MASTER 2 ETUDES INTERNATIONALES ET EUROPEENNES Spécialité Recherche SECURITE IN

MASTER 2 ETUDES INTERNATIONALES ET EUROPEENNES Spécialité Recherche SECURITE INTERNATIONALE ET DEFENSE L'"exceptionnalisme" de la politique étrangère américaine Gaëtan MOREAU Enseignant: Brigitte VASSORT-ROUSSET Année 2011-2012 "It was as if in the Providence of God a continent had been kept unused and waiting for a peaceful people who loved liberty and the rights of men more than they loved anything else, to come and set up an unselfish commonwealth." Woodrow Wilson1 "Our nation is chosen by God and commissioned by history to be a model to the world of justice" George W. Bush2 "For the great enemy of truth is very often not the lie – deliberate, contrived and dishonest – but the myth – persistent, persuasive, and unrealistic. Too often we hold fast to the clichés of our forebears. We subject all facts to a prefabricated set of interpretations. We enjoy the comfort of opinion without the discomfort of thought." John F. Kennedy3 Dans son ouvrage Diplomacy, Henry Kissinger dit de John Foster Dulles, Secrétaire d'État américain entre 1953 et 1959 : "American secretaries of state have traditionally affirmed America's exceptionalism and the universal validity of its values. Dulles was no different except that his form of exceptionalism was religious rather than philosophical"4. L'exceptionnalisme semble effectivement être une position assez largement partagée dans les cercles politiques5 et académiques6 américains, ce qui souligne l'interpénétration de ces deux groupes aux États-Unis. En tant que partie intégrante de leur vision du monde, l'exceptionnalisme influe sur les rapports au monde des Américains en général et de leurs dirigeants en particulier7. Cet exceptionnalisme ne peut se réduire à une simple affaire interne puisque l'exceptionnalisme serait 1 Woodrow Wilson, Address at the Military Academy, West Point, June 13th 1916 in Selected Addresses and Papers of Woodrow Wilson, University Press of the Pacific, 2002, p.127 2 George W. Bush, discours à la convention annuelle du B'nai B'rith International, Washington DC, 28 août 2000 reprenant presque mot à mot son père qui déclarait lors de sa Thanksgiving address en 1992: "By remaining grateful for, and faithful to, that divine commission, America has become a model of freedom and justice to the world - as our pilgrim ancestors envisioned, a shining "city upon a hill."" 3 Yale University Commencement Address, 11 juin 1962. 4 Henry Kissinger, Diplomacy, Simon & Schuster, 1995, p.534 5 Pour l'exemple le plus récent, voir l'ouvrage de Newt Gingrich sorti pour la primaire républicaine, A Nation Like No Other: Why American Exceptionalism Matters, Regnery Publishing, 2011. 6 Sydney Verba de l'Université d'Harvard écrit "What U.S. academic traveling abroad has not been asked by a bemused foreigner to "explain" the United States? At issue may be something specific (...); or something systemic (...). Some may argue that our country is not that unusual, but most of us, I bet, would accept the premise that the United States is exceptional." (nous soulignons) in Sidney Verba, review of American Exceptionalism: A Double- Edged Sword by Seymour Martin Lipset, The American Political Science Review, Vol. 91, No. 1 (Mar., 1997), pp. 192-193 7 "Toute conception du monde a une singulière tendance à se considérer comme la vérité dernière sur l'univers" Carl Gustav Jung, L'Âme et la vie, le livre de poche, 2008, p.300 1 une caractéristique essentielle des États-Unis, inexistante dans les autres pays du monde, et cette différence d'essence entraînerait mécaniquement des conséquences dans leurs rapports internationaux. L'exceptionnalisme, étant inhérent au pays, se reflèterait dans la politique exterieure. Il importe donc de déterminer la place de l'exceptionnalisme dans la weltanschauung américaine afin de cerner ce que serait l'exceptionnalisme de la politique étrangère américaine et quels seraient ses effets car dans une analyse constructiviste des relations internationales, on ne peut que prendre en compte l'influence d'une telle vision du monde sur les actions. Introduction En 1996, à l'occasion de la sortie de l'ouvrage de Seymour Martin Lipset sur l'exceptionnalisme américain, Nigel Bowles8 notait alors : American exceptionalism is too often inferred from its distinctiveness and too frequently asserted rather than demonstrated, notwithstanding the undeniably exceptional attention devoted to the study of American politics by the army of American political scientists. The necessity of examining whether - rather than assuming that - the hypothesis that American institutional and cultural exceptionalism are qualitatively or quantitatively different to those of other democracies, remain. Il peut apparaître surprenant qu'à cette date, l'existence même d'un exceptionnalisme américain, que l'on fait pourtant remonter à Tocqueville, soit plus d'un siècle et demi plus tôt, n'ait toujours pas dépassé le stade d'une hypothèse, pourtant traitée comme un fait par "l'armée de politistes américains". Il apparaît donc que le concept d'exceptionnalisme américain, relativement répandu dans la littérature en Relations Internationales (RI) du fait de l'importance académique des auteurs américains pose de gros problèmes au niveau des sources historiques : celles-ci, plutôt que d'être des preuves ou même de simples soutiens à son existence, tendent plutôt à montrer son inexistence. Hilde Eliassen Restad pouvait ainsi appeler à un "Academic updating" et écrire, dans un article au titre explicite, Old Paradigms in History Die Hard in Political Science: US Foreign Policy and American Exceptionalism9: "American exceptionalism is an ideology, and, as such, it actually does not matter whether the United States “is still exceptional”10. The United States is exceptional as long as Americans believe it to be exceptional. American exceptionalism—and US foreign policy with it—has a teleological aspect to it: what is America today will be the world tomorrow11 Americans have always assumed that people everywhere share American political and moral ideas—“that the people left to 8 Nigel Bowles' review of American Exceptionalism: A Double-Edged Sword by Seymour Martin Lipset, International Affairs, Vol. 72, No. 4, (Oct., 1996), pp. 868-869 9 Hilde Eliassen Restad, Old Paradigms in History Die Hard in Political Science: US Foreign Policy and American Exceptionalism, American Political Thought, Vol. 1, No. 1 (Spring 2012), pp. 53-76 10 Parker, Kathleen. “President Obama and That ‘Exceptional’ Thing.” Washington Post, 30 janvier 2011. 11 Westad, Odd Arne. The Global Cold War: Third World Interventions and the Making of Our Times. New York: Cambridge University Press. 2006. p.9 2 themselves would abandon their ‘wicked’ statesmen and espouse the cause of peace and reasonableness as understood in the liberal world, and above all, in the United States” 12. This underlies the idea that in every foreigner there is an American waiting to get out. It is an assumption that links the otherwise unlikely grouping of Woodrow Wilson, Ronald Reagan, William Jefferson Clinton, and George W. Bush and their mission to reform the world in the American image." Nous suivrons cet auteur en qualifiant l'exceptionnalisme d'idéologie, et il nous importera donc ici de montrer la formation de cette idéologie et ses effets sur la politique étrangère américaine. Il nous faut donc d'abord replacer l'exceptionnalisme américain dans son contexte historique pour mettre en perspective les actes et les discours des gouvernements US dans le domaine des relations internationales. Traditionnellement compris et analysé, l'exceptionnalisme américain aurait produit une ambivalence présente au coeur de la politique étrangère américaine : une tendance isolationniste, de retrait du monde, où le rôle de l'Amérique ne serait que d'être un modèle pour qui veut bien s'en inspirer, tendance exemplifiée par les avertissements de George Washington et Thomas Jefferson de ne pas se laisser emprisonner par des alliances ; et une tendance interventionniste, où l'Amérique serait investie d'une mission, celle de répandre son modèle dans le monde, les 14 points de Wilson en étant le meilleur exemple. Ces deux tendances se succéderaient à intervalles réguliers ou seraient concomitantes mais plus au moins puissantes selon les époques. Comme l'exceptionnalisme dont il constitue un pilier, l'isolationnisme américain est dorénavant considéré comme un mythe13. On ne saurait donc assez souligner l'importance qu'il y a de revenir sur l'histoire pour ne pas, une fois de plus, utiliser des concepts idéologiques comme s'ils étaient neutres ou historiquement vérifiés. Car comme le fait remarquer Hilde Eliassen Restad, "the predominant definition of American exceptionalism, and the way it is used to explain US foreign policy in political science, relies on outdated scholarship within history."14 On ne pourra pas donc faire l'économie d'un retour sur les moments historiques qui servent à soutenir la définition de l'exceptionnalisme américain, ce qui oblige à un retour sur l'histoire des États-Unis, et pas seulement sur la période contemporaine, pour voir l'usage et les conséquences actuelles de ce concept sur la politique étrangère américaine15. Avant même ce retour historique, il nous faudra, 12 Kohn, Hans. American Nationalism: An Interpretive Essay. 1957.New York: Macmillan, p.205 13 cf. Bear Braumoeller, The Myth of American Isolationism, Foreign Policy Analysis, 6(4),2010, pp. 349-371 14 Hilde Eliassen Restad, op.cit., p. 53 15 Il n'est malheureusement pas exceptionnel de voir des théories en RI reposant sur des arguments historiques approximatifs. Ainsi l'assertion communément reprise selon laquelle les guerres de la deuxième moitié du XIXe auraient été plus rares et moins meurtrières. Entre 1850 et 1864, la révolte des Taiping fit au moins vingt millions de morts, soit proportionnellement plus que la Seconde Guerre mondiale - le monde comptant 430 uploads/Geographie/ l-x27-exceptionnalisme-de-la-politique-etrangere-americaine.pdf

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