GUARDIOLA, LE FOOTBALL SANS ATTAQUANT Éloge du milieu, sacre du passeur, avènem
GUARDIOLA, LE FOOTBALL SANS ATTAQUANT Éloge du milieu, sacre du passeur, avènement du 3-7-0: le guardiolisme est une révolution pour le jeu. Tout a basculé en décembre, contre Santos... Philippe Gargov est consultant en prospective et innovation, d’abord dans le domaine urbain (il fonde en 2009 le cabinet [pop-up] urbain), puis dans le domaine tactique avec Football totalitaire. Football totalitaire est le reflet de cette passion disciplinaire pour la “géo-stratégie”, c’est-à-dire pour les logiques spatiales qui régissent les dispositifs tactiques en sport, mais aussi le fruit de sa fascination passive- agressive à l’égard de Guardiola. * * * Le triomphe messianique du Ballon d’Or 2011 et son vrai-faux suspens auront quelque peu occulté la victoire de son "géniteur", élu sans plus de surprise entraîneur de l’année. Avec cinq trophées dans la poche, Guardiola aura clairement survolé ces deux dernières demi-saisons. Et c’est auréolé d’un dernier titre de Champion du monde des clubs, obtenu aux dépens du Santos en décembre dernier, que le Catalan est allé chercher sa récompense. C’est d’ailleurs lors de ce match qu'il avait dévoilé l’étendue d’un génie tactique qu’on lui ignorait jusque-là… voire qu’on lui niait, diront certains. Certes, tous les observateurs s’accordent à reconnaître son immense talent de stratège. Il aura malgré tout fallu attendre ses victoires – tant tactiques que psychologiques – sur le Special One pour légitimer enfin cette reconnaissance médiatique et populaire. Guardiola restait jusqu’alors, dans l’inconscient collectif, un simple chef d’orchestre, humain parmi les surhumains. D’aucuns lui reprochaient même de ne pas savoir prendre de risques, ne lui reconnaissant comme seul mérite que de s’aligner sur ses illustres prédécesseurs, Cruyff en tête, en calquant un 4-3-3 ayant largement prouvé son efficacité. Ses paris contre Santos, risqués mais particulièrement payants, sont venus prouver le contraire. Et c’est son adversaire d’un jour qui en parle le mieux, avec une humilité presque déroutante: "Nous avons appris beaucoup de choses aujourd’hui. Et je pense que vous aussi [journalistes, mais aussi spectateurs], avez appris quelque chose" [1], commentait après le match Muricy Ramalho. De la bouche d’un des meilleurs entraîneurs brésiliens actuels, le compliment a force d’autorité. On regrettera au passage l’absence totale de couverture journalistique en France sur ce sujet, ceux-ci préférant se focaliser sur un stérile duel Messi- Neymar, qui n’aura d’ailleurs pas eu lieu. Une lacune coupable, tant les enseignements de ce match méritent d’être discutés. Sur celui-ci, Guardiola est tout simplement passé dans une autre dimension, transfigurant les tactiques du football moderne et préfigurant (peut-être) celles du football à venir. Un surhumain peut en cacher un autre… Une raison amplement suffisante pour revenir sur le système de jeu mis en place pour ce match; non pas en commentant le match lui-même (ceci n’est pas une analyse tactique), mais en décryptant ce qu’il raconte de Guardiola, du "guardiolisme", du football moderne et de celui qui s’annonce très certainement dans les années à venir. Faites entrer l’accusé Muricy Ramalho a décidément le sens de la formule quand il s’agit de souligner à ses pairs l’ampleur de la révolution à laquelle il vient d’assister: "Si vous jouez au Brésil [avec la formation proposée par Guardiola], ça se termine en enquête policière!" Avouez qu’on entend rarement de tels propos en conférence d’après-match... De quoi Guardiola est-il accusé? D’avoir joué avec une formation supposément ultra-défensive… ou plutôt anti-offensive:"Après avoir perdu Sanchez et Villa [sur blessure], ils ont mis un milieu supplémentaire. Ils ont joué en 3-7-0, une formation inconcevable au Brésil."[2] 3-7-0: le mot est lâché. Une formation inédite, probablement jamais testée à ce niveau de jeu – sinon dans Football Manager [3]… Une formation surtout considérée comme hérétique voire impie, puisque sans attaquants "purs", qu’ils soient ailiers ou numéro 9. Certes, Villa et Affelay étaient indisponibles… Mais Guardiola aurait pu compter sur les ailiers Pedro ou Cuenca, encore jeunes mais ayant déjà fait leurs preuves. Sanchez était à leurs côtés sur le banc, mais considéré comme inapte à jouer. Pour autant, l’accusation est-elle valable? Sous-entendu: jouer sans attaquant est-il un sacrilège contre le beau football, qui ne pourrait décemment qu’être porté sur l’attaque, c’est-à-dire compter dans ses rangs de véritables attaquants? Les supporters blaugranas préfèrent s’en défendre grâce à une inversion arithmétique aussi subtile que leur supportérisme : "Selon Muricy Ramalho, Pep a joué en "3-7-0". En un sens, c’était vrai, mais l’on pourrait rétorquer que Barcelone a joué en 3-0-7 [autrement plus flatteur, donc], bombardant la défense du Santos sous une litanie d’appels en profondeur et de passes millimétrées." [4] Ils n’ont pas tout à fait tort… ni tout à fait raison. Jugez vous-mêmes: Alves, un arrière latéral (certes brésilien, mais quand même) repositionné ailier droit. Messi, un ailier de formation repositionné "faux numéro 9" voire milieu relayeur, ce qui n’a évidemment plus rien de surprenant. Mais surtout, pas moins de cinq milieux essentiellement passeurs et surtout ultra- créatifs (un défensif, deux relayeurs et deux offensifs, pour peu que cette typologie siée aux talents catalans): voilà l’étrange composition de cette "non-attaque", qui aura pourtant permis au Barça d’infliger un cinglant 4-0 à un Santos dépassé (qui l'aura d’ailleurs bien aidé en défense [5]). Source: Zonal Marking. Muricy Ramalho et ses joueurs n’étaient d’ailleurs pas les seuls largués par cette formation. Qu’il s’agisse d’un 3-7-0 ou d’un 3-6-1-0, si l’on tient compte du profil d’origine de Messi, n’est finalement pas la vraie question. Peu importent les chiffres, les spectateurs de cette finale ont assisté à un bouleversement silencieux, qui ne rentre pas dans les grilles d’analyse traditionnelles. Les médias sportifs auront eux aussi été suffisamment déconcertés par cette formation pour ne pas réussir à la représenter correctement. Qu’il s’agisse de L'Équipe ou du site officiel des Blaugranas, c’est encore et toujours le traditionnel 4-3-3 catalan que l’on retrouve dessiné sur les schémas tactiques, avec les énormités de positionnement que cela implique (une ligne d’attaque Messi-Fabregas-Iniesta?) L’éther du milieu Pour leur défense, cette formation tenait clairement de l’exceptionnel… ou presque. À bien y regarder, Guardiola avait déjà amorcé cette révolution, par bribes, lors de matches précédents. D’abord en osant la défense à trois au cours de la saison, et en lançant un 3-4-3 d’exception contre Madrid, une petite semaine avant le match contre Santos. Ce 3-4-3 "nirvana", comme l’a baptisé e-foot, contenait en germe les logiques inhérentes au 3-7-0. Les blessures de Villa et Sanchez allaient obliger Guardiola à sortir de son chapeau ce coup de folie d’une formation sans attaquant… qu’il avait déjà expérimentée quelques semaines auparavant. Comme le remarque le blog de tactique Zonal Marking dans son excellente analyse de la finale contre Santos, Guardiola n’a joué qu’un seul match cette saison en se passant d’attaquant "pur" (hors Messi qui joue dans son propre registre), c’est-à-dire sans Pedro, Villa ou Alexis Sanchez. "Habituellement, Guardiola joue avec au moins un vrai attaquant dans son trio d’attaque, afin d’étirer le jeu pour permettre à Messi de descendre très bas sans trop congestionner le milieu", explique l'auteur [6]. Cette unique tentative ne s’était d’ailleurs pas franchement avérée concluante, loin s’en faut. C’était en novembre, contre l’Athletic Bilbao de Bielsa (l’un de ses mentors), lors d’un match nul particulièrement difficile pour le Barça. À l’époque, l’égalisation n’avait été arrachée qu'en fin de match… grâce notamment aux entrées de Sanchez et Villa. Pourtant, le tacticien avait considéré ce match comme "un hymne au football", rien de moins. Souhaitait-il retrouver de telles sensations, cette fois sous les lumières d’une finale de gala? Face aux talents de Santos, un tel pari était autrement plus osé. Osé, mais pas fou. Car Guardiola ne faisait ici qu’appliquer les préceptes éprouvés quelques années auparavant par Spalletti et sa flamboyante Roma de 2007/2008. Là encore, les blessures étaient à l’origine de ce qui deviendrait l’une des innovations tactiques les plus remarquables des années 2000 – d’ailleurs nommée cinquième "équipe de la décennie", en termes de qualités stratégiques, par Zonal Marking. En repositionnant Totti au poste de milieu offensif un peu particulier (ou "faux numéro 9"), sans attaquant devant lui, Spalletti "inventait" le 4-6-0 qui allait inspirer les plus grandes équipes dans les années suivantes… Zonal Marking l’affirme sans ambages: "Ce système sera l’un des plus influents de la décennie. Qu’il soit adopté et amélioré par les équipes vainqueurs de la Ligue des Champions les années suivantes (Manchester United et Barcelone) illustre le potentiel du 4-6-0, qui pourrait dominer le football dans les dix prochaines années." [7] L’un des meilleurs exemples? Le PSG sans attaquants (ni Gameiro ni Hoarau) concocté il y a dix jours par Ancelotti, à la surprise des médias français, définitivement largués dès qu’il s’agit de tactique. Les avantages d’une formation sans attaquant: le jeu entre les lignes est ici exacerbé, et la liberté spatiale offerte aux milieux multiplie leurs options offensives. Dans ce contexte de popularisation progressive, jouer sans attaquant pur n’apparaît donc pas "si" révolutionnaire, qui plus est avec des talents offensifs tels que Messi ou Iniesta… Mais là où Guardiola innove, c’est en paraphant sa formation de sa patte unique et iconoclaste. Si le 4-6-0 de Spalletti était une formation "réactive", fruit uploads/Geographie/ guardiola.pdf
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- Publié le Apv 27, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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