Carlo Rovelli Helgoland Le sens de la mécanique quantique Flammarion Traducteur
Carlo Rovelli Helgoland Le sens de la mécanique quantique Flammarion Traducteur : Sophie Lem © 2020 Adelphi Edizioni S.P.A. Milano. © Flammarion, 2021, pour la traduction francaise. ISBN numérique : 978-2-0802-5175-6 ISBN du pdf web : 978-2-0802-5174-9 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 978-2-0815-2207-7 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Présentation de l’éditeur : « Il était environ trois heures du matin lorsque le résultat de mes calculs apparut devant moi. Agité, je quittai la maison et me mis à marcher dans la nuit. Après avoir grimpé au sommet d’un rocher surplombant la mer, j’attendis le lever du soleil. J’étais profondément troublé. J’avais la sensation de regarder, à travers la surface des phénomènes, vers un intérieur d’une étrange beauté. » Été 1925. Isolé sur l’île perdue d’Helgoland en mer du Nord, Werner Heisenberg a un éclair de génie : l’idée qui fonde la théorie des quanta. Avec Paul Dirac, Wolfgang Pauli et d’autres (très) jeunes physiciens, il en deviendra l’un des pères. Un siècle plus tard, la théorie fonctionne à merveille puisqu’elle rend compte du monde, de la couleur du ciel aux neurones de notre cerveau, en passant par le fonctionnement de nos ordinateurs et l’origine des galaxies. Son sens profond, en revanche, nous échappe toujours… Dans son nouvel opus, Carlo Rovelli se fait volontiers passeur pour mieux nous raconter la « quantique » et en proposer aussi son interprétation personnelle, fruit d’une vie de recherche. Avec ce merveilleux message : la réalité est profondément différente de ce que nous imaginons. Carlo Rovelli est physicien théoricien, spécialiste de la gravité quantique. Il est notamment l’auteur de L’Ordre du temps (Flammarion, 2018), qui a connu un succès mondial. à Ted Newman, qui m’a fait comprendre que je ne comprenais pas la mécanique quantique. Helgoland Plonger son regard dans l’abîme Časlav et moi sommes assis sur le sable, à quelques pas de la mer. Nous venons de parler intensément pendant des heures. Profitant de l’après-midi libre de la conférence, nous sommes partis sur l’île de Lamma, en face de Hong Kong. Časlav est l’un des experts les plus renommés de la mécanique quantique. Durant la conférence, il a présenté une analyse d’une expérience de pensée complexe. Nous en avons discuté et rediscuté sur le chemin qui longe la jungle jusqu’à la plage, puis ici, au bord de l’eau. Nous en arrivons à être pratiquement d’accord. Sur la plage, un long silence s’installe. Nous regardons la mer. C’est vraiment incroyable, chuchote Časlav, comment peut-on y croire ? C’est comme si elle n’existait pas… la réalité… Voilà où nous en sommes avec les quanta. Après un siècle de résultats inouïs, la théorie la plus féconde de la science, qui nous a donné la technologie contemporaine et la base de toute la physique du XXe siècle, nous remplit encore d’étonnement, de confusion et d’incrédulité. Il y a eu un moment où nous avons cru avoir élucidé la grammaire du monde : à la racine de toutes les formes variées de la réalité, il n’y avait que des particules de matière entraînées par quelques forces. L’humanité a pu penser qu’elle avait soulevé le voile de Maya et vu le fond de la réalité. Mais cela n’a pas duré ; trop de faits ne collaient pas. Jusqu’à ce que, durant l’été 1925, un jeune Allemand de vingt-trois ans aille passer quelques jours d’une solitude agitée sur une île venteuse de la mer du Nord : Helgoland, l’Île sacrée. Là, il trouve une idée qui permet de rendre compte de tous les faits récalcitrants et de construire la structure mathématique de la mécanique quantique, la « théorie des quanta ». Peut- être la plus grande révolution scientifique de tous les temps. Le nom du jeune homme est Werner Heisenberg, et c’est avec lui que commence le récit de ce livre. La théorie des quanta a clarifié les bases de la chimie, le fonctionnement des atomes, des solides, des plasmas, la couleur du ciel, les neurones de notre cerveau, la dynamique des étoiles, l’origine des galaxies, etc., mille aspects du monde. Elle est à l’origine des technologies les plus récentes, des ordinateurs aux centrales nucléaires. Des ingénieurs, des astrophysiciens, des cosmologistes, des chimistes et des biologistes l’utilisent tous les jours. Ses rudiments figurent dans les programmes des lycées. Elle n’a jamais été prise en défaut. C’est le cœur battant de la science d’aujourd’hui. Pourtant, elle reste profondément mystérieuse. Subtilement inquiétante. Elle a détruit l’image d’une réalité faite de particules se déplaçant le long de trajectoires définies, sans préciser toutefois comment penser autrement le monde. Ses mathématiques ne décrivent pas la réalité, elles ne nous disent pas « ce qu’il y a ». Des objets éloignés semblent reliés les uns aux autres comme par magie. La matière est remplacée par des ondes de probabilité fantasmatiques. Quiconque s’arrête un instant pour se demander ce que la théorie quantique nous apprend sur le monde réel a de quoi rester perplexe. Einstein, qui en avait anticipé les idées en mettant Heisenberg sur la voie, ne l’a jamais digérée ; Richard Feynman, le grand physicien théorique de la seconde moitié du XXe siècle, a écrit que personne ne comprend les quanta. Mais c’est cela, la science : l’exploration de nouvelles façons de penser le monde. C’est la capacité que nous avons de remettre constamment en question nos concepts. C’est la force visionnaire d’une pensée rebelle et critique, capable de modifier ses propres fondements conceptuels, de redessiner le monde de zéro. Si l’étrangeté de la théorie nous confond, elle ouvre aussi de nouvelles perspectives pour comprendre la réalité. Une réalité plus subtile que celle du matérialisme simpliste des particules dans l’espace. Une réalité faite de relations, avant que d’objets. La théorie suggère de nouvelles voies pour repenser les grandes questions, de la structure de la réalité à la nature de l’expérience, de la métaphysique à, peut-être, la nature de la conscience. Tout cela fait aujourd’hui l’objet d’un débat animé entre scientifiques et philosophes, et c’est ce dont je parle dans les pages qui suivent. Sur l’île d’Helgoland, nue, extrême, balayée par le vent du Nord, Werner Heisenberg a soulevé un coin du voile entre la vérité et nous ; derrière ce voile, un abîme est apparu. Le récit de ce livre part de l’île où l’idée de Heisenberg a germé et s’élargit progressivement aux questions plus vastes ouvertes par la découverte de la structure quantique de la réalité. J’ai écrit ces pages en premier lieu pour ceux qui ne connaissent pas la physique quantique et qui sont curieux de comprendre ce qu’elle est et ce qu’elle implique, pour autant que nous en soyons capables. J’ai essayé d’être aussi concis que possible, en laissant de côté tout ce qui n’est pas essentiel, afin de saisir le cœur du problème. J’ai tenté d’être aussi clair que possible, sur une théorie qui est au centre de l’obscurité de la science. En fait, davantage que d’expliquer comment comprendre la mécanique quantique, j’explique peut-être seulement pourquoi il est si difficile de la comprendre. Mais j’ai aussi écrit ce livre en songeant à mes collègues scientifiques et philosophes, dont la perplexité s’accroît au fur et à mesure que leur connaissance de la théorie s’approfondit ; pour poursuivre le dialogue actuel sur la signification de cette physique stupéfiante. Le livre contient des notes destinées à ceux qui connaissent déjà bien la mécanique quantique. Elles expriment avec plus de précision ce que j’essaye de dire dans le texte de façon plus lisible. Le principal objectif de mes recherches en physique théorique a été de percer la nature quantique de l’espace et du temps : rendre la théorie quantique cohérente avec les découvertes d’Einstein sur l’espace et le temps. J’ai fini par penser constamment aux quanta. Ce texte reflète l’état actuel de ma réflexion. Il n’ignore pas les positions différentes, mais il prend résolument parti. Il est centré sur la perspective que je considère comme la plus efficace et qui ouvre, je crois, les pistes les plus intéressantes : l’interprétation « relationnelle » de la théorie. Un mot d’avertissement avant de commencer. L’abîme de ce que nous ne savons pas est toujours magnétique et vertigineux. Mais considérer la mécanique quantique sérieusement, réfléchir à ses implications est une expérience quasi psychédélique, qui nous force à renoncer, d’une manière ou d’une autre, à quelque chose qui nous semblait solide et inattaquable dans notre compréhension du monde. Il nous faut accepter que la réalité est profondément différente de ce que nous imaginions. Plonger notre regard dans l’abîme, sans craindre de sombrer dans l’insondable. Lisbonne, Marseille, Vérone, London (Ontario) 2019-2020 PREMIÈRE PARTIE « Un intérieur d’une étrange beauté. » Comment un jeune physicien allemand trouva une idée vraiment étrange, qui décrivait toutefois très, très bien le monde, et la grande confusion qui en résulta. 1. L’idée absurde du jeune Werner Heisenberg : « les observables » « Il était environ trois heures du matin lorsque le résultat de mes calculs apparut devant moi. Je me sentis profondément secoué. J’étais si uploads/Geographie/ helgoland-by-carlo-rovelli.pdf
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- Publié le Jan 27, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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