèse n’aurait pu voir le jour sans l’aide et le concours d’un grand nombre de personnes. Je remercie tout d’abord Sonia Lehman-Frisch et Philippe Gervais-Lambony d’avoir accepté de diriger cette thèse. Leur bienveillante disponibilité, leur écoute attentive, les conseils éclairés qu’ils m’ont prodigués, tout au long de ces quatre années, m’ont sans cesse poussée à améliorer ma réflexion. Toute ma gratitude va aux membres du GESP, d’INURA, de Kritische Geographie Berlin qui m’ont accueillie et se sont soumis de grand coeur à mes innombrables questions. Parmi eux, Ana Fani Alessandri Carlos, Marvi Maggio, Cesar Simoni, Bernd Belina, Thomas Bük, Philipp Klaus, Richard Wolff et Roger Keil ont fait preuve d’une patience admirable. J’ai une pensée pour mes amies brésiliennes Eliane Pupo et Alice Noda, qui ont eu la gentillesse de m’héberger et de me faire découvrir Sao Paulo. Grâce à elles, je m’y suis un peu sentie chez moi. Nombreux sont les amis, géographes ou non, qui m’ont conseillée et m’ont permis de faire progresser mes recherches. Je remercie particulièrement Sébastien Banse pour ses traductions de l’anglais et sa traque méthodique des coquilles. Je n’aurais jamais pu écrire le chapitre sur Kritische Geographie sans la fine connaisance qu’a Mélina Germes de la langue et de la géographie allemandes. Mon travail a bénéficié de la relecture attentive et des précieuses suggestions de Martine Drozdz, Sarah Mekdjian, Pierre-Yvain Arnaud, Natacha Polin, Julie Chalvignac, et de Camille Hémard. Les nombreuses discussions que j’ai eues avec Florence Smits, Stéphanie Beucher, Laurence de Cock, Matthieu Giroud, et Nicolas Vieillescazes m’ont été, comme toujours, infiniment utiles. Il m’est impossible d’oublier les professeurs qui m’ont transmis la passion de la géographie, Jean-Yves Hanin, Jacky Tiffou, le regretté Daniel Balland, — ainsi que mes étudiants et mes collègues du lycée Gustave Monod d’Enghien-les-Bains, qui me donnent chaque jour plaisir à l’enseigner. Enfin, à Sébastien, à ma famille, à tous mes amis, merci pour leur soutien et surtout leur patience. Cette thèse leur est dédiée. 4 5 Introduction Le 21 octobre 2010, l’amphithéâtre de l’Ecole d’architecture Paris Belleville est comble. Le géographe marxiste David Harvey y présente une conférence tirée de son livre, récemment paru, The Enigma of Capital : and the Crises of Capitalism, sur la circulation du capital dans le contexte de crise aiguë auquel le monde est confronté depuis 2008. Cette rencontre, à l’initiative de la librairie le Genre urbain, est avant tout un événement éditorial. Deux livres paraissent au même moment dans deux maisons d’édition indépendantes et viennent compléter l’œuvre traduite en français du géographe radical : Géographie et capital aux éditions Syllepses ; et le Nouvel impérialisme aux Prairies ordinaires. Le premier ouvrage est un recueil d’articles qui présente le parcours et l’étendue des thèmes abordés par David Harvey ainsi que son souci de fonder, à partir de l’œuvre de Marx, un matérialisme historico-géographique. Le second cherche à montrer comment le déploiement spatial du capital à l’échelle mondiale est une des solutions (fix en anglais) aux crises d’accumulation qui ne manquent pas d’advenir régulièrement - et peut-être de plus en plus fréquemment – dans les sociétés capitalistes contemporaines. Personne de ceux qui, à Paris, s’intéressent de près ou de loin à la géographie radicale, n’a manqué la rencontre. Après l’intervention, et alors que l’auditoire se presse pour la rituelle séance de dédicaces, quelques groupes se forment, çà et là : on se reconnaît, on se présente, on échange les adresses électroniques, les numéros de téléphone, et l’on promet de se revoir. Je rencontre pour la première fois des chercheurs et des auteurs dont j’ai lu récemment les travaux : le sociologue Jean-Pierre Garnier, auteur de l’essai polémique Une violence éminemment contemporaine, aux éditions Agone (2010) ; la géographe Anne Clerval dont l’article sur la gentrification à Paris, publié dans la revue en ligne Cybergeo (2010), s’inspire de la géographie radicale et notamment des travaux de Neil Smith, les jeunes géographes Gatien Elie et Allan Popelard qui ont retracé, dans le Monde diplomatique de janvier 2010, le parcours de William Bunge, connu pour les expéditions géographiques qu’il a menées dans les ghettos afro-américains de Detroit à la fin des années 1960 et au début des années 1970. 6 L’idée de travailler sur la géographie critique et radicale a commencé à se dessiner à la lecture de l’ouvrage, paru la même année, du sociologue Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Cette « cartographie des nouvelles pensées critiques », que j’ai lue moins d’un mois avant la conférence de David Harvey, m’a donné l’envie de réaliser une géographie de la géographie engagée. Dans cet ouvrage, Keucheyan consacre un chapitre au géographe britannique et affirme qu’ « il n’est pas exclu que la postérité fasse un jour de David Harvey l’un des représentants majeurs des pensées critiques de la fin du XXe et du début du XXIe siècle » (Keucheyan, 2010, p.257). Le livre fait précisément l’hypothèse du retour des pensées critiques après une longue période d’éclipse dans la décennie 1980. La géographie ne ferait donc pas exception, et l’année 2011 semble à première vue apporter une série de confirmations à cette première hypothèse. J’ai d’abord la chance de partir, en juillet 2011, pour trois semaines de terrain à Sao Paulo, à la rencontre d’un groupe de géographes marxistes-lefebvriens, le GESP (Grupo de Estudos sobre São Paulo), créé au début des années 2000 par Ana Fani Alessandri Carlos. Le GESP, basé à l’université de Sao Paulo, et l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense cherchent à développer leurs échanges, compte tenu de leur intérêt commun pour les travaux d’Henri Lefebvre et notamment des concepts de « droit à la ville » et de « production de l’espace ». C’est surtout en France que les choses semblent s’accélérer. En avril, je rejoins l’équipe de traduction d’un autre ouvrage de David Harvey, Paris, capitale de la modernité, dont la sortie est prévue pour l’année 2012. En juin, je réponds à l’appel à contributions lancé par Carnets de géographes sur le sujet des « Géographies critiques », définies par les coordinateurs du dossier comme « l’ensemble des approches construites autour d’une remise en question des catégories analytiques classiques pour lire le monde, articulées à une volonté de peser sur les évolutions politiques et sociales des sociétés étudiées. » (Calbérac et Morange, 2012). J’apprends au début de l’été que se tiendra, en août, à Francfort, l’International Conference of Critical Geography (ICCG). Plus tard, en novembre, l’appel à communication pour le colloque « Espace et rapports sociaux de domination » renforce l’intuition qui s’est dessinée l’année précédente. Le même mois, David Harvey revient en France, un an après sa précédente visite, pour donner à l’université de Paris Ouest Nanterre la Défense une 7 conférence intitulée « Space, Social Justice and the Right to the City »1. Le géographe donne un premier entretien à la revue Justice spatiale / Spatial Justice, créée en 2009, pour laquelle « il est légitime pour la géographie et les autres sciences sociales d'incorporer la justice dans leur questionnement » (JSSJ, 2009) et une deuxième à la revue Vacarme, à laquelle j’ai l’opportunité de participer, avec Dominique Dupart, Philippe Mangeot et Nicolas Vieillescazes. Ces initiatives me font donc découvrir une géographie critique urbaine ouvertement engagée, questionnant les crises que traversent certaines villes et certains espaces urbains, notamment depuis la crise de 2008. Les géographes qui s’en réclament n’hésitent pas à prendre parti en faveur des plus dominés dans les villes et à lutter pour l’avènement d’un autre monde urbain, plus juste. La multiplication et l’accélération de ces événements, conférences et publications m’incitent à envisager la géographie critique urbaine comme un courant international, puisqu’on le retrouve du Brésil à l’Allemagne en passant par les Etats-Unis. Pour certains, la France découvrirait ce courant de pensée avec un certain retard. C’est le constat du politiste français Bernard Jouve. En 2009, il considérait que l’on assistait au « grand retour de la pensée critique de la ville » : « la pensée urbaine radicale, empruntant clairement au marxisme, est devenue l’un des courants d’analyse dominants dans le champ des sciences sociales. Ce développement académique à l’échelle internationale, largement structuré par des universités américaines et britanniques, est longtemps passé pratiquement inaperçu en uploads/Geographie/ epistemologie-de-la-geographie.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 17, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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