44 REVUE ELECTRONIQUE INTERNATIONALE DE SCIENCES DU LANGAGE SUDLANGUES N° 16 -

44 REVUE ELECTRONIQUE INTERNATIONALE DE SCIENCES DU LANGAGE SUDLANGUES N° 16 - Décembre 2011 http://www.sudlangues.sn/ ISSN :08517215 BP: 5005 Dakar-Fann (Sénégal) sudlang@refer.sn Tel : 00 221 548 87 99 LE NOUCHI A-T-IL UN AVENIR ? Alain Laurent Abia ABOA Université de Cocody (Côte d’Ivoire) aboaalainlaurent@yahoo.fr Résumé L’apparition du nouchi comme variété la plus récente du français ivoirien a quelque peu modifié la donne linguistique en Côte d’Ivoire. Utilisé au début comme code secret par les jeunes de la rue, il a vite été adopté par les élèves et étudiants, ce qui a réduit son caractère cryptique. Aujourd’hui, le nouchi s’étend, à des degrés divers, à toutes les couches de la société. Ce qui fait penser que le phénomène nouchi pourrait bien avoir un avenir en Côte d’Ivoire. Car lorsque les locuteurs d’une variété différente du standard prennent conscience de ces différences et s’y reconnaissent, ce n’est plus qu’une question de temps jusqu’à ce que ce groupe ou une partie de ce groupe demandent la reconnaissance officielle de la variété et en soutiennent le développement. Mots-clés : Français – nouchi – codes – cryptique – avenir. Summary: The appearance of the nouchi as the most recent variety of French of the Ivory Coast modified significantly linguistic fundamental in Côte d'Ivoire. Used at the beginning like secret code by the young people of the street, it was quickly adopted by the pupils and students, which reduced its cryptic character. Today, the nouchi extends, to differing degree, all the layers of the society. Which leads to think that the nouchi phenomenon could really have a future in Ivory Coast. Because when the speakers of a variety different from the standard aware of these differences and recognize themselves, there is nothing any more but one question of time until this group of speakers or part of this group requires the official recognition of the variety and support its development. Keywords: French – Nouchi – codes – cryptic – future. 45 REVUE ELECTRONIQUE INTERNATIONALE DE SCIENCES DU LANGAGE SUDLANGUES N° 16 - Décembre 2011 http://www.sudlangues.sn/ ISSN :08517215 BP: 5005 Dakar-Fann (Sénégal) sudlang@refer.sn Tel : 00 221 548 87 99 INTRODUCTION Les études linguistiques sur le français en Afrique décrivent généralement la Côte d’Ivoire comme le pays le plus francophone en Afrique subsaharienne (Kube 2005). Cette caractérisation résulte surtout de la présence importante du français, aussi bien dans les domaines officiels que privés. Aucune langue d’une ethnie dominante dans le pays n’a émergé pour devenir la langue de la majorité. L’utilisation du français s’est entre temps différenciée de telle manière qu’aujourd’hui, une définition exacte des différentes variétés selon leurs caractéristiques linguistiques ne peut être établie, pas plus que celle des groupes de locuteurs. Dans cette situation déjà complexe, l’apparition du nouchi comme variété la plus récente du français ivoirien a rendu la donne linguistique bien plus difficile dans le pays. Considéré au début comme l’apanage des jeunes déscolarisés et des rebuts sociaux minoritaires en mal de reconnaissance, le nouchi a aujourd’hui investi les milieux traditionnels d’apprentissage normé que sont les écoles, les collèges et lycées, ainsi que les amphithéâtres des universités. Aujourd’hui, la pratique du nouchi est assez différente de celle observée en 1990, année de la « découverte scientifique » de ce phénomène linguistique. Le nouchi n’est plus cette langue ésotérique parlée uniquement par les jeunes délinquants, il tend désormais à se « véhiculariser ».1 Mais le nouchi a-t-il un avenir en Côte d’Ivoire ? Cet article élucidera la question en essayant d’expliquer l’origine du nouchi, les facteurs d’émergence de ce phénomène linguistique et ses caractéristiques morphosyntaxiques avant de se prononcer sur son avenir. 1 ­ Dans un article consacré au nouchi, Kouadio (1990) s’interrogeait sur la nature de ce phénomène linguistique : « S’agissait­il d’un argot naissant appelé à s’incruster durablement dans le paysage linguistique ivoirien déjà passablement embrouillé, ou bien comme la plupart des parlures de jeunes, était­il condamné à disparaître aussitôt que la mode qui le portait aurait­elle disparu ? ». Quelques années plus tard, selon Kouadio, il semble bien que ce soit le premier terme de l’alternative qui s’est avéré juste. En effet, le nouchi, non seulement n’a pas disparu mais au contraire, il a renforcé ses positions dans le milieu des jeunes. 46 REVUE ELECTRONIQUE INTERNATIONALE DE SCIENCES DU LANGAGE SUDLANGUES N° 16 - Décembre 2011 http://www.sudlangues.sn/ ISSN :08517215 BP: 5005 Dakar-Fann (Sénégal) sudlang@refer.sn Tel : 00 221 548 87 99 I- L’ORIGINE DU NOUCHI Véritable phénomène linguistique en Côte d’Ivoire, le nouchi est un objet encore en construction et dont l’identité échappe à tous les paramètres normatifs. Sur la question de son origine, les recherches de Kouadio (1990) révèlent que le nouchi est né au début des années 1980. Cette date est loin d’être fortuite. En effet, ce phénomène linguistique surgit au moment où les jeunes que l’école ivoirienne rejetait dans la rue par dizaine de milliers chaque année, et ce depuis 1975, arrivaient à maturité et choisissaient justement la rue comme leur territoire. En véritable maîtres de la rue (les rues d’Abidjan sont divisées en secteurs par ces jeunes), ils vont créer et imposer leur langue : le nouchi. Selon Kouadio(1990), le terme nouchi viendrait de la langue susu. Il aurait pris naissance à Adjamé, l’un de quartiers populaires d’Abidjan où vit une forte communauté susu. Lafage (1991) ajoute que le mot nouchi, au début, a été utilisé pour désigner des jeunes de la rue vivant du vol à la tire. Elle a découvert le terme pour la première fois dans un sondage parmi des élèves en 1977. Le nouchi est emblématique pour les jeunes qui le revendiquent en tant qu’affirmation de leur identité, de leur esprit créateur et de leur volonté de liberté. Ce code trouve son origine dans une volonté cryptique, signe de reconnaissance et d’identification à un groupe. Au niveau linguistique, le nouchi a provoqué un phénomène sans précédent en Côte d’Ivoire : l’hybridation2 croissante des énoncés. Cette variété de langue se caractérise au niveau lexical par des changements de sens et par des emprunts aux langues locales, en particulier le dioula, selon divers procédés de création lexicale. Le nouchi est actuellement assez difficile à décrire parce qu’il semble en pleine mutation. Selon Kouadio (1990), ce parler se veut un « signum social » : les locuteurs du nouchi cherchent à afficher leur appartenance à un groupe, ici le groupe de la petite et de la grande délinquance. Ils veulent surtout faire passer des messages codifiés à travers un langage secret. Lafage (1998) ajoute que « le français des rues » que nous identifions au nouchi répond bien qu’imparfaitement « à la revendication des jeunes pour un parler franco-ivoirien, à la fois porteur d’une certaine critique sociale et emblème contestataire d’une contre-norme ». Cependant, le nouchi n’est pas resté longtemps la langue secrète d’un milieu particulier puisqu’il s’est vite répandu dans les conversations des élèves et étudiants (Boutin 2002). 2 Lafage(1991) utilise le terme « langues hybrides » pour désigner les variétés de français en Côte d’Ivoire étant donné la multiple provenance des éléments constituant un mot, un groupe de mot ou une séquence entière. 47 REVUE ELECTRONIQUE INTERNATIONALE DE SCIENCES DU LANGAGE SUDLANGUES N° 16 - Décembre 2011 http://www.sudlangues.sn/ ISSN :08517215 BP: 5005 Dakar-Fann (Sénégal) sudlang@refer.sn Tel : 00 221 548 87 99 Aujourd’hui, des élèves et étudiants revendiquent le nouchi comme leur moyen de communication. Or, ce groupe social fait partie de la minorité privilégiée des Ivoiriens qui ont bénéficié d’un apprentissage scolaire et qui ont donc été, pendant longtemps, en contact avec la norme du français standard. Ils sont théoriquement ceux qui ont la meilleure maîtrise de la langue officielle et ne devraient pas recourir à une variété « basilectale ». Selon Kube (2005), la grande popularité du nouchi chez les élèves ne devrait pas avoir les mêmes causes que celles qui sont avancées pour expliquer sa naissance chez les jeunes de la rue et pour justifier l’existence du français populaire ivoirien3.- Il est très probable que le nouchi représente pour les élèves plus qu’un jeu langagier et plus que la volonté de se différencier, dans la pratique linguistique, de la génération des parents (raisons avancées pour la catégorisation de la variété comme langue des jeunes (Kube 2005). Le pronostic de Calvet(1997) selon lequel le nouchi permettrait d’imaginer l’avenir de la langue française en Côte d’Ivoire et représenterait déjà actuellement « la langue identitaire » ouvre une bonne perspective de recherche. II - LES FACTEURS DE L’EMERGENCE DU NOUCHI Le nouchi gagne de plus en plus du terrain en Côte d’Ivoire. Son extension ne s’arrête pas aux jeunes. Elle touche aussi les parents quelque soit leur condition sociale, qui l’utilisent dans la communication avec leurs enfants. Selon Boutin(2002), on peut supposer que toute la population ivoirienne, l’élite intellectuelle comprise, a au moins des connaissances passives du nouchi. Plusieurs raisons pourraient expliquer l’extension du nouchi. La première raison que Kouadio(2006) qualifie « d’ivoirocentrique » serait une habitude bien ivoirienne de « tordre le cou » aux mots et aux phrases françaises pour les uploads/Geographie/ le-nouchi-a-t-il-un-avenir.pdf

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